Déchu de son mandat de député de « la 9ème circonscription des Français de l'étranger », Karim Ben Cheïkh aspire à regagner son siège à l'Assemblée nationale. Très critique de la politique d'Emmanuel Macron à l'égard du Maroc, le candidat de la NUPES veut contribuer à raffermir les relations franco-marocaines et faire oublier le désagréable souvenir de la crise des visas. Interview. -Pouvez-vous nous résumer les grandes lignes de votre projet ? Mon projet tient en une phrase : porter à l'Assemblée nationale la voix des Français du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest, et à travers eux défendre les droits et les intérêts de tous les Français établis à l'étranger. La détérioration des services et droits reconnus à nos compatriotes n'est pas une fatalité. Il s'agit, en premier lieu, de renforcer les moyens des consulats qui assurent le lien avec la France, mais aussi de renforcer les services publics, comme l'école et la sécurité sociale qui, pour les Français à l'étranger, ne sont pas à la hauteur de la promesse républicaine.
-A quel point l'électorat marocain est-il important et décisif pour vous ? Le Maroc est le premier pays de résidence des Français au sein de la 9ème circonscription, qui regroupe le Maghreb et l'Afrique de l'Ouest. Nos compatriotes y sont bien accueillis et la plupart sont des binationaux qui ont un rapport encore plus exigeant peut-être avec la France. Le Maroc m'a accueilli en tant que diplomate français il y a une quinzaine d'années. C'est un pays que j'ai appris à connaître depuis plus de quinze ans, et j'y ai de nombreux amis qui m'ont encouragé et me soutiennent dans mon engagement politique. -Il y a une sorte de crispation aujourd'hui entre le Maroc et la France, quel est votre avis là-dessus ?
La crispation, comme vous le dites avec tact, s'est transformée en véritable malaise, en raison des décisions maladroites et parfois irresponsables des gouvernements successifs de M. Macron. Il y a une forme de négligence de la relation avec le Maroc, comme si on tenait ce qu'on a longtemps qualifié de "partenariat d'exception" pour un acquis, une évidence. Aujourd'hui, ce discours sonne creux. Comment expliquer qu'on tient le Maroc pour un partenaire de premier plan, et défendre, comme l'ont fait M. Attal et M. Darmanin, que le gouvernement allait "sanctionner" le Maroc sur la question des visas. Entre alliés, entre amis, il n'y a pas de sanctions, on privilégie normalement la discussion. Je crois que l'attitude du parti présidentiel, et de son patron M. Séjourné, heurte profondément les citoyens marocains qui se sentent blessés et ont perdu confiance dans ce qu'on appelle la "Macronie".
-La question des visas a beaucoup froissé les Marocains et les Franco-Marocains, est-ce une faute historique de la part des autorités françaises ? Je n'ai cessé de dénoncer durant ma première campagne, puis en tant que député, la profonde injustice du chantage au visa, pratiqué et assumé par les gouvernements Castex et Borne, contre les ressortissants des trois pays du Maghreb. M. Darmanin a essayé de maquiller la sortie de crise en expliquant que les autorités tunisiennes, puis marocaines et algériennes avaient accédé à ses demandes. La réalité, c'est que cette triste affaire a abîmé durablement notre coopération, y compris en matière migratoire, et qu'elle a laissé des blessures profondes auprès de personnes qui se sentaient habituellement proches de la France. On ne peut pas aujourd'hui se contenter de clamer un « retour à la normale ». C'est réellement notre politique de visa que nous devons revoir en profondeur.
-On dit qu'il y a une sorte de « Maroc Bashing » en France et un sentiment anti-français qui se développe chez les Marocains, est-il possible d'apaiser cette tension actuellement ?
Je ne suis pas candidat au poste d'ambassadeur de France au Maroc (Rires). Je me suis mis en disponibilité de la diplomatie... Aujourd'hui, je suis candidat à ma réélection comme député des Français établis au Maroc et dans tous les pays de la 9ème circonscription. Vous parlez d'apaisement, je répondrais "construction de relations de confiance durables". En tant que président du groupe d'amitié France-Maroc, j'ai reçu à Paris des délégations de parlementaires marocains pour définir un calendrier de travail concret impliquant des parlementaires de tous bords ainsi que des experts marocains et français. J'annoncerai bientôt des initiatives en ce sens. Je continue d'ailleurs de rencontrer nombre de parlementaires lors de mes visites au Maroc car le travail entamé doit se poursuivre.
-Votre appartenance à la gauche ne pose-t-elle pas de problèmes à vous pour contribuer à rapprocher le Maroc de la France ? Là encore, dépassons les caricatures ! Ce qui dérange aujourd'hui dans la relation entre la France et le Maroc, c'est l'attitude et les choix de M. Macron, de son gouvernement et de son parti. Je lis les médias marocains et j'y relève que le Maroc entretient des relations normales, apaisées avec le gouvernement socialiste de M. Sánchez en Espagne. Avec l'Allemagne, les relations se sont améliorées avec l'actuel gouvernement qui est issu d'une majorité autour des socialistes et des écologistes. A gauche, il y a plus d'amis et d'alliés durables du Maroc et des Marocains, contrairement à la droite et à l'extrême-droite, où les prétendus amis ont des prises de position intéressées, souvent inauthentiques et toujours fragiles pour des raisons électorales.
-Votre parcours de diplomate et d'ex-consul vous est-il utile dans votre mandat de député ? Je suis diplomate de carrière, et j'ai demandé une mise en disponibilité en 2021, huit mois avant ma première élection. Dans mon dernier poste comme Consul général de France à Beyrouth, j'ai pu mesurer à quel point le service public consulaire est au bord de la rupture. Il ne tient que par le dévouement des personnels consulaires, qui travaillent dans des conditions indignes de notre rang de troisième réseau diplomatique au monde. Je pense que pour "réarmer notre diplomatie", comme aime à le répéter le gouvernement actuel, il faut d'abord lui donner les moyens humains et budgétaires de remplir ses missions consulaire, sociale, éducative, économique, culturelle, etc. Ce combat, je le mène à l'Assemblée et au sein de la Commission des Finances.
-On remarque que la francophonie est en recul au Maroc comme au Maghreb, et ce, au profit de l'anglais, êtes-vous préoccupé par ce recul ? Je ne souscris pas au discours sur le recul de la francophonie, qui est d'ailleurs un discours que j'entends souvent dans les trois pays du Maghreb. Je constate que les écoles à programme français n'ont jamais accueilli autant d'élèves. La réalité, c'est que de nouvelles écoles ouvrent à chaque rentrée sans pouvoir satisfaire toute la demande. Les instituts culturels et les cours de langue font face à une demande qui progresse aussi. Le recul de la francophonie est une vue de l'esprit. Ceci dit, deux choses m'inquiètent : la francophonie en tant qu'espace d'appartenance commune est en panne. Tant que des facilités de circulation dans l'espace francophone ne sont pas pensées, le sentiment d'appartenance à l'espace francophone ne pourra pas s'affirmer. Par ailleurs, ce qui est inquiétant, c'est le recul de la francophilie, de la relation affective avec la France. Les mesures prises en matière de visas ont rompu le lien de confiance avec les populations de la 9ème circonscription et particulièrement celles du Maghreb. C'est cette confiance que nous devons désormais reconquérir.
Fin connaisseur du Maroc Déchu de son mandat de député à cause de « dysfonctionnements de vote », Karim Ben Cheïkh est candidat à sa propre succession à la 9ème circonscription des Français établis hors de France qui comprend le Maroc. Pour le candidat de la NUPES, proche de Jean Luc Mélenchon, l'électorat marocain est décisif. Lors des élections législatives précédentes, il est sorti victorieux en s'imposant face à la candidate de « Renaissance »,Elizabeth Moreno, avec 54,07% des voix. Les électeurs français du Maroc ont voté largement pour lui, puisqu'il est arrivé en tête dans plusieurs bureaux de vote, à savoir ceux de Casablanca, Fès, Rabat et Tanger. Dans sa bataille électorale, il fait face au candidat indépendant, et ex-député de LREM, M'jid El Guerrab.
Diplomate de carrière, Karim Ben Cheïkh aspire à mettre son savoir-faire au service de l'amélioration des relations avec les pays du Maghreb et notamment le Maroc. Avant d'être déchu de son siège, il a été élu président du groupe d'amitié Maroc-France à l'Assemblée nationale. Une position qui lui permettra, en cas de sa réélection, d'avoir une marge de manœuvre. En tout, il connaît très bien le Royaume auquel il se rend régulièrement.