Au moment où les rumeurs laissent planer le risque d'une éventuelle hausse des frais de scolarité dans les écoles privées, le ministre de tutelle se déclare incompétent. Que peut faire l'Exécutif dans ce cas ? Le marronnier des frais de scolarité dans les écoles privées refait irruption dans le débat public. Après le feuilleton du Covid-19 où les écoles privées et les associations d'élèves se sont livré une bataille dont les échos ont fait la Une des médias, la question s'est posée à nouveau. Il y a quelques jours, des médias, citant des sources au sein des représentants des établissements privés, ont fait état d'une éventuelle augmentation des frais de scolarité, qui serait généralisée. Citée par nos confrères de Médias24, une source au sein la Fédération de l'enseignement privé, affilée à la CGEM, a laissé entendre qu'il y aurait probablement une hausse des frais de scolarité à cause de la hausse de l'Impôt sur le Revenu (IR) pour les enseignants vacataires. Une mesure qui aurait un impact sur la masse salariale des établissements scolaires. Les écoles privées partagées !
En effet, cette mesure n'est que théorique et n'est pas encore partagée par l'ensemble des représentants de l'enseignement privé. Contacté par nos soins, Abdelhadi Zouiten, président de la Ligue de l'enseignement privé au Maroc, a nié toute volonté de hausse des frais de scolarité. Selon lui, il s'agit d'informations dénuées d'exactitude. Idem pour d'autres représentants du secteur qui ont déclaré ne pas être au courant d'une telle initiative. Ce qui montre que la hausse en question n'a même pas fait l'objet d'une concertation au sein du corps de l'enseignement privé. De leur côté, les associations des parents d'élèves minimisent l'impact d'une telle décision au cas où elle s'avère vraie. (Voir les trois questions).
Ces rumeurs ont pris autant d'ampleur que la question s'est invitée au Parlement. Mardi, lors de la séance hebdomadaire consacrée aux questions orales, le ministre de l'Education nationale, du Préscolaire et des Sports, Chakib Benmoussa, a été interrogé sur le sujet. Sans apporter de nouveautés, le ministre s'est contenté de rappeler que son département n'est pas juridiquement habilité à intervenir dans la fixation des frais de scolarité dans l'enseignement privé. Ces frais, rappelle-til, sont fixés par contrat entre les directions et les parents d'élèves. « Il n'est pas du ressort du gouvernement, selon la loi-cadre, d'intervenir au niveau de la fixation des droits et des frais de scolarité », a-t-il insisté, rappelant que l'absence de contraintes législatives n'empêche pas le ministère de tutelle de contrôler l'activité des écoles. Selon Benmoussa, il existe des commissions d'inspection que son département dépêche régulièrement auprès des établissements scolaires privés. Celles-ci sont chargées de contrôler le respect des obligations contractuelles et de veiller à ce qu'il n'y ait pas d'abus ou des hausses arbitraires. Les commissions sont également chargées de veiller au respect de la distinction entre les frais de scolarité et les frais relatifs au reste des activités parascolaires.
Quelle marge de manœuvre pour le gouvernement ?
Ce n'est pas la première fois qu'un ministre de l'Education nationale est interrogé sur cette question épineuse. En 2021, le prédécesseur de Chakib Benmoussa, Saïd Amzazi, a lui aussi reconnu l'incapacité de l'Etat d'intervenir, alléguant des entraves juridiques. En fait, le secteur privé est mentionné onze fois dans la loi-cadre n° 51-17 relative au système d'éducation, de formation et de recherche scientifique. La question des frais est citée une fois dans l'article quatorze qui détaille les attributions de l'Etat en matière de réglementation du secteur. La loi stipule que, dans le cadre des engagements contractuels entre l'Etat et le secteur privé, le gouvernement est habilité à prendre plusieurs mesures, dont « la fixation et la révision, selon des critères fixés par décret, des frais d'inscription, d'études, d'assurance et des services rendus par les établissements d'éducation, d'enseignement et de formation privés ». De l'autre côté, l'article 33 de la loi n° 06-00, formant statut de l'enseignement scolaire privé, exige seulement que « les frais de scolarité doivent être adaptés à la situation sociale des élèves ».
Un flou juridique
En réalité, il existe un flou dans les critères de détermination des prix. Dans son denier rapport sur l'enseignement privé, le Conseil de la Concurrence a estimé que les frais oscillent entre 4.000 et 40.000 DH et « sont liés à la qualité et au contenu des services rendus ». Le Conseil présidé par Ahmed Rahhou conclut que « la fixation des prix s'effectue en fonction d'un croisement entre l'offre et la demande ». Toutefois, le rapport a critiqué le manque de régulation du secteur faute de contrôle pédagogique et d'une législation adaptée. Par conséquent, cela nuit à la qualité des services rendus par les écoles privées. De son côté, Chakib Benmoussa compte mieux les encadrer en révisant le cahier de charges. Une façon de redéfinir les normes au niveau pédagogique, organisationnel et du contrôle. Le ministre n'a pas exclu la possibilité d'élaborer un statut spécifique aux écoles privées, en plus d'un règlement intérieur de référence dont le but est d'encadrer plus efficacement la relation entre les établissements et les parents d'élèves. Le chantier est en cours d'élaboration avec tous les acteurs concernés. Anass MACHLOUKH Trois questions à Noureddine Akouri « La hausse de l'IR ne devrait pas avoir un impact majeur sur les frais de scolarité» Noureddine Akouri, président de la Fédération des associations des parents des élèves, a répondu à nos questions
- En tant qu'association de parents d'élèves, êtes-vous inquiets de la hausse des frais de scolarité ?
- Actuellement, nous n'avons pas été informés d'une telle mesure. Il ne faut pas oublier que même si elle s'avère vraie, elle n'aura pas une hausse significative puisqu'elle serait indexée sur la hausse de 13% de l'IR sur les enseignants vacataires. Je précise qu'ils sont peu nombreux puisqu'ils ne représentent que 20% du staff éducatif des écoles privées. L'impact ne sera que minime sur les frais de scolarité, à supposer que la hausse soit vraie.
- Existe-t-il, selon vous, un risque de hausse excessive ?
- Cette hausse ne devrait pas avoir lieu dans les maternelles et les écoles primaires qui, en principe,ne recrutent pas les enseignants vacataires auxquels ont fait appel dans le collège et le secondaire. Il faut garder à l'esprit que, selon le cahier des charges établi par le ministère de tutelle, 80% du staff éducatif dans le secteur privé doit être permanent. Nous craignons, toutefois, que des écoles saisissent cette occasion pour augmenter excessivement les frais. Donc, ce qui compte le plus, c'est de veiller à ce que les établissements scolaires ne se prévalent pas de ces excuses pour augmenter démesurément leurs tarifs.
- Le ministre de tutelle a réaffirmé l'incapacité de l'Etat à intervenir. Qu'en pensez-vous ?
- Cette question devrait faire l'objet d'une concertation afin de trouver une réponse adéquate. Nous comptons en débattre avec tous les acteurs concernés. Recueillis par A. MACHLOUKH