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Interview avec Abdessalam Saâd Jaldi : « La France ne favoriserait jamais Alger au détriment de Rabat »
Publié dans L'opinion le 27 - 10 - 2022

L'indépendant dans l'interdépendance, un concept désuet qui ne sert plus les relations franco-marocaines, des relations qui n'ont jamais été aussi tendues. Abdessalam Saâd Jaldi, expert en relations internationales au Policy Center for the New South (PCNS), décortique la crise actuelle tout en revenant sur le vide diplomatique entre les deux pays. Détails.
- Qu'est-ce qui explique, selon vous, ce vide diplomatique inédit entre le Maroc et la France dont les ambassades ne sont gérées que par des chargés d'Affaires ?
- Permettez-moi de clarifier une chose qui relève des fondamentaux de la diplomatie. Une crise diplomatique résulte du rappel de l'ambassadeur ou de la rupture des relations au sens de la convention de Vienne de 1964. Aucun des deux pays n'a franchi ce cap, et cette perspective me paraît très peu envisageable.
Entre Paris et Rabat subsiste surtout une crise sur la refondation des relations franco-marocaines, à l'aune des importantes reconfigurations caractérisant les relations internationales contemporaines et la géopolitique régionale. Certes, il y a une convergence d'intérêts entre les deux pays, mais aussi une interdépendance qui est largement défavorable pour le Maroc dans ses relations avec la France.
- Pensez-vous que les deux pays ont tellement d'intérêts en commun qu'ils vont finir par privilégier le réalisme ?
- Aujourd'hui encore, les relations entre les deux pays restent profondes, et le pragmatisme continue à prévaloir. Pour le Maroc, la France est le pays où vivent le plus de Marocains résidant à l'étranger (MRE), où sont établis le plus grand nombre d'étudiants marocains à l'étranger. C'est aussi le premier pays en matière de flux et de stocks d'investissements directs étrangers au Maroc. Prenant compte de cela, Rabat mesure le rôle de Paris au sein de l'UE, premier partenaire économique et commercial du Royaume.
Ceci dit, la France est tout à fait consciente des potentialités économiques du Maroc, ainsi que de sa position stratégique, surtout en Afrique où le Royaume est en train de devenir un concurrent qui baroude Paris dans ses pré-carrés africains à l'Ouest. Donc un partenariat commun est important et de mise. Or, l'arrivée en 2017 au Quai d'Orsay d'une nouvelle génération de diplomates au profil de technocrates qui méconnaissent le Maghreb n'arrange pas les choses.
- Le Maroc attend une position plus audacieuse de Paris sur le Sahara, l'Elysée a-t-il du mal à comprendre la légitimité de la demande marocaine ?
- Aux Nations Unies, la France défend le projet marocain d'autonomie qu'elle considère comme une solution crédible, ce qui offusque frontalement l'establishment militaire à Alger. Le Maroc veut surtout que la France emboîte le pas aux Etats-Unis en reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara marocain. Or, Paris ne peut rompre avec sa tradition équilibriste, de crainte de porter préjudice à ses relations avec Alger, alors qu'elle a si besoin du gaz algérien pour remédier à la crise énergétique qui frappe de plein fouet son l'économie.
En effet, je rappelle que le différend du Sahara est surtout un problème géopolitique entre le Maroc et l'Algérie, et non pas juridique sur l'achèvement de la décolonisation comme le relayent les séparatistes du polisario.
- On assiste à un rapprochement d'intérêt entre Alger et Paris, les commentateurs pensent que l'Algérie s'en prévaudra pour le diriger contre le Maroc, partagez-vous ce constat ?
- À mon avis, le président français ne favorisera jamais Alger au détriment de Rabat, et vice versa. En effet, la politique maghrébine de la France repose sur une posture équilibriste, notamment vis-à-vis des deux poids lourds du Maghreb, à savoir le Maroc et l'Algérie, deux pays extrêmement importants pour Paris dans quatre domaines : la position stratégique, la sécurité, le développement économique et le rayonnement culturel. Cette posture équilibriste qui constitue le paradigme dominant de la politique maghrébine de Paris consiste à composer avec l'un sans contrarier l'autre.
D'une part, l'Algérie est le deuxième partenaire économique et commercial de la France en Afrique, selon le FMI, avec 500 entreprises implantées dans le pays, sachant qu'Alger n'est pas moins pour Paris un acteur majeur dans la profondeur sahélo-saharienne en proie à l'insurrection djihadiste, où le rôle de la France s'estompe au profit du rival russe.
En revanche, le Maroc, qui est le 19ème partenaire économique de la France, avec plus de 1.000 entreprises françaises opérant dans le pays qui emploient 80.000 citoyens marocains, est la porte d'entrée des entreprises françaises sur les marchés africains, notamment subsahariens. Le Royaume est même central dans le renseignement pour la lutte contre le terrorisme. Cette configuration fait que Paris ne peut se permettre, dans ses relations avec Rabat et Alger, de privilégier l'un au détriment de l'autre.
Recueillis par Anass MACHLOUKH
Axe Paris-Rabat
Fin ou renaissance d'une relation d'exception ?

Cela fait longtemps qu'on parle de l'axe Paris-Rabat, une appellation qui renvoie à une relation exceptionnelle entre deux pays se déclarant «amis» depuis des décennies. Ces dernières années, cette amitié ne cesse de s'étioler à coups de désagréments et d'incompréhensions qui ont creusé le fossé entre les deux pays. Les relations entre les deux pays se sont tellement dégradées que ni l'un ni l'autre n'a éprouvé le besoin de nommer un ambassadeur.
Hélène Le Gal, mal appréciée de l'élite marocaine à cause de ses maladresses, est partie pour occuper un poste au sein de la diplomatie européenne, tandis que l'ex-ambassadeur du Royaume, Mohammed Benchaâboun, a été rappelé pour prendre la direction du Fonds Mohammed VI pour l'Investissement, quelques mois seulement après voir remis les lettres de créance au président Emmanuel Macron.
Actuellement, ce sont des chargés d'Affaires qui font le boulot, ce qui est inédit. Le froid glacial qui fige «la relation d'exception» n'est pas dû à une intempérie accidentelle. C'est le fruit d'une série de malentendus.
En tête, la question des visas, dont le nombre a été réduit de plus de la moitié par le gouvernement français pour les ressortissants marocains. Une décision présentée comme une mesure de rétorsion par le gouvernement d'Emmanuel Macron qui reproche aux autorités marocaines ne pas coopérer assez dans le rapatriement des migrants clandestins. De quoi agacer les Marocains qui ne tolèrent plus d'être l'objet de mesures politiciennes et vindicatives destinées à gagner la sympathie des électeurs de droite.
En plus de la question des visas, le dialogue entre les deux pays n'est pas aussi continu comme il l'était il y a quelques années, Emmanuel Macron n'a pas effectué de visites officielles au Maroc comme il l'a fait en Algérie, sachant que les deux fois qu'il s'est rendu au Royaume c'était à titre privé. La première, en 2017, n'a pas donné lieu à des échanges officiels tandis que la deuxième, en 2018, a été dédiée à l'inauguration du TGV.
En final pointe le sujet épineux du Sahara, le discours royal du 20 août a été d'une clarté abrupte en appelant les partenaires du Royaume à clarifier leur position. Le Souverain n'a pas nommé un pays en particulier, mais les commentateurs y ont vu un signal adressé à quelques pays, dont la France. Certes, Paris, tel que l'explique sa diplomatie, reconnaît la crédibilité du plan d'autonomie mais il le considère comme «base de discussion sérieuse» alors que des pays comme l'Allemagne ou l'Espagne le qualifient de solution « la plus crédible».


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