Doctrine militaire, nouveau statut des sous-officiers, région de commandement Est, Hicham El-Hafidi, ex-officier de la Garde Royale et analyste en géopolitique, décortique la nouvelle vision d'organisation des Forces Armées Royales et leur trajectoire de modernisation. Entretien. - À l'occasion du 66ème anniversaire des FAR, une nouvelle vision a été définie. Il a été annoncé, notamment, la création d'un nouveau statut des sous-officiers. A quel point ce corps est important dans l'organisation de l'Armée ? - Permettez-moi de rappeler que la structure hiérarchique de l'Armée se compose de trois corps distincts : les officiers, les sous-officiers et les hommes de troupe. A chaque corps son éventail de missions et son champ de compétences. Nous sommes donc dans un schéma de complémentarité dans la mesure où chacun de ces corps ne peut fonctionner efficacement sans l'apport des deux autres. L'importance du corps des sous-officiers réside dans le fait qu'il constitue une courroie de transmission entre le niveau de la décision et celui de l'exécution. Sans cette liaison, la fluidité des ordres et leur bonne exécution souffriraient de dysfonctionnements et de distorsions dommageables pour la réussite des missions en temps de paix comme en temps de guerre.
« Je ne parlerai pas de points faibles, mais plutôt de lacunes capacitaires ». - Quelles sont les missions assignées aux sous-officiers sur le terrain concrètement ? - De manière générale, les sous-officiers ont la charge d'encadrer la troupe. Au premier niveau, un sous-officier est responsable d'un groupe de dix militaires, mais ce nombre augmente à mesure que le sous-officier gagne en ancienneté, jusqu'à en faire l'aide et même le suppléant du jeune officier à la tête d'une petite unité. En outre, les sous-officiers assurent l'instruction de la troupe, sous la supervision des officiers. L'instruction couvre les aspects techniques et tactiques, mais aussi moraux, en vue de former des soldats disciplinés, engagés et conscients de la noblesse de leur mission. - Une nouvelle région militaire a été créée dans la région Est, quelle est son importance stratégique ? - La création de la Zone de Commandement Est répond à des exigences opérationnelles et de sécurité. Elle correspond à l'échelon opératif qui s'imbrique entre le niveau stratégique représenté par le Haut Commandement militaire, et le niveau tactique qui est celui de l'exécution. Il s'agit donc d'un échelon de la chaîne de commandement qui assure la cohérence entre les orientations stratégiques de la défense opérationnelle du territoire et l'action des unités militaires déployées sur le terrain. Concrètement, cela se traduit par une plus grande coordination, grâce aux compétences élargies dont dispose le commandant de zone qui assure la planification et le soutien de toutes les opérations militaires dans sa zone de compétence. - Les Forces Armées Royales sont engagées dans un vaste élan de modernisation de leurs équipements, quels sont les points faibles auxquels il a fallu remédier, à votre avis ? - Je ne parlerai pas de points faibles, mais plutôt de lacunes capacitaires. Les FAR ont toutes les capacités pour remplir les missions qui leur sont dévolues, mais il est naturel de s'inscrire dans une logique de modernisation continue des équipements. A ce titre, la montée en gamme de la flotte aérienne de combat et des blindés constitue de solides acquis. De même, l'acquisition de drones et de systèmes de défense anti-aérienne de nouvelle génération a permis de se mettre au niveau des dernières avancées technologiques dans ces domaines. Il ne faut pas aussi oublier la modernisation des systèmes de surveillance et de détection qui sanctuarisent les frontières orientales et méridionales du Royaume. - Sur le plan maritime, le Maroc ne dispose pas de sous-marins contrairement à l'Algérie, est-ce nécessaire d'en acquérir ? - L'acquisition de matériels militaires ne correspond pas nécessairement à une logique de mimétisme pour garantir l'équilibre des forces. Elle peut aussi être réfléchie suivant un paradigme de rupture technologique qui réduit l'avantage initial de l'adversaire. A titre d'exemple, l'armée russe accuse un grand retard en termes de porte-avions comparativement aux Etats-Unis. Au lieu de s'atteler à combler ce retard, ce qui aurait été extrêmement coûteux en temps, en moyens financiers et en rattrapage technologique sans garantie de succès, les Russes ont choisi d'investir dans un programme novateur de missiles hypersoniques indétectables et capables de couler un porte-avions. L'avantage américain s'en retrouve minoré à moindre coût. A mon humble avis, c'est une façon plus intelligente de penser les rapports de force, au lieu de se focaliser sur une approche comparative numérique. Il est plus judicieux de raisonner en termes de capacités opérationnelles des matériels en dotation.
« Après la guerre du Haut-Karabakh, les drones se sont illustrés comme un véritable game changer ». - Est-il vrai que l'usage des drones est devenu une priorité de la nouvelle doctrine militaire marocaine ? - Dans le domaine de la défense, il faut être très attentif aux évolutions des matériels au risque d'être rapidement dépassé par les événements. Chaque nouvel équipement nécessite d'être pris en compte dans l'effort permanent de modernisation des armées. A titre d'exemple, l'apparition des premiers chars et des premiers avions au détour de la première guerre mondiale a conduit les armées modernes à en acquérir massivement. En conséquence, la deuxième guerre mondiale a été le théâtre des plus grandes batailles de chars de l'Histoire militaire, ainsi que de campagnes aériennes d'envergure. Il est donc vital de ne pas rater le coche de l'innovation technique. Concernant les drones, ils ont le vent en poupe après la guerre du Haut-Karabakh où ils se sont illustrés comme un véritable game changer, le nouveau must have des armées modernes. C'est pourquoi les FAR ont rapidement acquis une large palette de drones couvrant un grand spectre de missions. La guerre en Ukraine a permis de mettre encore plus en avant le potentiel des drones à travers de nouvelles formes d'utilisation en essaim et dans le cadre de la technoguérilla. Tout laisse donc croire que leur usage opérationnel est appelé à se renforcer dans le futur proche, confortant ainsi la pertinence des choix stratégiques du Haut Commandement des FAR. Recueillis par Anass MACHLOUKH