Le Royaume s'apprête à mettre en place une industrie de la Défense qui devrait permettre de sécuriser une partie de l'approvisionnement en munitions et matériels des FAR tout en lorgnant sur le marché très concurrentiel de l'export. Quels sont nos atouts ? Le Conseil des ministres du 28 juin dernier a vu l'approbation par le Souverain de deux projets de décrets relatifs respectivement à l'application de la loi relative aux matériels et équipements de défense et de sécurité, aux armes et aux munitions, ainsi que celle ayant trait à la cybersécurité. Des décrets qui viennent cimenter la volonté du Royaume de mettre en place une réelle industrie de la défense intégrée et multisectorielle. Un deal qui date de 2015 Un projet dont le premier acte remonte à décembre 2015, avec la signature d'un accord de coopération militaire et technique entre les Forces Armées Royales (FAR) et les Forces armées saoudiennes. Un deal qui comporte la mise en place d'une industrie de la défense au Maroc, en plus de couvrir le transfert d'expertise militaire ou encore les domaines de la formation et du soutien logistique. « Actuellement, le Maroc achète du matériel militaire et des armes conçus par des entreprises étrangères répondant avant tout aux besoins de leurs armées. Produire des armes localement permettra de répondre aux besoins opérationnels exprimés par les FAR, en prenant en compte les contraintes inhérentes à l'environnement et au climat dans lesquels ils évoluent, tout en s'adaptant aux menaces auxquelles l'armée marocaine est confrontée », précise Nizar Derdabi, analyste en stratégie internationale, défense et sécurité. Un projet lancé, rappelons-le, alors que le Moyen Orient connaissait un grand chamboulement au niveau géostratégique comme géopolitique, le grand retour de la Russie via son intervention en Syrie, le refroidissement des relations américano-saoudiennes sous l'Administration Obama, la crise entre Ryad et Doha, l'intervention saoudienne au Yémen pour freiner l'avancée des Houtistes, ou encore l'interventionnisme croissant des Iraniens comme des Turcs en Irak et en Syrie. Une période qui a vu l'émergence de nouvelles alliances et rapprochements militaires, notamment entre Israël, l'Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis. Le conflit syrien a également acté un rapprochement et la mise en place d'un canal de communication inter-armées entre Moscou et Ankara. Parallèlement, le réagencement de la doctrine militaire américaine vers la zone de l'Indopacifique, conjuguée aux menaces d'embargo sur les ventes d'armes à l'Arabie Saoudite dans le monde occidental à cause du conflit au Yémen, ont fini par convaincre Ryad ainsi que ses principaux partenaires du CCG de la nécessité de diversifier ses sources d'approvisionnement, quitte à participer à la mise en place de l'industrie d'armement. Capitaliser sur le know-how existant C'est là où Rabat entre en jeu. Le Royaume dispose, en effet, d'une armée de métier, disposant de centres de formation de qualité, à l'image du Collège royal de l'enseignement militaire supérieur (CREMS) où sont formés des officiers de pays partenaires (Sénégal, Burkina-Faso, Mali, Mauritanie...), s'y ajoute un corps d'officiers formés dans les plus prestigieuses académies militaires (Westpoint, Saint-Cyr...). D'ailleurs, le Maroc, en tant que plateforme industrielle, dispose d'un portefeuille de grands groupes industriels au sein de l'écosystème aéronautique qui disposent de divisions dédiées à la Défense, à l'image d'Airbus, Safran et Thales ou encore avec des opérateurs automobiles comme Renault Truck ou Scania Maroc. « Les FAR qui ont déjà une expertise dans le domaine de la réalisation de systèmes d'armes et de simulation et de matériel optronique (équipement utilisant à la fois l'optique et l'électronique) à l'Ecole Royale du Matériel de Benslimane qui dispose du 1er centre de R&D des FAR, peuvent développer davantage ces équipements à forte valeur ajoutée », souligne Derdabi. La future industrie pourra également capitaliser sur le savoir-faire accumulé par les éléments des Etablissements de Soutien du Matériel (ESMAT) des FAR, à l'image du 3e ESMAT de Nouaceur qui travaille de concert avec les experts de l'entreprise américaine General Dynamics, pour assurer les travaux de rénovation nécessaires à la série des blindés M113, des chars M48A5 et M60 et des obusiers M109. Le 2E ESMAT s'est spécialisé pour sa part dans la rénovation de matériel roulant, notamment les fameux véhicules d'avant blindés (VAB), allant jusqu'à acquérir la compétence nécessaire pour les doter de nouveaux moteurs et d'instruments de liaisons de données ou datalink permettant d'améliorer le ciblage et la précision de tir. Des instruments conçus par les ingénieurs des FAR. L'Ecole royale du matériel et son département R&D représentent également un terreau fertile pour le futur écosystème de la Défense. Cette structure gérée par des officiers ingénieurs a pour mission la conception et la réalisation de projets technologiques dans la simulation, les systèmes d'armes, l'optronique, les munitions et la construction mécanique. Autant de know-how, accumulé de manière organique et qui devrait faciliter la tâche au moment d'injecter les 22 milliards de dollars dédiés par Ryad au soutien de la future industrie locale, dans le cadre d'un plan d'aide pluriannuel annoncé par la commission bilatérale maroco-saoudienne en janvier 2020. Il n'empêche qu'une industrie locale d'armement ou de la Défense, ne peut être viable si elle n'est pas résolument tournée vers l'export. Le Royaume devra ainsi mettre en place un réel partenariat public-privé pour arriver à faire de cette future plateforme un écosystème qui compte au moins au niveau régional. Un objectif qui nécessitera la création en plus de filiales de grands groupes détenteurs de licences ayant réussi l'épreuve du feu, comme d'entreprises de communication ou de PR dédiées au secteur, d'un volet évènementiel conséquent, voire d'une presse spécialisée. Amine ATER 3 questions à Nizar Derdabi « Le Maroc pourra s'appuyer sur l'expertise des USA et d'Israël »
Ex-officier de la Gendarmerie Royale et analyste en stratégie internationale, défense et sécurité, Nizar Derdabi nous trace les contours de la future industrie de l'armement. - En décidant de la mise en place d'une industrie d'armement nationale, quels seront les gains escomptés en termes tactiques et stratégiques pour le Royaume ? - Sur le plan tactique, le développement d'une industrie d'armement permet de répondre plus efficacement aux besoins opérationnels de ses forces armées. Sur un autre plan, le développement d'une industrie de défense répond à la nécessité d'avoir une autonomie stratégique en armement et munitions, afin de limiter la dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers. Par ailleurs, produire et exporter du matériel militaire permettra au Maroc de renforcer son partenariat stratégique avec ses alliés africains, car vendre ses armes, c'est aussi vendre son influence. - Quelle sera, selon vous, la composition de cette industrie, munitions, aéronautique, pièces de rechanges pour appareils militaires... ? - Il est difficile de se prononcer actuellement avec précision sur les types de matériel qui seront produits en premier, car cela dépendra des orientations stratégiques fixées par le commandement des FAR. Comme c'est le cas pour toute nouvelle industrie de défense, le matériel initialement produit ne concernera pas des technologies d'avant-garde (aéronefs, systèmes radars) mais plutôt des munitions d'artillerie et d'infanterie ainsi que des véhicules semi-blindés tels que les MRAP (Mine Resistant Ambush Protected) qui constituent un marché important vers l'export. Le développement de drones constitue également une opportunité à saisir, en commençant d'abord par la production de drones tactiques (drones de petite taille pour la reconnaissance et le ciblage des objectifs) avant d'envisager de développer des drones MALE (Medium Altitude Long Endurance) de plus grande portée qui procurent un avantage stratégique notable. Le Maroc pourra s'appuyer sur l'expertise des USA et Israël dans ce domaine, avec lesquels le Maroc a signé des accords de coopération militaire récemment. - Le partenariat avec l'Arabie Saoudite pour la mise en place de cet écosystème augure d'une volonté de créer une nouvelle industrie tournée vers l'export, quelles seraient, selon vous, ses clients potentiels ? - Le Maroc a déjà l'avantage d'avoir initié un partenariat stratégique avec un certain nombre de pays de l'Afrique de l'Ouest sur plusieurs domaines.Le retrait des troupes militaires françaises de l'opération Barkhane va automatiquement pousser les forces armées des pays du Sahel à renforcer leurs capacités militaires afin d'assurer leur propre sécurité. Le Maroc, en proposant du matériel à un prix compétitif, pourra facilement remporter des parts de marché face aux fournisseurs traditionnels qui sont la France, la Russie et la Chine. D'autant plus que le matériel développé par l'industrie marocaine répondra aux mêmes besoins opérationnels des forces armées du Sahel qui manoeuvrent dans un environnement et un climat similaires à ceux des provinces du Sud du Royaume.