C'est un constat : l'Afrique est l'un des continents les plus touchés par le fléau des enfants soldats, et ce depuis malheureusement trop longtemps. Une situation qu'il faut inverser à travers des mesures courageuses et sur le long terme. Explications avec Matteo Jacques Dominici, Directeur du Partenariat International et de la Coopération Internationale du Centre international de recherches sur la prévention des enfants soldats de Dakhla. - L'Afrique semble être la plus touchée par la problématique des enfants soldats et la maltraitance qui en découle à cause des conflits et du terrorisme. Quelle analyse faites-vous à ce sujet ? - L'Afrique est, en effet, l'un des continents les plus touchés par le fléau des enfants soldats, et ce depuis malheureusement trop de temps. Il ne faut pas, cependant, stigmatiser la problématique des enfants soldats comme une problématique uniquement africaine. Pour cela l'IRC(Centre international de recherches sur la prévention des enfants soldats de Dakhla) mettra en avant un ensemble d'études de cas comparatifs entre divers conflits internationaux afin de pouvoir apprendre et « tirer leçon » de façon empirique sur l'expérience d'autres conflits. L'Afrique a certainement des enseignements à recevoir et de nombreux autres à apporter dans les approches internationales liées à la thématique des conflits armées et l'atteinte à l'enfance. Pour cela nous avons développé au sein du Centre un Département Afrique, spécialisé sur le continent et sous la direction du Professeur Willy Didier FogaKonefon, qui saura plus que d'autres analyser et positionner les dynamiques internes à l'Afrique par rapport aux autres réalités conflictuelles armées internationales. - Justement, quelles contributions peut apporter l'Afrique dans les approches internationales liées à la thématique des conflits armées et l'atteinte à l'enfance ? - L'Afrique demeure malheureusement le Continent le plus touché par le fléau des enfants soldats de part une instabilité socio-économique continue, des troubles de gouvernance dans certains pays et, aujourd'hui, de plus en plus de problématiques liées aux aléas climatiques et environnementaux. Malgré toutes ces variables inconnues et imprévisibles, l'Afrique reste le continent démographiquement le plus jeune au monde, avec une moyenne d'âge de 19,6 ans contre les 30,4 ans à l'échelle mondiale, ce qui devrait pouvoir permettre un espoir de changement et développement d'envergure. C'est à la fois cette dynamique d'espoir et de jeunesse résiliente avec celle de l'Histoire, du vécu et des leçons apprises « sur la peau » des générations passées, qui permettront à l'Afrique de contribuer activement aux approches internationales liées à la thématique des conflits armés et l'atteinte à l'enfance. À ce sujet,il est utile de se référer aux recherches et cas d'études approfondis de trois de nos plus grands experts partenaires sur le sujet. Il s'agit de Mme Elisabeth Myers, avocate et professeur auxiliaire de droit à l'American University College of Law de Washington, M. Brema Ely Docko, professeur de sociologie à l'Université de Bamako au Mali et M. Charles Barisa, expert et membre du Comité rwandais de démobilisation et de réintégration. Ils nous offrent des angles d'analyses comparatives très importants ainsi que des approches stimulantes à cette thématique. - A votre avis, quelles sont les principales mesures ou actions à mener pour lutter efficacement contre la prolifération des enfants soldats et autres maltraitances à l'égard des enfants en Afrique ? - Pour lutter efficacement contre la prolifération des enfants soldats en Afrique, et plus généralement dans les conflits armés, qui je tiens à le souligner à nouveau, restent une problématique globale, je crois qu'il soit nécessaire avant toute chose de connaître de manière approfondie le problème et le considérer comme tel. Deuxièmement une fois le problème reconnu au niveau national et au sein de la gouvernance politique d'un pays, il est fondamental de créer des groupes de travail d'experts nationaux et internationaux sur le sujet afin de pouvoir activement échanger et dialoguer activement et comparativement ensemble et réformer les composantes juridiques en matière de droit à l'enfance où il serait retenu nécessaire de le faire. En troisième lieu il faudrait créer des commissions panafricaines d'enquêtes sur les crimes d'atteintes à l'enfance capables de plaidoyer et légiférer au plus haut niveau des instances internationales et soutenir ainsi les Etats dans leurs transitions législatives en matière d'enfants soldats et maltraitances à leurs égard et créer une codification légale unique, commune, synergique et standardisée contre ce fléau suivant les Principes de Vancouver cités par notre Executive Director Mme Provençal lors de l'inauguration de l'IRC. Enfin je pense qu'il sera nécessaire de créer de nouvelles bases de développement économique et social des communautés et Pays touchés par le fléau afin de s'engager durablement et activement contre la pauvreté extrême, le manque d'accès à l'éducation ou à une formation adéquate, la discrimination et la vulnérabilité ; qui forment malheureusement la fameuse « supplychain » du recrutement militaire enfantin, théorisée par mon collègue le Professeur Filali Président de l'IRC lors de l'inauguration du centre à Dakhla. - Que faut-il attendre du Centre face à ce fléau sur le continent ? - L'IRC se donne comme objectif final celui d'obtenir un rôle de premier plan dans la formulation de données et d'études approfondies à la fois qualitativement que quantitativement dans la thématique des enfants soldats. Au travers de nos recherches et nos chercheurs partenaires nous visons à appuyer, soutenir et conseiller les Etats, institutions politiques et autres centres de recherche académiques touchés par ce fléau en créant une synergie panafricaine et internationale qui puisse travailler ensemble pour formuler de nouvelles législations et réglementations pour la prévention des enfants soldats et le droit à l'enfance. Propos recueillis par Wolondouka SIDIBE Bon à savoir Le Centre International de recherches sur la prévention des enfants soldats, inauguré le 31 mars 2022 avec la présence de cinq ministres des Affaires étrangères, vise à devenir une institution de premier rang et internationalement reconnue pour la qualité de ses recherches, de ses chercheurs et analyses en matières de conflits armés et enfants soldats, explique Matteo Jacques Dominici. En outre, dit-il,« nous visons à faire de l'IRC une plateforme de rencontres internationales de haut niveau pour des chercheurs venus des divers continents et pays afin de contribuer à la constitution de rapports d'études et recherches les plus précis possible, capables de fournir un soutien d'envergure aux instances et législations internationales dans la formulation de réglementations en matières de conflits armés et droit à l'enfance ». Selon notre interlocuteur, l'IRC aura un rôle de plaidoyer au niveau des instances de droit international et commissions oeuvrant dans le droit à l'enfance, afin de soutenir à travers nos recherches les processus de tutelle et prévention du fléau des enfants soldats.