El Mostafa Bouignane est un romancier qui s'est fait connaître, depuis une quinzaine d'années, dans le champ littéraire, par des textes qui interrogent l'Histoire sociale du Maroc. Qu'il s'agisse de La porte de la chance (2007), Des houris et des hommes (2010), De Fès à Kaboul (2013), ou encore de L'année de Bacchus (2021), la grande histoire entre en relation de détermination avec la petite histoire : celles de gens dits ordinaires. Bien entendu, chaque roman interpelle un thème, une question spécifique mais toujours en rapport avec le passé et le devenir d'une société marquée par des événements hautement politiques, car même le plus intime des faits a sa racine dans l'ordre historique. Dans L'orchestre de Jacob, il s'agit encore de creuser l'Histoire à travers celle d'un orchestre qui a marqué le Maroc des années 50 aux années 90. Comme l'auteur l'explique dans sa postface intitulée « Comment est né ce livre ? », l'idée du récit a vu le jour fin 2015. Elle est née d'une conviction : l'Histoire du Maroc est une quelles que soient les croyances de ses multiples communautés religieuses, ethniques, linguistiques et culturelles. L'Histoire du Maroc est une Histoire tumultueuse, douloureuse parfois mais elle est aussi l'Histoire d'un savoir vivre-ensemble. De ce fait, Georges Abitbol a donné la matière du livre relative à sa famille (la famille des Botbol) et à l'orchestre de son grand-père, l'écriture de cette matière et d'autres « matières » c'est le romancier qui s'en est chargé. D'où le grand travail de composition, d'écriture et d'imagination développé par l'auteur afin d'atteindre l'essence des faits, des événements et des êtres. Le lecteur lira donc plusieurs Histoires tressées l'une dans l'autre et brodées l'une par le fil de l'autre : l'histoire politique et sociale du Maroc de 1917 à 2017 ; l'histoire de la musique et de la chanson au Maroc ; l'Histoire de la ville et de la Médina de Fès avec son Mellah ; et enfin l'Histoire de famille des Abitbol et surtout de l'orchestre qu'un certain Jacob Abitbol a créé dans les années 40. Une Histoire qui se présente au lecteur comme une vraie partition poly - ou plutôt stéréophonique. Des descriptions minutieuses et informées de lieux (Ville nouvelle et Médina de Fès, Mellah de Fès, Tanger, Casablanca, etc.) et d'événements (la mort du Sultan Hassan 1er, le Protectorat français, la résistance marocaine, la deuxième guerre mondiale, l'exil de la famille royale, l'Indépendance, le décès du Roi Mohammed V, l'exil volontaire ou forcé des familles marocaines juives en Palestine, le règne de Hassan II, etc.) ; descriptions que vient animer/nourrir une galerie de portraits d'hommes et de femmes (les Marocains de confession hébraïque vivant à Fès ; Touria Chaoui, Houcine Slaoui, etc.), qui ont marqué ce pays ; tout cela donne au récit la saveur d'un roman à la visualité dense et à la musicalité entraînante. Les quarante-cinq chapitres se succèdent comme des séquences filmiques au rythme tournoyant ; rythme que deux contes viennent ponctuer et dont la morale est simple : le vivre-ensemble est possible dans le respect des différences et des croyances des uns et des autres. Bref, avec L'orchestre de Jacob, on lira « Une histoire marocaine », comme le souligne le sous-titre du livre.