Homme d'affaires marocain, il se balade dans les dédales de la culture avec voracité. Il a récemment présenté dans sa ville natale, Casablanca, la nouvelle édition de son ouvrage «Le goût des confitures» (Virgule éditions). Plongée dans des scènes chargées de nostalgie, teintées d'humour. La traduction vers l'arabe de cette série de nouvelles est signée de la belle plume de Saïd Ahid. Dans le Royaume, le récit d'un juif marocain parlant de son pays d'origine serait-il plus enchantant que celui du musulman marocain qui se livre au même exercice ? Oui, puisque l'histoire l'impose et les esprits en raffolent. Avec acuité. Seulement, il serait temps de s'affranchir de cette dichotomie entre passion et raison. Bob Oré Abitbol, Casablancais inconsolable, le fait avec conviction. Homme d'affaires converti aux arts, à la culture et à la mode, il n'est pas à son premier essai : Les Faucons de Mogador (1994), Café Prag (2014), Jours d'été à Casablanca (2014), éditions Balzac. Il titille sa mémoire et la laisse s'exprimer. Entre la tolérance et le vivre ensemble, il choisit la raison de la seconde, celle qui maintient tout un pays en une harmonie colorée prête à dépeindre toute approche hostile à cette quiétude millénaire. Un ensemble de nouvelles pour raconter humblement le vécu d'un nostalgique qui se soigne. Le Maroc, le Canada, les Etats-Unis d'Amérique, le Mexique... et le Maroc. Dans son ouvrage «Le goût des confitures» (en référence aux célèbres marmelades de sa maman), il conte, la larme (joyeuse) à l'oeil, un passé auquel il s'accroche, de l'enfance douillette jusqu'au départ, passant par l'adolescence parfois humide dans un pays gorgé de soleil. Jeune, il est taxé d'homme d'affaires par ses copains qui le trouvent fin négociateur. L'auteur, par forte appropriation de son univers, écrit : «Tous les souvenirs d'enfants se ressemblent et pourtant chacun est personnel. J'ai beau vous entendre raconter vos aventures et m'apercevoir qu'effectivement elles ont un air de famille, les nôtres étaient uniques au monde, comme la rose du Petit Prince, parce qu'il s'agissait de nous. La réalité se transforme peu à peu en souvenirs et chaque jour qui passe les rend plus vivaces et plus purs.» Situations romancées Dans une écriture architecturalement hybride, l'auteur semble parler directement au coeur, sans trop s'attarder sur l'esthétique d'une rédaction trop soignée. Du mémoriel servi à louches débordantes. Avec une pointe d'humour bienvenue, Abitbol débride l'ambiance en convoquant des situations parfois romancées. L'exactitude ici est le fruit d'une imagination contrôlée à l'envi. Dans le tas de ces souvenirs émerge un mélange de croyances, une proximité inouïe des coutumes, un quotidien où juifs et musulmans écrivent ensemble l'histoire, la leur, ponctuée de choses simples et profondes. Les pauvres, les marchands ambulants, les personnels de maison... deviennent, sous une plume aimante, des cas légers : «'Notre pauvre' s'appelait Yhya, grand, barbe poivre et sel abondante, petit tarbouche noir de la même couleur que sa djellaba délavée, à moitié aveugle, sans doute victime du trachome qui sévissait avec fréquence, tenant à la main un roseau qui lui tenait lieu de canne, il priait sans arrêt. Ma mère nous poussait pour qu'il nous bénisse ! Elle n'allait quand même pas donner son bel argent sans recevoir quelque chose en échange, ne serait-ce qu'une petite bénédiction ! (...) Abdallah l'aveugle venait chanter sous nos fenêtres. Sa voix, d'une pureté exceptionnelle, s'envolait de la courette où nous vivions jusqu'aux terrasses avoisinantes, jusqu'au ciel, jusqu'aux étoiles, jusqu'à Dieu lui-même. Tout se taisait ! Un grand silence religieux que respectaient même les moineaux et les hirondelles ! Son chant déchirant disait quand même l'espoir d'une vie meilleure.» Il y a aussi Fatima la «s'bana», Chaouïl le batteur de matelas, Haïm l'homme à tout faire, M'Hamed le roi des légumes... Ainsi s'enchaînent les scénettes, dignes d'une mise en images. Clarté désarmante Bob Oré Abitbol est l'écrivain de l'entente. Sans trop se prendre au sérieux, dans le sens classique de la littérature, il s'exprime avec une clarté désarmante. Même sa poésie qui parsème l'ouvrage est d'un fluide accès. «Sous sa plume volontairement irrégulière et saisissante -sa grammaire du coeur, à vrai dire-, l'imparfait devient présent et le présent passé. A qui importent la concordance, les points et les virgules quand on aime ?», dit dans sa préface Arlette Sanders. Si c'est pour justifier un style rigoureusement urbain duquel découlent odeurs et couleurs, on est tenté d'ajouter : une nostalgie à couper au couteau. Abitbol déploie son monde judéo-marocain pour se remémorer. Le journaliste Mohamed Ameskane conclut en postface : «La littérature judéo-marocaine est là. Il est temps de la faire connaître, de la traduire et de la célébrer. N'est-elle pas un pan de notre culture, de notre mémoire, de notre imaginaire et de notre identité multiple ?» Multiple et parfois erratique. Anis HAJJAM