Les secteurs de la presse, du cinéma ou encore de l'édition font face depuis longtemps à une crise économique, sans pour autant disposer de mécanismes de financements à cause de leurs business model atypiques pour les bailleurs de fonds traditionnels. Il n'y a d'entreprise que rentable. Cette loi de la nature économique ne se suffisant pas toujours à elle-même, les finances publiques sont devenues un « recours » sollicité de toutes parts. De l'édition au cinéma, en passant par la presse, les subventions sont devenues une sorte de feuille de vigne qui n'arrive plus à cacher la misère de l'entrepreneuriat culturel dans ses différentes manifestations. Dans le secteur, le crédit bancaire est quasiment inconnu. Et pour cause, la culture a beau se réclamer des industries, les projets n'ont pas la taille critique de la rentabilité, du retour sur investissement pour justifier une mise de fonds bancaires. Quelle institution bancaire en effet, au vu de la réalité de la fréquentation des salles de cinéma, se laisserait convaincre du remboursement du prêt sur les recettes que générerait une production cinématographique qui tient plus de l'art et essai, bref du circuit des cinéclubs sensibles aux débats, que du spectacle cinématographique ? L'expérience est là et les films sont souvent déprogrammés par des salles de cinéma au bout d'une semaine d'exploitation à cause, précisément, du désintérêt des spectateurs qui ne s'y reconnaissent pas... Dans ce cas de figure, il est clair qu'aucune banque ne prendrait le risque de faire « des avances sur recettes » de 5 millions de dh à des projets de films dont le scénario est souvent écrit par le réalisateur. L'on a vu que des subventions furent même accordées à des projets de film dans lesquels le scénariste est également, producteur, acteur et réalisateur... ce qui n'est pas en faveur de la création de l'emploi dans le cinéma, en particulier, l'audiovisuel en général. Cette problématique n'est pas propre au cinéma. L'édition de livres, comme en témoignent les ouvrages publiés ces dernières années, est également entièrement plongée dans ce schéma. L'effet pervers dans l'édition est que les éditeurs ne publient plus de livres sans subvention qui devient ainsi un facteur d'inhibition et non de créativité dans le secteur. Des aides publiques, il en faut, certes, mais de là à s'imposer comme l'unique recours, sans obligation ni contrepartie mesurable, reste une aventure pour les finances publiques que n'emprunterait aucune banque ou gestionnaire soumis à la reddition des comptes et à l'obligation de résultat. Plus problématique encore : des éditeurs sans moyens font du compte d'auteur une source de revenu et installent une culture de l'édition qui n'a réussi dans aucun pays au monde, sinon à gonfler l'égo de ces écrivains autoproclamés. Dans la presse, les initiatives de création ne concernent plus des groupes comme le Maroc en a connus par le passé et qui continuent à exister, faisant preuve de résilience face à la fluctuation des ventes et de la publicité. La mortalité des entreprises de presse est une donnée remarquable même dans la presse partisane, en dehors de la presse de l'Istiqlal, du PPS et l'Usfp. Qui se souvient de l'hebdomadaire Le Message de la Nation de l'Union constitutionnelle ou du quotidien Al Maghrib du Rassemblement national des Indépendants ? Sans oublier, bien entendu, l'hécatombe qui sévit dans les rangs des projets de presse qui relèvent plus de l'auto-emploi que de l'entreprise. Dans ce contexte et selon Younes Moujahid, président du Conseil National de la Presse, « Plus de 53% des journaux emploient moins de 5 journalistes, et plus de 28% d'entre eux emploient un journaliste qui est à la fois directeur de publication, rédacteur en chef et journaliste. Quant à la presse électronique, 86 % de ses entreprises emploient moins de cinq journalistes et environ 47% emploient une personne qui est au même temps journaliste, directeur de la publication, rédacteur en chef et propriétaire du projet. » . Une récente rencontre consultative avec les éditeurs de presse, la problématique du modèle économique a été posée par l'actuel ministre de la Culture et de la Communication, en présence de Faouzi Lekjaâ, ministre délégué chargé du Budget. La rencontre a tourné autour des axes « l'entreprise de presse : quel modèle économique adéquat », « la formation : un levier essentiel pour améliorer le contenu journalistique », et « le développement technologique et l'inévitable transformation numérique ». A cette occasion, le ministre de la Culture et de la Communication a insisté sur la question des subventions publiques d'un point de vue "investissement", soutenant clairement qu'il est "préférable d'investir dans un domaine, plutôt que de le subventionner, à la faveur d'un nouveau modèle visant à institutionnaliser cet investissement et à le soumettre aux règles de gouvernance et de transparence", s'abstenant d'ajouter... et de rentabilité, car le nœud du problème y est fondamentalement inscrit. Pour sa part, le ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des finances, chargé du budget, Fouzi Lekjaa, affirmera que la situation actuelle de l'entreprise de presse reste vulnérable. Il ajoutera que le fait de continuer à « ne se focaliser que sur l'aspect fiscal de la problématique et sur les subventions publiques ne fera qu'exacerber cette vulnérabilité ». Lors du webinaire organisé par l'Alliance des Economistes Istiqlaliens, le débat avait porté, notamment, sur la nécessité de « faire de l'acte culturel et créatif, un acte économique », comme il fut question de favoriser la création de champions nationaux dans l'édition comme dans le cinéma ou, pourquoi pas ?, dans la presse. Globalement, il est possible d'écrire que la culture qui compterait selon les chiffres de la Fédération des Industries Culturelles et Créatives, affiliée à la CGEM, 1100 entreprises, est en attente d'un plan de développement global et structuré à l'instar de l'agriculture (Maroc Vert) et de l'industrie (Plan Emergence). La culture a bien eu sa vision 2020, mais une année plus tard quel bilan ? Les déclarations ne font pas une politique mais les mesures prises qui décident de l'avenir de tel ou tel secteur économique. Et la culture en est un, à part entière.