Confrontée au risque des départs à la retraite des enseignants et aux difficultés de l'instauration du Bachelor, l'Université marocaine fait face à plusieurs défis de gouvernance. Le ministre de tutelle, Abdellatif Miraoui, parie sur la réforme globale du recrutement et du système pédagogique. Détails. A peine Abdellatif Miraoui a-t-il pris les rênes du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation, qu'il a affiché son ambition de faire sortir l'Université marocaine de son marasme. Le ministre, qui vient du monde académique, connaît très bien les torts et les travers de l'enseignement supérieur et veut y remédier par les préceptes du Nouveau modèle de développement, dont il était l'un des rédacteurs. Depuis son entrée en fonction, l'ex doyen d'université n'a eu de cesse de répéter qu'il faut une réforme globale et profonde pour propulser l'université dans le chemin de l'excellence dont elle a dévié depuis longtemps. Réforme pédagogique, valorisation des ressources humaines, concrétisation du Bachelor et promotion de la recherche scientifique, le ministère de tutelle est plein de bonnes intentions, pourtant les défis sont tellement grands qu'ils requièrent une volonté de fer pour les surmonter et, de toute évidence, les moyens financiers pour les réaliser. Avant même de s'attaquer au problème des ressources humaines, le ministre s'est vite aperçu d'un problème de fond, auquel il faut se préparer dès maintenant. C'est la pénurie des professeurs qui ne manquera pas de se faire sentir dans les années à venir si rien n'est fait. 4744 départs à la retraite à l'horizon de 2030 D'ici 2030, plus de 4744 professeurs universitaires vont partir à la retraite, selon les chiffres présentés par Abdellatif Miraoui, à la Commission de l'Enseignement, de la Culture et de la Communication à la Chambre des Représentants. Le ministre a pris part à une réunion avec les membres de la Commission, dans une séance tenue à huis clos, où il a exposé sa stratégie pour améliorer la gouvernance de l'Enseignement supérieur. Cette réunion a été l'occasion d'aborder le problème du sous-effectif du corps professoral. Dans les années à venir, 527 professeurs partiront annuellement à la retraite, ce qui fait que 4744 personnes quitteront leurs postes entre 2022 et 2030. Les filières scientifiques et techniques demeurent les plus touchées par les départs à la retraite, avec 64% des professeurs concernés (3030). D'où l'urgence de trouver la relève, sachant qu'actuellement, les universités comptent environ 20.771 professeurs permanents, soit une hausse de 4,1% par rapport à l'année universitaire 2021-2022. Cette hausse demeure inférieure à celle du nombre global des étudiants qui a augmenté de 8,5%, sachant que celui des nouveaux étudiants a augmenté de 10,3% pendant la dernière rentrée universitaire. Vers des enseignants de nouvelle génération ! Le ministère de tutelle compte, pour sa part, recruter des professeurs de "nouvelle génération", selon le terme employé par Abdellatif Miraoui qui n'a pas écarté la possibilité de faire appel aux compétences marocaines à l'étranger. Pour trouver du personnel qualifié, Miraoui a fait part de sa volonté de puiser dans les postes alloués aux fonctionnaires porteurs de doctorat auxquels sont alloués des postes budgétaires. Le ministère veut également améliorer l'attractivité du métier de professeur universitaire en élaborant une nouvelle loi régissant le statut du corps des enseignants-chercheurs de l'Enseignement supérieur. Celle-ci devrait apporter plus de motivations et d'incitations à la performance. A cet égard, le ministre actuel a hérité de son prédécesseur le projet de révision du statut de Chercheur, qui n'a pas abouti lors du mandat du gouvernement précédent. L'anarchie qui caractérise l'activité des professeurs universitaires nécessite une solution radicale. Le projet que portait Saïd Amzazi consistait à adapter le système académique marocain aux normes internationales, en mettant en place deux grades d'enseignants : Maître de conférences et Professeur de l'Enseignement supérieur. Sans livrer tous les détails de la réforme qu'il prépare, Abdellatif Miraoui l'a résumée aux députés dans des principes généraux. Ce qu'il faut retenir c'est que l'évolution de carrière sera conditionnée par la performance selon des normes d'évaluation. Ici le ministère veut concrétiser le principe de méritocratie. Aussi le ministère veut-il revoir le recrutement des professeurs sur la base d'une méthode plus rigoureuse. Il ne suffira plus de présenter un doctorat pour enseigner à l'université avec des conditions confortables sans la moindre reddition de comptes. Qualité de l'Enseignement : les difficultés s'accumulent En plus du problème des ressources humaines, la qualité de l'enseignement demeure un sérieux problème qui ronge l'université. Un problème qui trouve ses racines dans les défauts de l'orientation, selon Abdellatif Miraoui qui a fait état d'un chiffre significatif. 35% des étudiants issus du Baccalauréat scientifique et technique choisissent les sciences économiques, juridiques et humaines dans leurs études supérieures. Ce problème est d'autant plus prégnant qu'il manque une affinité entre les filières ce qui complique la réorientation. Il ne faut pas s'étonner de voir que 49,4% des étudiants qui entrent à l'université en sortent sans aucun diplôme. L'orientation n'est pas l'unique cause de cela, Abdellatif Miraoui a également souligné un autre problème qui porte atteinte à la qualité de la formation. Il s'agit de la différence linguistique entre la formation secondaire et la formation universitaire surtout en ce qui concerne les filières scientifiques et économiques. Force est de noter que les matières scientifiques ont été, pendant des décennies, professées en arabe, les nouveaux bacheliers se trouvaient, aussitôt qu'ils commencent leurs études supérieurs, chamboulés par le changement de langue, ce qui complique leur début de parcours. Quelques-uns finissent par quitter l'université vers la formation professionnelle ou interrompent même leurs études. Par ailleurs, le système de Bachelor qui a été mis en place pour rapprocher l'université du marché de travail ne semble pas aussi prometteur qu'on l'aurait cru au début. Devant les députés, Abdellatif Miraoui a évoqué l'avis du Conseil Supérieur de l'Education, de la Formation et de la Recherche Scientifique, qui a clairement souligné l'inefficacité du nouveau système, qui cause des troubles de gestion aux universités. Lesquelles ne peuvent pas, semble-t-il, gérer deux systèmes parallèles (Licence et Bachelor) en même temps. Prenant acte de toutes les difficultés susmentionnées, le ministère place ses espoirs dans la nouvelle réforme pédagogique (voir Encadré). Anass MACHLOUKH Réforme pédagogique : pari sur la formation continue
Le ministère de tutelle veut, dans le cadre de sa réforme globale, mettre en place une nouvelle architecture pédagogique, basée en grande partie sur la formation continue. Parmi les mesures envisagées : établir une harmonie entre les filières pour permettre plus de mobilité et le pari sur la numérisation. A cet égard, le ministère compte promouvoir l'enseignement à distance et créer des filières spécifiques à ce mode de formation. La nouvelle réforme a pour objectif de renforcer la liaison entre le monde universitaire et le marché de travail, en renforçant l'offre des formations professionnelles et le soutien des parcours entrepreneuriaux des étudiants porteurs de projets.