La légalisation du cannabis à usage médical et thérapeutique représente une rupture avec l'ancien modèle de production marqué par l'informel et miné par les pratiques illégales. Près d'un an après l'entrée en vigueur de la loi, éclaircissements sur une avancée dont les retombées se font attendre sur le terrain. - Près d'une année après la légalisation du cannabis médical, quelles sont les retombées réelles attendues de cette mesure ? - La légalisation de l'usage médical, industriel ou récréatif du cannabis ne peut être qu'à l'avantage des agriculteurs, des consommateurs et de l'Etat, non seulement parce qu'elle fait obstacle aux réseaux illégaux de trafic de drogue, mais aussi parce qu'elle diminue les risques de santé liés à sa consommation. En fait, s'il n'avait pas été légalisé, le cannabis marocain se serait retrouvé sans débouchés dans moins de dix ans, c'est ce que le ministère de l'Intérieur a confirmé dans une étude de faisabilité de la loi n°21.13 qui a été présentée devant le Parlement, ce qui a également été indiqué par les rapports de l'ONUDC et de l'OICS, en raison des surfaces cultivées élevées en milieux fermés en Europe, de la production de cannabinoïdes sans culture et de la présence de plantes génétiquement modifiées contenant une concentration plus forte de THC. Concernant le marché mondial du cannabis, des études révèlent que les ventes mondiales du cannabis dans ses diverses formes et composantes ont dépassé 37,4 milliards de dollars américains en 2021 et pourraient atteindre 102 milliards de dollars d'ici 2026 et environ 91,5 milliards de dollars pour le cannabis médical d'ici 2028. - Y a-t-il des nouveautés concernant les zones où la culture du cannabis sera autorisée ? - L'article 4 de la loi n° 21.13 stipule que la désignation des régions sera effectuée en vertu d'un décret, qui n'a pas encore été publié jusqu'à présent. Cependant, il existe une déclaration officielle à la MAP du directeur de l'Agence de développement des provinces du Nord, affirmant que la loi concerne exclusivement les zones connues pour cette culture et n'inclut pas le reste des régions du Maroc. Il est inconcevable que ces zones soient destinées exclusivement à la culture du cannabis, car la loi exige le respect des cycles agricoles, et la production est soumise à des quantités précisées par l'Agence, étant donné que la convention de 1961 exige la détermination de quantités dans le cadre de ce que l'on appelle dans la convention le régime des évaluations. D'autre part, c'est déraisonnable pour l'Etat de créer une concurrence pour les zones de culture de cannabis existantes, il est donc certain que la licence de culture ne dépassera pas ces zones, tant que les agriculteurs de ces zones demanderont des licences, qui ne sont pas obligatoires s'ils ne cultivent pas de cannabis. L'un des objectifs de la légalisation du cannabis au niveau de ces régions est de les réhabiliter afin qu'elles puissent choisir à l'avenir entre maintenir la culture du cannabis ou en finir avec celle-ci lorsqu'elles auront d'autres options, en fait, ces choix devront être faits par les régions elles-mêmes. - Qu'en est-il de l'usage récréatif du cannabis, comment expliquez-vous son exclusion du processus de légalisation ? - La Convention des Nations Unies était explicite en interdisant l'usage du cannabis à des fins autres que médicales ou scientifiques, et c'est pour cette raison que le Maroc n'a pas autorisé l'usage récréatif du cannabis, afin de rester fidèle à ses obligations internationales à cet égard. Cet usage est toujours criminalisé en vertu du droit pénal. Cela était cohérent avec l'inclusion du THC dans la quatrième annexe de la convention, qui comprend des drogues dont l'abus peut constituer un danger grave pour la santé et n'avoir aucune valeur thérapeutique. Mais, avec la récente décision de la Commission des stupéfiants des Nations Unies, cette substance a été supprimée de la quatrième annexe et sa classification a été limitée à la première annexe, qui comprend les drogues dont l'abus ne constitue pas une menace grave pour la santé et peut avoir un bénéfice thérapeutique. - Comment expliquez-vous alors que des pays signataires de la convention de 1961 ont décidé de légaliser cet usage ? - En effet, de nombreux pays signataires de cette convention autorisent l'usage du cannabis à des fins récréatives, par exemple, les Pays Bas en 2003, le Paraguay en 2013, le Chili en 2015, le Canada en 2018, Malte en 2021, aussi des Etats des USA et le district de Colombie. Il s'agit ici d'un défi du système des Nations Unies. Malgré cela, l'usage récréatif du cannabis transgresse l'obligation internationale stipulée dans la Convention de 1961, et l'Organisation internationale de contrôle des stupéfiants des Nations Unies l'a constamment souligné dans ses rapports annuels, et a toujours critiqué la tendance adoptée par certains pays dans la légalisation de cannabis récréatif. A l'exception du cas de la Bolivie ou la mastication de coca est autorisée par la loi et en respect de la convention de 1961, car ce pays a bénéficié du droit de réserve autorisé par la Convention des Nations Unies, lors de sa réadhésion dans la convention en 2013, afin de permettre à ses citoyens de mâcher des feuilles de coca en raison de sa dimension culturelle, qui a été approuvée après que le nombre de pays refusant n'ait pas atteint le quorum. Quant au Maroc, il n'a pas adopté la même approche, et aussi il n'a pas enregistré de réserve pour l'usage récréatif du cannabis lors de la signature de la Convention de 1961, qui accorde le droit à cet usage pour une durée de 25 ans à compter de la date de son adhésion. Dans ce contexte, la Commission spéciale du modèle de développement (CSMD) a recommandé dans son rapport soumis à Sa Majesté d'introduire dans cette nouvelle stratégie de l'Etat en matière de drogue l'usage personnel réglementé du cannabis avec un périmètre bien défini (circuit distribution, lieu et quantités autorisées), et la même chose a été faite dans le rapport annuel 2020 du Conseil Economique, Social et Environnemental. - Autre particularité marocaine sur la question : le choix de placer la future agence sous la tutelle du ministère de l'Intérieur, comment expliquez-vous ce choix ? - D'après le décret n° 2.21.642 du 31 août 2021 portant application de la loi 13.21 relative à l'usage licite du cannabis, l'agence est mise sous tutelle du ministère de l'Intérieur, tandis que dans d'autres expériences du même genre, la délivrance de l'autorisation et le contrôle de la culture du cannabis médical sont mis sous la tutelle du ministère de la Santé, comme c'est le cas au Canada ; quant aux Pays-Bas, l'Allemagne et l'Uruguay, ces tâches sont déléguées successivement à l'Office du Cannabis Médicinal (BMC), à l'agence du cannabis établie à l'Institut fédéral des médicaments, à des dispositifs médicaux (BFARM) et à l'Institut pour la réglementation et le contrôle du cannabis (IRCCA) qui dépendent tous du ministère de la Santé. Concernant la vente du cannabis médical, pour le Canada par exemple, elle est soumise à un permis de l'Agence du Revenu du Canada qui est une agence du gouvernement fédéral chargée de l'application des lois fiscales pour le gouvernement du Canada et la plupart des provinces et territoires. Il semble que le Maroc ait choisi de placer l'agence sous la tutelle du ministère de l'Intérieur parce qu'elle est censée être chargée de tout type de cannabis qu'il soit destiné à des fins médicales, pharmaceutiques ou industrielles, cela va au-delà de la compétence d'un seul ministère, qu'il soit de la Santé ou de l'Agriculture, sans compter que ce qui relève de la lutte contre le trafic illicite du cannabis est finalement du ressort du ministère de l'Intérieur. Recueillis par Safaa KSAANI Portrait Chassez le naturel, il revient au galop
Comment ne pas être aussi sulfureux lorsqu'on a été proche du défunt Omar El Khattabi, neveu du prince du Rif ? Né à Nador en 1980, Chakib El Khayari est connu pour son esprit rebelle. Ce rifain, ancien président de l'Association du Rif des Droits de l'Homme et président d'un collectif pour l'usage médicinal du cannabis, a un passé de militant bien rempli. En juin 2009, le Tribunal de Casablanca a condamné le Président de l'Association du Rif des Droits de l'Homme (ARDH) à trois ans de prison et à une amende de 750.000 dirhams pour le compte des douanes, sur la base du Code pénal. Il a bouclé ses deux ans et trois mois de prison avec un Prix d'intégrité décerné par Transparency Maroc.