Le pass vaccinal est exigé officiellement dans les endroits publics, avec obligation de la troisième dose. Une mesure qui va changer le quotidien des Marocains, dont une partie semble mécontente. En plus du débat sur sa constitutionnalité, des difficultés techniques compliquent l'application du pass controversé. Détails. Reconduit à la tête du ministère de la Santé à la place de Nabila Rmili, Khalid Ait Taleb a choisi de marquer son retour au gouvernement par une annonce de taille : la troisième dose sera bel et bien indispensable six mois après les deux premières, autrement le passeport vaccinal ne sera plus valide. Cette annonce a pris tout le monde de court, d'autant qu'on croyait que la dose supplémentaire était réservée aux personnes âgées et au personnel de première ligne. C'est en tout cas ce qu'avaient laissé croire les quelques membres du Comité technique de vaccination, qui ont expliqué cela dans des sorties médiatiques avant même la sortie du communiqué officiel du 1er octobre émanant du ministère de la Santé. En effet, interrogés à maintes reprises par nos soins, des membres du Comité avaient exclu l'option de la généralisation de la troisième dose, sous prétexte qu'elle n'était pas nécessaire compte tenu de la conjoncture épidémiologique du moment. Il s'agit donc d'un revirement de dernière minute. Ce qui est sûr, c'est que la décision concernant la 3ème dose a eu l'aval du Comité technique, lequel ne peut émettre d'avis qu'à l'unanimité, nous explique une source bien informée qui a requis l'anonymat. Le pass sanitaire entré en vigueur L'annonce de Khalid Ait Taleb, qui a choisi de la faire sur l'antenne d'Al Oula, est intervenue un jour après que le gouvernement ait imposé le pass sanitaire de façon formelle dans les lieux publics. L'une des premières mesures d'envergure du nouvel Exécutif. Désormais, les déplacements entre les préfectures et les provinces seront conditionnés par la possession d'un passeport vaccinal valide. Idem pour l'entrée aux endroits communs tels que les administrations publiques, semi-publiques et privées, les établissements hôteliers et touristiques, les restaurants, les cafés et les espaces fermés comme les commerces, les salles de sport et les hammams. Les transports publics sont également concernés. Selon une source autorisée, le pass vaccinal n'est valide que pendant la durée qui sépare chacune des doses de la suivante. En clair, en cas de dépassement de la durée de six mois après la date de la deuxième dose, le passeport devient obsolète, selon l'expression du ministre. Le fait est que les experts affirment que l'immunité diminue drastiquement au bout de six mois après l'injection de la deuxième dose. Ceci fait l'objet d'un débat à l'international et ne concerne pas uniquement le Maroc. En outre, tandis que les autorités n'attribuaient le pass vaccinal qu'après la fin des deux doses, il est désormais possible de retirer le document dès la première dose, le code QR restera valide tout au long de la durée qui sépare les deux doses et qui varie selon les vaccins. (Sinopharm prend 21 jours, alors qu'AstraZeneca requiert 28 jours d'intervalle). L'éternel débat sur les libertés individuelles Si les autorités ont adopté le pass sanitaire comme incitation à la vaccination, le but est d'accélérer l'atteinte de l'immunité collective, sachant que plus de cinq millions de personnes de la population cible de la campagne de vaccination ne sont pas encore vaccinées. Tayeb Hamdi, expert en politiques et systèmes de santé, estime que «le rôle du pass vaccinal est de permettre à l'écrasante majorité des Marocains vaccinés de reprendre une vie quasinormale, en attendant une immunité collective plus large et la fin de la pandémie ». Selon l'expert, le pass vaccinal permet également de protéger les non vaccinés eux-mêmes, leur entourage et la population en général du risque qu'ils représentent. Pour argumenter son raisonnement, M. Hamdi avance des chiffres : «Une personne non vaccinée court un risque 11 fois plus élevé de décès, et 10 fois plus de forme grave de Covid-19, et propage beaucoup plus le virus que si elle était vaccinée. Des études ont montré que sur 100 décès par Covid, 99,5% sont non vaccinés». Ces arguments ne sont pas assez convaincants pour une partie importante de la société civile qui voit dans l'imposition du pass vaccinal une atteinte aux libertés individuelles et une transgression de la Constitution. Au sein de la société civile, le camp du refus s'est aussitôt mobilisé pour manifester leur refus de la mesure prise par le gouvernement. Indignés, des milliers de personnes ont lancé une pétition pour appeler à l'abrogation du pass vaccinal, plus de 18.000 signatures ont été récoltées. Ce mouvement inclut même des figures influentes de l'opinion publique. Ce « collectif citoyen » a fait part de son «incompréhension de la décision d'imposer un « pass vaccinal » sans aucun préavis ou délai raisonnable, ni débat national sur la question ». Sur les réseaux sociaux, le débat sur la constitutionnalité du pass vaccinal s'est imposé de façon prégnante et continue de susciter les oppositions les plus vives. En tout cas, il est possible que la Cour constitutionnelle soit appelée à trancher définitivement en cas de saisine. Ce qui demeure fort probable vu qu'une certaine formation politique de l'opposition a annoncé qu'elle «se réserve le droit de saisir la Cour constitutionnelle pour contester la légalité du pass vaccinal». Pour leur part, les juristes constitutionalistes gardent l'oeil braqué sur la loi suprême. Mohammed Amine Benabdellah, ancien membre du Conseil constitutionnel de 2008 à 2017, nous explique que l'Etat peut interdire l'accès à certains endroits publics, mais ne peut pas contraindre les gens à aller aux centres de vaccination. « Il s'agit d'une mesure de police qui vise à garantir la santé et l'ordre public », nous explique doctement l'auguste constitutionaliste, qui assimile le pass vaccinal au certificat du test PCR. M. Benabdellah récuse l'argument de l'inconstitutionnalité du pass vaccinal, arguant qu'il s'agit d'une mesure exceptionnelle destinée à faire face à une situation qui l'est aussi, et qui relève du domaine de la loi. Contrôle du pass vaccinal : d'innombrables difficultés Au-delà du débat juridique et intellectuel, le pass vaccinal pose certains problèmes quant à son application, Khalid Ait Taleb a annoncé qu'une application sera téléchargeable sur les smartphones dès la semaine prochaine. Or, le vrai défi est de s'assurer du contrôle des pass dans les endroits publics. Pour les cafetiers et les restaurateurs, il est hors de question de vérifier les certificats de vaccination alors que les employés ne sont pas investis de l'autorité publique, ce qui va les opposer aux citoyens dans un rapport de force opaque. Contacté par nos soins, Nourredine Harrak, président de l'Association des propriétaires des cafés et des restaurants du Maroc, juge «extrêmement compliqué» le contrôle des gens, qui risque forcément de faire fuir la clientèle. M. Harrak nous annonce que la corporation des cafetiers et des restaurateurs se dirige vers le refus du pass vaccinal. Le cas des cafés concerne également les cinémas, théâtres, salles de sport et autres lieux publics cités dans le communique du gouvernement. Par ailleurs, le contrôle des pass vaccinal est d'autant plus dur à exécuter qu'il faut que tous les endroits publics assujettis à cette mesure soient assez équipés pour le faire. C'est-à-dire avoir les logiciels de contrôle et former le personnel dessus. Anass MACHLOUKH Les établissements publics exigent le pass vaccinal Dès l'annonce du gouvernement, les communiqués des établissements publics concernant l'imposition du passeport vaccinal dans leur enceinte ont commencé à pleuvoir. Le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication n'a pas tardé à rendre le pass vaccinal obligatoire à la fois pour les fonctionnaires et pour les visiteurs. Le département de Mehdi Bensaïd a acté cette décision dans une circulaire qui a fuité à la presse. Idem pour les aéroports du Royaume, dont l'accès sera désormais conditionné à la présentation du pass. Dans un avis publié mercredi, l'Office national des aéroports (ONDA) a informé les usagers que «suite à la décision des autorités marocaines, à partir du 21/10/2021, pour accéder aux aéroports vous devez présenter votre pass vaccinal».