Le monde a célébré en toutes les langues, jeudi 30 septembre, la journée internationale de l'une des plus anciennes pratiques de l'Histoire humaine, la traduction. Au Maroc, une minorité dominante s'approprie le privilège exclusif d'exercer légalement ce métier renvoyant la misérable majorité aux pratiques informelles. Combien de civilisations auraient décliné, combien de savoirs auraient été accaparés par les locuteurs d'une langue sans que les allochtones ne puissent s'en imprégner, et combien de liens et rapports entre les Etats n'auraient pu se coudre si la traduction n'avait jamais existé ? Inutile est de chanter les bénéfices et faire l'éloge d'une activité aussi antique que précieuse si l'on tient compte du cadre professionnel empoisonné dans lequel elle est exercée. Le contexte marocain, contrairement à ses semblables ailleurs dans le monde, n'offre pas une diversité de choix pour les traducteurs, qu'ils soient chevronnés ou en herbe. En fait, notre pays est en panne de lecteurs avec une moyenne de 2 minutes de lecture quotidiennement pour chaque marocain et est peu développé en matière de recherche scientifique. Ces deux domaines, à savoir la littérature et la science, représentent un champ favorable pour l'activité de traduction dans certains pays mieux développés que le nôtre et font partie des plus grands types de traduction. Ceci dit, la traduction juridique, conditionnellement appelée assermentée, demeure le seul terrain fertile pour les traducteurs afin de mettre en œuvre leur plurilinguisme conjugué à une quasi-parfaite maîtrise de la terminologie juridique. Etant un secteur sensible, l'agrément nécessaire pour ouvrir un cabinet de traduction est soumis à des conditions superflues, voire rédhibitoires. Assermentation, rêve inachevé et conflit d'intérêts
L'examen d'assermentation des traducteurs agréés près les juridictions n'est point, comme il devrait l'être, la petite cerise qu'on met sur le gâteau et qui couronne plusieurs années de persévérance. En fait, le concours d'accès au métier de traducteur assermenté est organisé au Maroc une fois chaque 4, 5... 10 ans, voire plus. Les traducteurs ayant réussi ce concours sont dans l'obligation d'effectuer un stage d'une année dans un cabinet de traduction assermentée avant d'être éligibles à passer l'examen organisé par le ministère de la Justice. Les plus chanceux sont par la suite contraints à ouvrir des cabinets de traduction dans la ville qui leur sera imposée par le ministère en fonction du manque dans les différentes juridictions nationales. Par ailleurs, ces examens d'assermentation sont corrigés conjointement par des responsables issus de juridictions nationales et des traducteurs assermentés. Cette implication de traducteurs dans le processus de correction est remise en question par les jeunes lauréats. Groupés au sein de l'Association ATAJ (Association des traducteurs agréés près les juridictions), ces anciens traducteurs, exerçant et accaparant le marché depuis des décennies, sont accusés par un bon nombre de jeunes lauréats de vouloir garder le monopole de cette activité dont les documents font foi dans les tribunaux du Royaume et auprès des administrations et des représentations diplomatiques étrangères au Maroc. Le président de l'association ATAJ, El Houssine Birouaine, dément catégoriquement ces allégations expliquant que « nous comprenons parfaitement le mécontentement de ces jeunes mais la porte du métier reste ouverte pour tous les jeunes traducteurs, qui prendront la relève dans le futur, à condition qu'ils soient compétents. Quant au concours, il est nécessaire de faire participer les traducteurs assermentés au processus de correction afin d'assurer une meilleure qualité ». Voyant se dissiper leur rêve, les aspirants traducteurs-assermentés se dirigent vers les plateformes digitales où l'abondance de l'offre se fait voir mais où la qualité de la traduction fait défaut. Ces traducteurs freelance se heurtent à une dominance indienne et égyptienne. En fait, contrairement à plusieurs disciplines dont les pratiquants doivent faire preuve d'une technicité palpable, la traduction est, selon certains, équivalente au polyglottisme, et toute personne au moins parfaitement bilingue est automatiquement un bon traducteur. Il n'a jamais suffi de se procurer une caméra pour devenir un Roger Deakins, ni un pinceau pour être un Vincent van Gogh. De même, ce n'est pas en apprenant deux langues qu'on devient un Jorge Luis Borges, une Jacqueline Risset ou un Abdallah Ibn al-Muqaffa. Achraf EL OUAD
Le 30 septembre, pour une raison Cette date marque le décès de Saint-Jérôme, traducteur de la Bible qui fut reconnu saint patron des traducteurs. Saint-Jérôme était un moine, natif de Stridon, sa langue maternelle était un dialecte illyrien. Il poursuivit ses études en philosophie à Rome où il apprit le latin. Plus tard, durant ses voyages et au cours de sa vie, il apprit à maitriser le grec et l'hébreu. Il est connu principalement pour sa traduction de la version grecque de la Bible en latin et de sa traduction partielle de l'Evangile de l'hébreu en grec. Jérôme mourut près de Bethléem le 30 septembre 420.
Quid d'ATAJ ? A l'issue d'une assemblée générale, tenue le 26 octobre 2002, l'Association des Traducteurs Agréés près les Juridictions a été fondée. Aux termes du chapitre IX de la loi n° 50.00 publiée au bulletin officiel 4918 du 19 juillet 2001, « tous les traducteurs agréés près les juridictions sont tenus d'adhérer à une même association professionnelle » dont le règlement intérieur est approuvé par le ministre de la Justice. ATAJ est officiellement accréditée par le ministère de la Justice et est également régie par les dispositions du Dahir du 15 novembre 1958 relatives au droit d'association. Traduction automatique, prend-elle la relève ?
Toute traduction effectuée par un ordinateur est une Traduction Automatique (TA). C'est la forme de traduction la plus simple, rapide et la moins coûteuse. Permettant de gérer 103 langues, 10 000 combinaisons, et traitant environ 500 millions de requêtes de traduction chaque jour, le logiciel Google Translation gagne de l'espace dans l'exercice de la traduction. En fait, la pratique de la traduction ne dépend pas seulement du remplacement mot à mot d'un texte en langue source par un équivalent en langue cible. Si tel était le cas, la traduction humaine serait rendue obsolète par la traduction automatique. Tant que les traducteurs automatiques n'ont pas une sensibilité linguistique ou une perception égale à celle d'un être humain, la traduction humaine sera toujours nécessaire. Cette sensibilité est la plus grande différence entre traductions humaine et automatique. S'il est difficile de nier l'utilité pratique de GT et des technologies qui lui sont apparentées, il manque toujours quelque chose à la machine. Or cela se résume en un mot : la compréhension. La traduction automatique ne se concentre jamais sur cet aspect. Les développeurs de logiciel essayent depuis toujours d'améliorer les méthodes de décryptage ou, en d'autres termes, de traiter les demandes de traduction en utilisant le pouvoir analytique de la machine. Certes les ordinateurs ont l'avantage sur les humains quand il s'agit de vitesse, toutefois, en matière de précision et de pertinence, nulle machine ne pourra détrôner le cerveau humain.
L'ESRFT : une mine d'or... pur ?
Créée en 1983 et faisant partie de l'Université Abdelmalek Essaâdi de Tanger, l'Ecole Supérieure Roi Fahd de Traduction (ESRFT) est le seul établissement public d'enseignement supérieur spécialisé en traduction au Maroc. Fruit d'un accord maroco-saoudien, l'école vise à former des traducteurs et interprètes hautement qualifiés en deux langues étrangères avec l'arabe comme langue de base. Autrefois prestigieuse, l'école a perdu, durant les dernières années, son rayonnement à l'échelle nationale et internationale. Cette régression est due, selon ses professeurs -dont une partie est lauréate de la même école- au niveau assez moyen des étudiants par rapport à celui de leurs prédécesseurs. Quant à eux, les étudiants de l'ESRFT estiment que la nature de la formation et les matières enseignées ne répondent pas aux exigences du marché de l'emploi, sans oublier la qualité reprochable de certains membres de l'équipe pédagogique. Ceci dit, l'ESRFT donne naissance chaque année à plus de 100 nouveaux traducteurs, un effectif qui doit être revu tenant compte d'un marché de traduction quasi-saturé.
3 questions à El Houssine Birouaine « Il faut s'ouvrir sur d'autres langues, notamment celles des investisseurs »
Traducteur assermenté et président de l'Association des Traducteurs Agréés près les Juridictions (ATAJ), El Houssine Birouaine a répondu à nos questions à propos du secteur de la traduction et de l'association qu'il préside. - Le concours d'assermentation crée beaucoup de polémique au niveau de l'organisation et de la correction. Que pourriez-vous nous en dire ? - L'organisation du concours ne peut pas avoir lieu chaque année mais elle se fait suite à la demande du ministère de la Justice exprimée par les procureurs généraux du Roi, les présidents de juridictions et les responsables judiciaires d'une manière générale, et ce en fonction des dossiers récurrents. Sur cette base, et conformément aux dispositions de l'article 50.00, le nombre de postes créés et les combinaisons linguistiques requises sont décidés. Concernant la correction des épreuves, elle est faite conjointement par des juges, des traducteurs assermentés et des professeurs universitaires et se passe en toute transparence. - Quel rôle joue l'association ATAJ dans le secteur de la traduction au niveau national ? - Premièrement, notre rôle est consultatif concernant les problèmes que connaît le secteur de la traduction. Nous visons aussi à défendre les intérêts des traducteurs et assurer un stage aux nouveaux lauréats au sein des cabinets de traduction assermentée. En outre, la traduction, à l'instar de plusieurs autres disciplines, est dans le besoin de s'inscrire dans un seul cadre professionnel qui organise le métier et qui représente les exerçants auprès du ministère de tutelle. - Quels sont les problèmes majeurs dont souffrent les traducteurs assermentés ? - L'usurpation d'identité demeure le plug grand problème du secteur. En fait, plusieurs traducteurs non assermentés procèdent indûment et à des tarifs exagérés qui portent atteinte au pouvoir d'achat des Marocains, à la traduction de documents officiels, ceux-ci ne sont pas acceptés aux administrations et représentations diplomatiques, ce qui crée un différend entre ces traducteurs et les citoyens. De plus, plusieurs combinaisons linguistiques souffrent d'une grande pénurie en matière de traducteurs, au Maroc on ne compte qu'un seul traducteur de la langue russe, aucun traducteur pour le chinois même si ce pays investit massivement depuis des années dans notre pays.