Une équipe scientifique maroco-franco-italienne vient d'annoncer que les traces humaines de la période Acheuléenne les plus anciennes en Afrique du Nord ont été trouvées à Casablanca. L'information a commencé à circuler dès mardi : une découverte scientifique majeure devait être dévoilée lors d'une conférence de presse organisée le mercredi 28 juillet à l'Institut National des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP). C'est donc devant un parterre de journalistes rongés par le suspense que le Pr Abdelouahed Bencer, directeur de l'INSAP, a expliqué la nouvelle trouvaille archéologique qui vient de rallumer les projecteurs de la scène scientifique sur le Maroc, paradis et archéologue, géologues et autres paléontologues. «La datation que nous avions pour l'acheuléen à Casablanca, il y a encore quelques années, était de 700.000 ans. Là, nous venons d'un coup de doubler cet âge en passant à 1.3 million d'années. Avec ce bond chronologique, le Maroc se place en position pionnière à l'échelle d'Afrique du Nord », a annoncé le scientifique à l'origine de la fameuse découverte de l'Homme d'Irhoud. Maintenue sous embargo pendant 24 heures, la nouvelle découverte a été officiellement présentée au monde à travers un article publié hier 28 juillet 2021 dans la prestigieuse revue « Scientific Reports ». Les Casaouis, d'il y a 1,3 million d'années Le début de l'Acheuléen, marqué par l'apparition de macro-outils, est considéré comme une avancée technologique majeure au cours de l'évolution humaine. Cette période fait sa première apparition en Afrique de l'Est à 1,8 million d'années et en Afrique du Sud entre 1,6 et 1 million d'années. L'Afrique du Nord, pourtant riche en sites acheuléens, recèle très peu de localités documentant l'Acheuléen ancien et leur datation restait jusqu'à présent conjecturale. C'est dans ce contexte que l'étude apporte « le premier cadre chronologique à haute résolution du plus ancien Acheuléen de l'Afrique du Nord ». « Même si l'Afrique de l'Est et l'Afrique du Sud hébergent les traces acheuléennes les plus anciennes, il y avait une véritable lacune de données concernant la période particulière située entre 1 et 1.3 million années. Face aux plusieurs questions qui se posent, Casablanca, elle, offre des réponses précieuses », précise Mouhib Abderrahim, archéologue du ministère de la Culture, codirecteur du programme « Préhistoire de Casablanca » dont les scientifiques ont été à l'origine de cette découverte. Reconstitution d'un véritable puzzle Le travail dont les résultats viennent d'être révélés est le fruit de collaboration d'une équipe pluridisciplinaire composée de 17 auteurs. « L'équipe a conduit des études magnétostratigraphiques et géochimiques sur la séquence pléistocène de la carrière Thomas I qui, s'appuyant sur les études lithostratigraphiques, biostratigraphiques et les datations effectuées dans les années précédentes, ont permis de construire, pour la première fois en Afrique du Nord, un cadre chronostratigraphique à haute résolution et d'établir que l'émergence de cet Acheuléen ancien remonte à 1,3 million d'années », explique M. Mouhib. En clair, des études géochimiques ont été menées afin de mieux cerner l'environnement qui caractérisait la période acheuléenne à Casablanca. La datation a pour sa part pu se faire grâce à une étude du magnétisme terrestre dont les traces peuvent être identifiées puis recoupées avec les échelles de temps déjà établies par les scientifiques au niveau international. En l'absence d'ossements humains datant de l'acheuléen dans le site des fouilles L, les réponses ont été livrées indirectement par les outils utilisés par l'Homme à cette époque. Un site aussi important que prometteur « Sur ce fameux niveau L de la carrière Thomas, nous avons étudié 179 échantillons pour l'étude magnétostratigraphique et près de 80 échantillons pour l'étude géochimique », souligne le scientifique en précisant que « pour cette période acheuléenne, les vestiges qu'on trouve sont des outils en pierre taillée (quartzite ou silex). La quantité d'outils qu'on a trouvés dépasse les 3800 pièces qui ont été mesurées, étudiées et comparées avec d'autres pièces découvertes dans d'autres régions du continent », poursuit la même source. « Nous avons trouvé au Maroc l'homo sapiens le plus ancien au Monde, les perles les plus anciennes au monde et les plus anciennes traces africaines de boucheries trouvées dans une grotte. Là, nous avons les traces de la deuxième culture du paléolithique ancien (l'acheuléen) les plus anciennes d'Afrique du Nord. Cette découverte permet pour la première fois à un site de cette région du monde de jouer un rôle important dans le débat actuel sur l'émergence de l'Acheuléen sur le continent africain », conclut l'archéologue.
3 questions à Abderrahim Mouhib, archéologue « Aux hommes de Casablanca aux hommes d'Irhoud ? La question peut raisonnablement et sérieusement se poser »
Archéologue du ministère de la Culture, codirecteur du programme « Préhistoire de Casablanca » dont les scientifiques ont été à l'origine de cette découverte, Abderrahim Mouhib répond à nos questions. Existe-t-il des liens éventuels entre l'Homme d'Irhoud et les hommes de l'Acheuléen ? Les hommes acheuléens de Casablanca et l'homme d'Irhoud relèvent de deux environnements et deux époques différents. Est-ce que l'évolution des hommes de Casablanca aurait permis d'aboutir aux hommes d'Irhoud ? La question peut raisonnablement et sérieusement se poser, mais la réponse ne peut pas être établie sans faire les recherches et les trouvailles qui peuvent confirmer cette piste. Est-il envisageable que diverses espèces humaines, surtout erectus et sapiens, aient pu cohabiter au Maroc ? L'Acheuléen est une culture préhistorique qui appartient à ce qu'on appelle le paléolithique inférieur. Elle commence depuis 1.8 million et se prolonge aux environs de 200.000 ans. Les humains qui vivaient à cette époque sont des homo erectus. On sait que l'homo sapiens au Maroc remonte à 315.000 ans, donc il n'est pas exclu que diverses espèces humaines ont cohabité ensemble à une certaine époque. Nous ne pouvons cependant pas confirmer cela scientifiquement puisque nous ne disposons pas encore d'éléments qui nous permettraient d'étayer cette hypothèse. L'homme acheuléen de Casablanca pouvait-il utiliser le feu ou encore enterrer les morts ? Nos études essayent justement de décrypter les modes de vie de cet homme acheuléen. Nous avons une certaine idée de ses capacités cognitives à travers les outils qu'il taillait. Pour l'époque acheuléenne, il existe des traces de feu qui ont été trouvées dans plusieurs régions du continent. Donc , l'utilisation du feu pendant cette époque, qui date de plus d'un million d'années, est avérée. Malheureusement, pour Casablanca, nous n'avons pas encore trouvé de trace de feu dans le site acheuléen. Pour l'enterrement des morts, les rares sites acheuléens qui existent dans le monde n'ont pas livré d'indices dans ce sens.