Le projet d'une taxation carbone marocaine a vu le jour dans la nouvelle réforme fiscale. Déclassée des mesures prioritaires pour les cinq prochaines années, cette taxe est pourtant un chantier urgent. La Chambre des Représentants a approuvé à l'unanimité, Il y a quelques jours, le projet de loi-cadre n°69-19 relatif à la réforme fiscale. Dans l'article 7 de ce texte, il est question de mesures fiscales adaptées qui seront édictées, entre autres, pour la protection de l'environnement à travers notamment l'instauration d'une taxe carbone. Lors de la présentation de ce projet de loi-cadre au parlement, Mohammed Benchaâboun, ministre de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration, a évoqué cette taxe carbone comme un levier de financement des politiques publiques en matière de protection de l'environnement. Ce qui est cependant surprenant, c'est le déclassement du chantier de la taxe carbone des mesures prioritaires qui doivent être déployées durant les cinq prochaines années. « Le projet de loi-cadre n'est pas réfléchi pour asseoir les bases solides et claires d'une fiscalité environnementale intégrée qui contient également la taxation carbone pour la création d'un marché carbone national », commente Hassan Agouzoul, expert en développement durable et en changement climatique. Une erreur à rectifier « Le projet de loi-cadre a fait l'erreur de ne pas prioriser la mise en oeuvre d'une taxe carbone marocaine dans les 5 prochaines années. C'est une erreur, car la mise en place de ce mécanisme est une urgence dans un contexte où l'agenda de la COP26 est en train de finaliser des exigences liées au marché carbone international, et où l'Union Européenne prévoit de commencer l'opérationnalisation progressive du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (CBAM) en janvier 2023 pour atteindre une opérationnalisation complète en 2026 », poursuit notre interlocuteur qui voit dans le projet de la taxe carbone beaucoup plus qu'un simple levier de financement des politiques publiques environnementales. L'enjeu de cette mesure touche directement à la compétitivité des produits marocains, mais aussi aux chantiers de la transition énergétique entamés par le Royaume. Alors que de plus en plus de pays définissent les contours de leurs marchés nationaux du carbone, le Maroc tarde encore à donner forme au sien. « On ne sait pas encore quels seront les détails et spécificités de cette taxe. Son design et le marché carbone associé ne sont pas encore définis », fait remarquer Hassan Agouzoul. Momentum à ne pas gâcher Si l'épineuse question de la tarification du carbone au niveau international se trouve enfin réglée cette année, et beaucoup semblent croire que ce sera le cas, une course à la compétitivité sera lancée. Pour le Maroc qui semble pourtant bien positionné pour faire partie des favoris, la non-prise en compte de l'importance d'une mise en oeuvre prioritaire de la taxe carbone pourrait éventuellement se transformer en handicap. « Le Maroc a beaucoup avancé depuis 2009 grâce à la stratégie énergétique nationale et à son programme d'énergies renouvelables. Du coup, toute l'industrie marocaine et l'économie marocaine sont bien positionnées pour avoir une empreinte carbone plus compétitive, en interne d'abord puisque ça a permis de réduire la facture énergétique et donc de réduire également les coûts d'exploitation, mais aussi à l'international, surtout avec l'UE qui constitue 65% des exportations du Maroc. Le marché du carbone est un catalyseur pour la transition et le facteur temps est important pour avoir plus de marchés et attirer plus d'investisseurs. La mise en place de ce marché va accélérer le grand chantier de l'efficacité énergétique, les mesures d'audits opérationnels énergétiques de toutes les industries et la mise en oeuvre des plans d'action et investissement associés », estime notre interlocuteur. Un enjeu qui s'internationalise Le Maroc a donc intérêt à rapidement définir et à mettre en place sa taxe carbone parce que les barrières douanières européennes seront bientôt en place. « Le Nouveau Modèle de Développement à souligné l'urgence de décarboniser, de produire une énergie verte et de rendre les produits marocains plus compétitifs. Tout ça est lié au fait d'avoir une taxe carbone qui va accélérer cette transition. L'autre paramètre est celui des bailleurs de fonds qui conditionnent de plus en plus le prêt ou le don au fait de s'inscrire rapidement dans la décarbonisation de l'investissement », pointe l'expert qui espère que le prochain gouvernement ne manquera pas de remettre le chantier carbone dans la liste des mesures prioritaires. « Le CBAM est appelé à être généralisé à tous les marchés mondiaux, surtout que l'UE prévoit en 2022 d'entrer en négociation avec l'OMC pour faire accepter ces mécanismes comme étant juridiquement compatibles avec les règles du commerce mondial d'autant plus que le G7 et le G20 ont accepté de mettre en place l'équivalent du CBAM », conclut Hassan Agouzoul.
Oussama ABAOUSS 3 questions à Christophe Lumsden, expert en développement durable « Il faut aller vers le principe de « dépollueur-payé » » Directeur la stratégie et des partenariats à la Cité des Gouvernements Locaux Unis d'Afrique et expert en développement durable et changement climatique, Christophe Lumsden répond à nos questions. - La taxe carbone est-elle uniquement un vecteur de décarbonisation et de financement vert ?
- C'est l'objectif principal. Après, je considère que c'est une première étape. Les pays mettent en place des taxes carbone, car c'est la première étape assez facile liée au principe du « pollueur-payeur ». Mais si, vraiment, on veut changer durablement la donne, il faut aller vers le principe de « dépollueur-payé ». La majorité des pays africains sont des « puits de carbone ». C'est-à-dire qu'ils hébergent des écosystèmes forestiers qui stockent le carbone atmosphérique. Or, personne ne récompense ces pays pour ce captage de carbone émis. - Comment les pays africains peuvent-ils s'organiser pour remédier à cette situation ? - Aujourd'hui, tout le monde veut atteindre la neutralité carbone, mais on se rendra vite compte que c'est quasiment impossible d'y arriver sans acheter des crédits carbones. C'est là que réside l'enjeu pour les pays africains de parvenir à s'ériger en véritable marché émetteur de réserve carbone. Cet enjeu passe par la structuration d'une offre en crédits carbones puis par la garantie de pouvoir mesurer puis certifier l'authenticité de ce crédit. Il faudra enfin que la valeur de l'unité de carbone soit suffisamment intéressante pour exclure d'éventuels options et choix de développement qui sont nocifs et qui détruisent les « puits de carbone » au lieu de les sauvegarder. - Est-ce que ce chantier figure dans les négociations et actualités au niveau mondial ? - Malheureusement, ce chantier n'est pas encore dans les programmes de négociations pour l'instant. Au niveau du continent, nous travaillons actuellement avec les collectivités africaines sur ce sujet. Le plus urgent est d'avoir les bons instruments de mesure et des possibilités de discussion et de négociations avec les émetteurs. Cette idée du dépollueur-payé n'est pas nouvelle, elle avait été étudiée en 1992 déjà, pendant le Sommet de la Terre à Rio. À l'époque, c'était une simple idée, mais aujourd'hui ça devient une nécessité. Recueillis par O. A.