Les mesures prises par la HACA pour se conformer aux dispositions de la loi 31-13 ne suffisent pas. Des prérequis doivent être mis en place pour une application optimale de cette loi. - Lors de votre intervention au séminaire organisé mercredi 28 octobre à l'Institut Supérieur de l'Information et de la Communication (ISIC), sous le thème « Le droit d'accès à l'Information et l'apport des médias nationaux », vous avez affirmé que la HACA considère qu'il y a un grand besoin de réforme de notre système médiatique. Quel bilan en faîtesvous, surtout suite à la crise causée par la pandémie ? - Les Marocains sont, à l'instar de tous les citoyens du monde, de plus en plus connectés, en utilisant les réseaux sociaux comme média alternatif où ils puisent l'information. Par ce biais, ils exercent aussi leur droit à l'expression. Ici comme ailleurs, l'enjeu n'est pas de limiter l'accès à la communication globalisée, c'est d'ailleurs impossible, mais de développer une offre médiatique nationale capable de résister à cette concurrence. Pour le cas de notre pays, il y a besoin d'accompagner la transformation digitale de tout l'écosystème médiatique et donner au service public de l'audiovisuel notamment les moyens de ses missions. La crise de la Covid-19 et les contraintes nous ont rappelé combien l'apport de ce service public est stratégique et précieux. L'accès du citoyen à l'information dans sa version médiatique renvoie d'abord à un enjeu d'inclusivité. Le grand monitoring des programmes audiovisuels effectué par la HACA sur plusieurs mois a montré que durant la gestion de la crise sanitaire, l'un des points forts de la réponse nationale a été l'effort d'information et de couverture déployé par les médias dans toutes les régions du pays avec un effort exceptionnel d'équité territoriale et un usage amélioré des deux langues nationales et autant que faire se pouvait, un recours au langage des signes. La réforme que défend la HACA ne doit pas uniquement porter sur le modèle économique des médias audiovisuels publics et privés dans notre pays mais également une évolution des pratiques professionnelles pour rester dans la course aux contenus. Cela va au-delà de la signature d'un contrat programme ! C'est une révolution culturelle et professionnelle qui est en cours en raison de la transformation numérique de la communication et des médias. Pour donner un exemple : la crise pandémique a démontré partout dans le monde, que seule une information de qualité, soumise à un fact-checking rigoureux et accessible à tous, pouvait emporter l'adhésion des citoyens. Aucune démocratie participative ne peut se concevoir et se développer sans accès du citoyen à une information publique de qualité et à une information de presse fiable. » - Quel est l'enjeu de la loi 31-13 sur le droit d'accès à l'information pour les médias ? -Premièrement, cette loi ne concerne pas le droit collectif des journalistes et des médias d'accéder à l'information. Elle concerne le droit individuel du citoyen marocain d'accéder à l'information. En tant que citoyens, les journalistes sont bien sûr bénéficiaires de ce droit. Mais le droit des journalistes d'accéder à l'information, qui est un droit démocratique fondamental, est institué et protégé par l'article 6 de la loi 88.13 qui concerne le code de la presse et de l'édition. Cet article est explicite : « Les journalistes et les organismes et établissements de presse ont le droit d'accéder aux sources d'information et de se procurer les informations de sources diverses à l'exception des informations qui revêtent un caractère confidentiel ou celles pour lesquelles le droit d'accès est limité conformément au 2ème alinéa de l'article 27 de la Constitution. L'administration publique, les institutions élues et les organismes investis de mission de service public sont tenus de permettre au journaliste l'accès à l'information dans les délais légalement fixés, sous peine d'application des sanctions prévues par la législation en vigueur ». Si l'on limite le droit d'accès aux sources des journalistes, on se prive de leur contribution à l'effectivité du droit d'accès du citoyen à l'information publique, lequel accès est un moyen de consolider la démocratie participative. Secundo : la loi 31.13 concerne l'accès citoyen à l'information publique. La vie privée des gens, y compris quand il s'agit de personnalités publiques, doit donc toujours être préservée. Aucune loi démocratique ne peut permettre une intrusion dans l'intimité des individus. Les médias ont un grand rôle à jouer pour expliquer ces nuances. Tertio : Pour un accès optimal à l'information par les médias, il faut des lois qui protègent la liberté mais il faut aussi du professionnalisme et de l'expertise. Le journalisme d'investigation est un moyen précieux de consolider les pratiques de transparence, dans le respect de la loi. - Quelles sont les contributions de la HACA dans l'application de la loi sur l'accès à l'Information ? La mise en œuvre de la loi 31.13 requiert une action collective et convergente de la part d'une série d'acteurs et d'institutions : les administrations, les institutions électives, les responsables politiques, les associations de société civile et bien sûr les médias. Comme l'exige son mandat, la Haute Autorité a toujours été soucieuse du renforcement des mécanismes de bonne gouvernance visant à valoriser l'interactivité avec son entourage, en général, et avec les citoyens, en particulier. C'est pour cela qu'elle a été proactive dans l'application des dispositions de la Loi 31.13. Elle a ainsi désigné, en date du 1er octobre 2019, les personnes chargées de recevoir les demandes d'accès à l'information, de les examiner et de fournir les informations sollicitées. Ces personnes sont également en charge d'apporter l'assistance nécessaire aux demandeurs de l'information dans l'établissement de leur demande. On a d'ailleurs déjà reçu et traité plusieurs demandes d'accès à l'information. La HACA a également renforcé l'accès à l'information de manière à la rendre spontanément disponible sur son site Internet et accessible aux citoyens et aux intéressés. Cette information porte notamment sur la régulation du secteur de la communication audiovisuelle, les relevés trimestriels du pluralisme d'expression des courants de pensée et d'opinion et le rapport annuel de la Haute Autorité. Lors du séminaire organisé mercredi 28 octobre 2020 à Rabat par la Commission du Droit d'Accès à l'Information sur le thème « Le Droit d'Accès à l'Information et l'apport des médias nationaux », j'ai assuré cette Commission du soutien de la HACA pour une implémentation optimale de la Loi. Je voudrais saisir l'occasion de cette interview pour rendre hommage à cette Commission et à son président M. Omar Serghouchni pour leur belle mobilisation en faveur de ce droit citoyen dont la consolidation permettra de consolider le progrès démocratique de notre pays. Il convient de souligner que le droit d'accès à l'information est un prérequis pour une citoyenneté de droits et de devoirs. Recueillis par Safaa KSAANI Portrait : Une carrière sans clichés Son sourire révèle autant de modestie que de courage sans parler d'un caractère bien trempé. Personnalité remarquée du monde des médias, depuis ses années d'études à l'Institut Supérieur de journalisme de Rabat, devenu Institut Supérieur de l'Information et de la Communication (ISIC). Elle y a été major de promotion en 1983, après un baccalauréat série sciences mathématiques obtenu à Marrakech en 1978. Entre septembre 2003 et mars 2007, elle a été directrice de ISIC de Rabat au sein duquel elle fut professeur-chercheur pendant plus de 20 ans. Latifa Akharbach est titulaire d'un doctorat en Sciences de l'Information et de la Communication de la Faculté de Droit, d'Economie et de Sciences Sociales de Paris II en 1988 et d'un Diplôme des Etudes Approfondies en Sciences de l'Information à l'Institut Français de Presse Paris-Assas en 1985. L'Ancienne professeur de journalisme, née en 1960, a été nommée par Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, le 3 décembre 2018, présidente de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA). Elle a également occupé de nombreux postes diplomatiques. En 2016, elle avait été nommée ambassadeur (extraordinaire et plénipotentiaire) du Royaume du Maroc en Tunisie. En 2013, elle fut Ambassadeur Royaume du Maroc en Bulgarie et en Macédoine. Elle a été, entre autres, membre du gouvernement marocain entre Octobre 2007 et Janvier 2012 au poste de Secrétaire d'Etat aux Affaires Etrangères et à la Coopération.
S. K. Repères Une corrélation entre la mission des médias et la finalité de la loi 31-13 Intervenant au séminaire organisé mercredi 28 octobre sous le thème «Le Droit d'Accès à l'Information et l'apport des médias nationaux», Latifa Akharbach a affirmé que « les médias peuvent accompagner fort utilement la mise en œuvre de la loi 31-13 et à la consolidation de l'effectivité du droit d'accès à l'information». Elle a ajouté «qu'il y a une réelle convergence entre la mission des médias et la finalité de la loi sur l'accès à l'information notamment en ce qui concerne la promotion de la culture de la transparence et l'habilitation du citoyen à suivre et participer au fait public». La loi 31.13 requiert une action collective et convergente Après avoir présenté les mesures prises par la HACA pour se conformer, en tant qu'instance constitutionnelle de bonne gouvernance et de régulation de la communication audiovisuelle, aux dispositions de la loi 31- 13 la présidente de la HACA a exposé quelques prérequis pour optimiser l'application de cette loi. «En tant que régulateur de la communication audiovisuelle, la HACA considère qu'il y a un grand besoin de réforme de notre système médiatique pour renforcer les capacités des radios et télévisions à contribuer à la constitution d'une opinion publique plurielle, de plus en plus affirmée dans l'espace public et sensibilisée aux risques de manipulation, des théories complotistes et de l'infox », a-t-elle déclaré. Un tel acquis - a-t-elle conclu - est une condition essentielle pour la création d'une dynamique vertueuse où le droit d'accès à l'information nourrit l'exercice des libertés fondamentales instaurant une culture et des mœurs institutionnelles nouvelles et favorisant une citoyenneté active et éclairée.