À cause de la pandémie, un grand nombre de personnes qui risquent de subir un accident vasculaire cérébral n'ont pas pu bénéficier de suivi et de traitement adéquat. C'est la 3ème cause de décès et la première cause d'infirmités graves dans le monde. L'Accident Vasculaire Cérébral (AVC), également appelé « attaque », survient lorsque la circulation sanguine vers, ou dans, le cerveau est interrompue par un vaisseau sanguin bouché (AVC ischémique le plus fréquent) ou par un vaisseau sanguin rompu (AVC hémorragique). La Journée mondiale de l'accident vasculaire cérébral est célébrée le 29 octobre de chaque année afin de mettre en lumière cette pathologie qui, à travers le globe, touche une personne toutes les cinq secondes. Au Maroc, la référence statistique et scientifique en la matière est une étude qui a été menée en 2009 par des neurologues marocains dans les diverses régions au Royaume. « C'est une étude qui a été très instructive et qui a nécessité énormément de moyens et de ressources humaines car, il a fallu visiter des familles choisies de façon aléatoire dans un échantillon représentatif de la population marocaine », raconte Dr Faouzi Belahcen, président de la Société Marocaine de Neurologie (SMN). À la recherche de survivants L'équipe de neurologues, qui a mené ce travail, a tenté de trouver des personnes qui ont survécu à des AVC afin de mieux cerner la prévalence de cette maladie dans l'échantillon étudié. « Nous avions trouvé que cette prévalence était de 284 pour 100.000 habitants. Nous avions à ce moment-là dénombré près de 85.000 patients qui avaient survécu après un AVC avec des handicaps plus ou moins sévères parmi lesquels 30.000 qui avaient un handicap très sévère », poursuit le neurologue qui décrit l'ampleur du « fardeau » que faisait peser les dégâts de ces AVC sur les familles des patients. Depuis la publication des résultats de cette enquête, les efforts entamés afin d'augmenter le nombre de spécialistes qui s'activent dans ce domaine et celui des infrastructures et des dispositifs de sensibilisation se sont multipliés. C'était sans compter sur la pandémie du Coronavirus qui est venue ravager les familles, les économies et également les habitudes de prise en charge hospitalière. Confinement et AVC « La pandémie a d'abord agi sur les facteurs de risques liés aux AVC. Les malades qui souffrent de diabète ou encore d'hypertension sont restés chez eux, surtout pendant la période de confinement. Cela a engendré un manque de suivi et de traitement dont la conséquence a été une augmentation de l'incidence des AVC », explique le président de la SMN. «La prise en charge des AVC a également diminué drastiquement durant ces derniers mois. À l'hôpital où je travaille par exemple, nous avions pris en charge en mars et mai 2019 près de 250 cas d'AVC. En 2020, durant la même période, nous n'avons accueilli que 44 cas. Le nombre de patients qui on pu bénéficier de la thrombolyse a également été réduit de moitié, voire même de trois quarts du nombre habituel, dans certaines régions. Les autres personnes, qui auraient dû être prises en charge, mais qui ne se sont pas déplacées à l'hôpital ont certainement développé des complications suite à des AVC. Je pense que la plupart de ces patients ont malheureusement subi un handicap sévère ou sont décédés », regrette le praticien. Augmentation des risques d'AVC D'un autre côté, plusieurs personnes admises pour AVC ont été diagnostiquées positives à la Covid 19, compliquant ainsi les conditions d'une prise en charge adéquate. « Nous étions obligés d'hospitaliser ces patients dans des unités Covid et de nous en occuper dans la mesure du possible, car la prise en charge s'est évidemment trouvée moins efficace que dans une unité de neurologie vasculaire », confie Dr Faouzi Belahcen. Enfin, la pandémie a elle-même causé une augmentation des risques liés aux AVC. « L'infection Covid, surtout pour les formes graves, peut causer une coagulation rapide du sang, notamment au niveau des vaisseaux du cerveau, ce qui augmente le risque des AVC. Les réanimateurs mettent d'ailleurs les patients concernés par ce risque sous anti-coagulant pour leur éviter toute occlusion d'un vaisseau, d'une veine ou d'une artère », rassure le président de la SMN. À noter que le meilleur moyen de diminuer les risques d' handicaps graves causés par un AVC est de faire hospitaliser le patient dans les premières heures de l'attaque, d'où l'importance de savoir reconnaître les signes avant-coureurs. Oussama ABAOUSS 3 questions au Dr Faouzi Belahcen, neurologue « Le nombre de personnes touchées dans les zones rurales est significatif » Neurologue et président de la Société Marocaine de Neurologie, Dr Faouzi Belahcen revient sur l'étude réalisée en 2009 à propos des AVC et sur les efforts menés ces dernières années dans ce domaine. - Quels ont été les enseignements de l'étude que vous avez effectuée en 2009 ? - Cette enquête avait (entre autres) révélé que le nombre de personnes touchées dans les zones rurales était significatif, et que celui des handicapés sévères y étaient relativement important, car les facteurs de risque (diabète et hypertension notamment) y étaient moins bien traités. - Quels sont les efforts qui ont été déployés ces dernières années suite aux recommandations de cette étude ? - Il y a eu beaucoup d'activités de sensibilisation et des efforts pour créer plus d'unités neurovasculaires. Il y a également eu une prise de conscience par rapport à l'importance d'augmenter le nombre de spécialistes de la médecine physique afin de gérer l'après-AVC. Les efforts de prévention ont aussi pris plus d'ampleur en se focalisant sur l'importance de suivre les facteurs de risques et la nécessité de reconnaître et de réagir rapidement face aux premiers signes d'AVC. Ces efforts ont donné leurs fruits, car nous avons constaté une augmentation des patients qui viennent consulter à des stades moins tardifs. - Comment la Société Marocaine de Neurologie compte-t-elle célébrer cette Journée mondiale des AVC ? - Face à la difficulté d'organiser un événement en présentiel, l'AVC sera au cœur des débats virtuels prévus le 20 novembre prochain, en marge de la Journée marocaine de neurologie. Nous participerons également au congrès maghrébin prévu en décembre prochain et qui a choisi le thème de l'AVC pour cette édition. Recueillis par O. A. Encadré Précautions : Gare aux signes avant-coureurs d'un accident vasculaire cérébral En 2017-2018, la Société Marocaine de Neurologie avait mené une vaste campagne de sensibilisation du grand public aux signes avant-coureurs d'un accident vasculaire cérébral. La campagne comportait des messages en Darija qui listait les divers signes de l'imminence d'un AVC auxquels il est nécessaire de réagir le plus vite possible : déformation de la bouche, alourdissement d'un côté du corps, d'un bras ou d'une jambe ou encore troubles de la parole ou de la vision. Les spécialistes appellent les malades et leurs familles à être très attentifs à ces signes et, le cas échéant, à faire admettre le malade le plus rapidement possible, car les chances de rémission sont plus grandes quand l'AVC est soigné dans les premières heures qui suivent les premiers signes. Autrement, les dégâts de l'AVC sont importants et irréversibles. « Cette campagne de sensibilisation nous a permis d'avertir un grand pan de la population. Dans les services qui accueillent les personnes atteintes d'AVC, nous avons noté que les gens consultaient plus tôt, ce qui faisait que nous pouvions efficacement déboucher d'artère touchée grâce à une thrombolyse. Depuis, l'utilisation de cette technique de soin a quasiment doublé», explique Dr Faouzi Belahcen, président de la Société Marocaine de Neurologie. À noter que la thrombolyse intraveineuse consiste à injecter une substance capable de dissoudre le caillot qui bouche l'artère du cerveau. Le recours à cette technique n'est cependant efficace que dans les 3 ou 4 heures qui suivent les premiers symptômes de l'AVC. Repères Covid 19 et AVC ischémique En juin dernier, une équipe de recherche affiliée à l'Ecole de médecine Mount Sinai à New York a confirmé une association entre l'infection à Covid-19 et l'incidence de l'accident vasculaire cérébral et a engagé les hospitaliers à mieux détecter ce risque d'AVC chez les patients hospitalisés. L'étude cas-témoins, présentée dans l'American Journal of Neuroradiology, estime que le risque d'AVC ischémique aigu ( la circulation sanguine vers le cerveau est interrompue par un vaisseau sanguin bouché) est multiplié par 4 avec Covid-19. Covid 19 et complications neurologiques Les infections sévères au Covid-19 sont connues pour comporter des risques de complications neurologiques, mais les recherches menées par des scientifiques de l'University College London suggèrent que de graves problèmes peuvent survenir, même chez ceux présentant des formes bénignes. Ce constat a été rendu public en juillet dernier, avertissant ainsi que des complications du Covid-19 touchant le cerveau, potentiellement mortelles (AVC, délire, hallucinations, lésions nerveuses), pourraient être plus courantes que prévu.