C'était il y a 60 ans. L'indépendance de l'Etat d'Israël est décrétée le 14 mai 1948. Pour les Palestiniens, c'est la nakba, la catastrophe. Près de 80% de ceux qui vivaient sur le territoire désormais alloué à l'Etat juif doivent partir. En France et dans la plupart des pays occidentaux, on célèbre pourtant ces jours-ci, à travers de nombreux dossiers spéciaux publiés par les journaux, la naissance de l'Etat juif. Sans s'interroger sur le sens de cet anniversaire pour ceux qui ont été, à ce moment là, comme le dit l'historien palestinien Elias Sanbar, « assignés à l'invisibilité ». Leur mémoire est niée, leur histoire ignorée. Les Nations Unies avaient pourtant prévu, lors de la résolution de 1947 sur le partage de la Palestine historique, qu'il y aurait deux Etats, l'un Juif, l'autre Arabe. Après plusieurs guerres, les accords d'Oslo, en 1993, avaient permis d'espérer que l'on s'acheminait enfin vers cette reconnaissance mutuelle et cette co-existence pacifique sans lesquelles tous les gens raisonnables savent qu'il n'y aura pas de solution à ce conflit, le plus ancien de la planète. L'assassinat, en 1995, par un extrémiste juif du Premier ministre israélien Yitzhaak Rabin, devait sonner le glas de cette espérance. Il n'y a plus eu, depuis, à la tête de l'Etat hébreu de véritable homme d'Etat, capable d'imposer des choix courageux. Le leadership palestinien s'est, lui aussi, considérablement affaibli, du fait de ses divisions. Jusqu'à ce que le Hamas décide de jouer son propre jeu à Gaza. Les Américains se sont de leur coté, depuis l'avènement de Georges W Bush et les attentats de septembre 2001, désintéressés de la situation dans cette partie du monde. On allait éradiquer le terrorisme, convaincre les Irakiens et bien d'autres de se convertir à la démocratie et le reste viendrait tout seul, à point nommé Evidemment, il n'en a rien été. En novembre dernier, les plus optimistes avaient pu croire qu'une nouvelle perspective diplomatique allait s'ouvrir grâce à la conférence d'Annapolis, convoquée à l'initiative des Américains pour tenter de relancer la « feuille de route » du « quartette » (USA, ONU, Union européenne et Russie), censée déboucher sur la création, enfin, d'un Etat palestinien. Il faut aujourd'hui, une nouvelle fois, déchanter. A Annapolis, les Israéliens s'étaient engagés à geler la construction, dans les territoires palestiniens, de colonies de peuplement. Or ils ont, depuis, poursuivi sans relâche, comme si de rien n'était, leur politique de colonisation. Les autorités de Tel Aviv disent officiellement considérer que les promesses faites à Annapolis ne concernent ni Jérusalem Est, ni les grands « blocs de colonies » de Cisjordanie, qu'ils prévoient d'annexer. Résultat : la création d'un Etat palestinien devient chaque jour, sur le terrain, un peu plus illusoire. Les colonies et les routes de contournement réservées aux colons construites pour garantir la continuité territoriale d'Israël, le « mur » qui emprisonne les villages et fragmente les villes, ont fait de la Cisjordanie un bantoustan en peau de léopard ou en gruyère suisse sur lequel il est devenu impossible d'établir un Etat contigu. Tandis que la bande de Gaza contrôlée par le Hamas ressemble un peu plus chaque jour à une poudrière Alors, face à cette politique, voilà que ressurgit aujourd'hui la vieille idée d'un seul Etat pour tous, Juifs et Arabes, fondé sur la démocratie, autour du principe une voix, un vote. Ce serait remettre en cause l'idée même d'un Etat « juif », et la nature sioniste de l'Etat d'Israël, aujourd'hui acceptée par la communauté internationale. La troisième intifada que d'aucuns prédisent déjà sera-t-elle une guerre contre l'apartheid ?