Abdelilah Benkirane réussira-t-il à former son gouvernement ? Des membres influents de son parti et son scribouillard de service mettent en cause « Le Palais ». C'est déjà un point de déflagration. Au Maroc, c'est le Roi, et lui seul, qui incarne à la fois la monarchie et la nation. Ses collaborateurs n'agissent que sur ses ordres. Le Roi gouverne, règne, dans le cadre de la constitution, mais il est au-dessus des luttes partisanes, incarnant ainsi les choix stratégiques de la nation. Il représente tous les Marocains, y compris ceux qui ont voté PJD. A quoi est due l'impasse actuelle ? Le PJD a recueilli 1,2 million de voix, ce qui en fait le premier parti, mais loin de la majorité. Les autres partis posent donc leurs conditions pour s'allier avec lui, c'est le propre même du jeu politique en démocratie. Les divergences ne sont pas liées aux politiques publiques. Le PJD est encore plus libéral que le RNI, l'UC ou le MP. Benkirane lui-même a proposé de privatiser l'éducation et la santé. Les divergences sont idéologiques. Le PJD ne veut pas seulement réformer, lutter contre la corruption, il veut aussi imposer un modèle de société, pour lequel il n'a pas reçu mandat, puisqu'il ne l'a jamais clairement proposé aux Marocains. Un parti qui considère que la démocratie n'est pas une fin en soi, mais juste un moyen, pour arriver à ses fins, est-il soluble dans la démocratie ? C'est une vraie question et les Marocains ont le droit de se la poser. Dès lors, il est naturel que les autres partis s'y opposent. Abdelilah Benkirane et ses lieutenants prétendent que ces partis n'ont aucune autonomie de décision, que ce ne sont que des pantins, alors qu'ils ont fait l'Histoire du Maroc bien avant la création du PJD. La véritable impasse n'implique en rien le Roi. Elle concerne une lutte idéologique entre les islamistes et le reste des partis politiques. Il est du droit de ses derniers de négocier leur alliance avec un parti, qui ne représente que 20% des voix. Maintenant, il y a un vrai drame. On entend le PJD et les autres partis ne parler aux Marocains qu'au travers des communiqués laconiques. Or, il faut qu'ils s'expriment sur les vraies raisons du blocage, qu'ils dénoncent la volonté d'hégémonie des islamistes, si elle existe, et qu'ils assument leurs positions. Quelle est la sortie de crise ? Un retour aux urnes, une intervention du conseil constitutionnel, tout est possible. Mais pour sortir pour de bon de l'impasse, il est nécessaire de retrouver l'essence de la démocratie, c'est-à-dire le débat public. C'est seulement en posant toutes les questions, sans autocensure, que les différentes représentations politiques susciteront l'adhésion populaire, autour d'un vrai consensus démocratique. Les islamistes devront s'y plier pour normaliser leurs relations avec la société. Sinon, ils continueront à constituer le noeud du problème et non pas une partie de la solution.