Farouk Iraqi, président de l'Association nationale des cliniques privées (ANCP) est un homme soulagé. Après une rude bataille contre Yasmina Baddou, ministre de la Santé, l'homme savoure une «victoire juste dans une triste affaire». Le département de la Santé tente depuis le 8 juillet 2011 de procéder à «la fermeture de 7 cliniques et la suspension des activités opératoires et d'hospitalisation dans 7 autres afin de préserver la santé publique». Trois mois après, Y. Baddou n'a pu encore le faire. La dernière bataille de Baddou Ce feuilleton estival est composé d'épisodes politiques et judiciaires. Dernière séquence en date, le report du procès intenté par les médecins-directeurs de 13 cliniques privées pour annuler la décision du ministère de la Santé (MS). Lors de l'audience du 6 octobre dernier, l'avocate du ministère a obtenu le report du procès au 26 du mois courant, afin «d'étudier de nouveaux documents». «L'argument du ministère est un peu léger. S'il avait des éléments favorables, il aurait poussé pour que ça aille très vite», fustige F. Iraqi. Pour sa part, le ministère de la Santé ne bronche pas, il continue à croire dans le bien-fondé de ses inspections, pensées en 2008. «Le ministère continuera à faire ses inspections. Notre mission principale est de protéger la santé des citoyens et de nous assurer que les établissements privés et publics répondent aux normes en vigueur», clarifie Abdelghani Dgheimer, le directeur de la communication au MS. Cette posture fait sursauter Mohammed Naciri Bennani, président du Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNML) et troisième acteur dans ce dossier. «La ministre de la Santé n'a pas respecté la loi 10-94 sur l'exercice de la médecine et notamment les articles 22 et 27 qui sont très clairs. Le terme ‘'Administration'', cité dans l'article 27, désigne le Secrétariat général du gouvernement (SGG) et non le MS», précise-t-il. Et d'enfoncer le clou : «La ministre a tenu des propos diffamatoires en divulguant les noms des cliniques. Ce qui a porté un énorme préjudice matériel et moral aux médecins et à toute la profession». Rapports cinglants Au-delà de cette bataille juridique, que reproche-t-on au juste à ces fameuses cliniques ? Les équipes d'inspection ont visité 140 cliniques sur un total de 320 existantes. Certaines ont été visitées 2 à 3 fois, avec des délais conformes aux recommandations du ministère. Déjà, en 2009, 84 cliniques avaient été inspectées par les services du ministère, 63% d'entre elles ont été épinglées par les inspecteurs. Ce travail donne lieu à des rapports confidentiels où les établissements inspectés sont classés en trois groupes. Les deux premiers ont été avertis pour des dysfonctionnements «mineurs» alors que le troisième groupe, qui se compose de 14 cliniques, l'a été pour des dysfonctionnements jugés plus graves. Les faits reprochés aux établissements du troisième groupe sont cinglants (voir encadré). «Ces faits, personne ne peut les nier !», s'insurge une autre source au ministère de la Santé. «Nous avons visité certaine cliniques qui ont été visées par la décision, et aucun de ces établissements ne porte atteinte à la santé ou à la sécurité des malades. Ces cliniques dépassent de loin le meilleur des hôpitaux publics», réplique M. N. Bennani. Pour F. Iraqi, les normes dans les cliniques «doivent faire l'objet d'un débat profond. Nous avons demandé à maintes reprises au ministère de se réunir pour les discuter, mais la ministre a choisi la voie de la sanction». Les normes en vigueur actuellement n'ont jamais été validées par l'Ordre national des médecins (ONM) et n'ont fait l'objet d'aucun débat. De quoi donner froid dans le dos aux milliers de patients qui, chaque jour, confient leur santé aux cliniques. SGG/Ministère de la santé : le clash Confiante quant aux conclusions des missions d'inspection, Y. Baddou déclare la guerre aux 14 cliniques, l'heure est à la tolérance zéro. Sauf que la ministre bute sur un poids lourd, le SGG qui est le seul à pouvoir donner l'autorisation d'ouverture, de suspension ou de fermeture d'une clinique privée. Entre le 8 juillet et le 9 août 2011, les deux départements ministériels se renvoient par voie de presse interposée des communiqués contradictoires sur le sujet, reflétant par la même occasion la discordance entre les membres d'un même gouvernement. «C'est rarissime de voir le SGG communiquer sur un sujet. C'est dire la gravité du comportement de Y. Baddou qui voulait passer outre notre département de tutelle», avance F. Iraqi. Début août, SGG répond, enfin, positivement à la demande du ministère de la Santé. Il adresse un courrier aux 14 cliniques concernées et leur accorde un mois de délai pour opérer les changements demandés. La dernière bataille de Y. Baddou ne s'arrête pas là. La ministre fait appel à l'autorité locale pour fermer les cliniques incriminées. Une première tentative aboutit à la fermeture d'une clinique à Khouribga. Une deuxième a eu lieu à Rabat. F. Iraqi a suivi de près cette affaire, il nous raconte sa version des faits : «le représentant du Wali, accompagné du ministère, a constaté par lui-même l'état des lieux et a décidé de ne pas appliquer la consigne de la ministre. C'est un nouveau désaveu pour son département». La clinique de la ville des phosphates finira elle aussi par rouvrir ses portes. Que retenir cette affaire ? Alors que cette affaire s'achemine vers un statu-quo, à quelques semaines du départ de Y. Baddou, que retenir de cette affaire ? L'ANCP et le SNMSL ont-ils prêché par corporatisme, défendant bec et ongles des cliniques vétustes ? Ou bien la ministre a-t-elle fait le mauvais choix : celui de la confrontation et de la bataille médiatique ? «Il faut ne pas perdre de vue que nous sommes à la veille d'élections. Le gouvernement en entier veut redorer son blason», estime le président de l'ANCP. Cette accusation ne passe pas du côté du ministère, A. Dgheimer la réfute : «on ne peut mettre en danger la vie du citoyen en équation avec des enjeux politiques. L'enjeu sanitaire prime sur toute autre considération». Cette bataille peut-elle être liée avec le projet de réforme de la loi 10-94, qui pourrait permettre l'entrée d'investisseurs non médecins dans le capital des cliniques ? «Non, il n'y a pas de lien direct entre les deux», répond A. Dgheimer du MS. M.N. Bennani dont le syndicat s'est opposé à cette réforme considère «qu'il serait vraiment mesquin de violer la loi pour s'attaquer aux cliniques privées et induire en erreur l'opinion publique». Pour sa part, F. Iraqi, du patronat des cliniques privées qui s'est opposé également au projet de réforme ne mâche pas ses mots: «Il y a une volonté de décréditer les cliniques. Chaque année, le SGG ferme deux à trois cliniques mais dans la discrétion et le respect des règles. Cet acharnement du ministère n'avait pas de raison d'être. Avec l'entrée de la finance dans la santé ça peut être une catastrophe. C'est la pire des choses qui puisse arriver à la médecine marocaine».