En partenariat avec l'école nationale du cirque Shems'yVernissage : Mercredi 26 octobre à 18h30 – Vernissage de Bi-pôle. Galerie de l'Institut français de Rabat, 1 rue Abou Inane. Exposition du 26 octobre au 16 décembre 2016. Jamais exposition n'aura mieux porté son titre ! Le terme Bi-pôle est un véritable indice à la compréhension de l'œuvre d'Ahmed Hajoubi, qui se décline, dans tous ses aspects, sous le signe de la dualité. On retrouve ainsi la marque de fabrique de l'artiste, logo, fétiche ou icône, nommée « mage », transformé en sucette, ou dédoublé en friandise au chocolat, mis à la disposition des visiteurs. Ce face à face, signe par excellence d'une communication entre deux personnes, est loin d'être anecdotique, et sa distribution inaugure une nouvelle orientation du travail de l'artiste. Il s'inscrit notamment dans une tendance de l'art qui privilégie les moyens d'échange avec le regardeur à l'intérieur de l'expérience esthétique. Cette préoccupation du partage et de l'altérité/dualité a pris corps dans ce projet en deux parties. L'Institut Français de Rabat a en effet proposé à l'artiste, de réaliser, parallèlement à l'exposition, une installation à Salé, dans le cadre d'une collaboration avec l'association Amesip et l'école nationale du cirque Shems'y. Le travail avec les enfants de l'école, qui servira de cadre à un spectacle, a sans doute permis, voire précipité, cette évolution riche en conséquences. L'objet fétiche, sorte de figurine–têtard aux traits informes et fragiles, a opéré une véritable mue. Son dessin dans la matière picturale, qui, jusque-là, soulignait une nature éphémère et incomplète, s'est effacé au profit d'un corps plus consistant et mieux défini, réalisé en fil de fer. Le « mage », puisque l'artiste le nomme ainsi, a pris son indépendance au point de se détacher et de sortir de la toile, à l'instar du Petit Prince qui survolait la terre pour mieux l'observer, une silhouette qui évoque la part du rêve, cet imaginaire indispensable à toute création. À l'opposé, le Qorchâl pourrait fonctionner comme son pendant ou son contrepoint. S'il a perdu son utilité, l'objet a acquis un statut maléfique dans le monde symbolique d'Ahmed Hajoubi pour devenir l'un des dispositifs de son univers plastique. En effet, l'objet fabriqué dit tout de son enfance, et devient un motif récurrent de son vocabulaire plastique. Le détournement de son usage pour une utilisation cruelle et traumatique a mis fin brutalement et violemment à une période rêvée des débuts de la vie de l'artiste. Si l'outil est particulièrement efficace à rendre plus fine et plus douce la laine, à la bonifier en quelque sorte, il fait mal à ceux qui tentent d'y toucher. L'artiste en sait quelque chose et la mémoire de sa douleur, autant physique que symbolique, reste intacte. Ce souvenir qui a provoqué la rupture avec le corps maternel, a du mal à passer, et l'œuvre d'Ahmed Hajoubi en est le constant témoignage. Si les objets appartiennent à la sphère douillette et bienheureuse de notre quotidien, les oreillers, notamment, se sont multipliés sur les toiles, rangés en rangs d'oignons et serrés comme des sardines. Ensuite, chacun dans sa boîte, ils ont été sanglés, ligotés et souillés d'un noir opaque et inquiétant. A l'instar des jeux d'enfants, l'art est souvent cruel. Depuis Van Gogh, on ne le sait que trop bien ! Et Bi-pôle est aussi un titre qui souligne par excellence cette bipolarité des éléments du monde, souvent contradictoires et antithétiques, voire manichéens, qui a longtemps traversé le travail et la pensée d'Ahmed Hajoubi. Mais aujourd'hui, tout de peinture blanche vêtu, le « mage » peut se brandir comme une arme, un bâton, ou un trophée remporté de haute lutte pour une victoire sur autrui, ou plus exactement sur la face sombre de l'existence. Et le Qorchâl se pare de couleurs vives et brillantes, comme les pelotes de laine qui débordent des tableaux. La mue a définitivement opéré pour réconcilier ces objets qui semblaient à jamais opposés, et révéler une improbable et inespérée complémentarité/complicité. L'objet fétiche, comme une petite sculpture en fil de fer, qui évoque celles de Calder et son dessin dans l'espace, signale la rupture et annonce un corpus de formes plastiques aux couleurs étonnamment vives qui évoluent librement, animées par les courbes de l'épais fil de fer qui trace et danse aussi bien dans l'espace pictural que dans celui de l'exposition. N'est-ce pas là une façon pour l'artiste d'accepter sa part de rêve et d'afficher son art de la conversation, comme le fait Magritte en associant les deux concepts ? Ainsi Hajoubi témoigne de sa vision d'un monde plus complexe et plus riche, vision qui se pare aussi de légèreté et de dérision. Prenant des airs de bulle, telles qu'elles apparaissent dans la bande dessinée, le « mage » fait peu à peu sourire. Se dédoublant et se métamorphosant en chocolat, il semble livrer une part de sa magie tout autant sur notre regard que sur nos papilles gustatives !