La Cour d'Appel de Douai, après deux semaines de tergiversations, a finalement rendu son verdict dans l'affaire opposant dix mineurs d'origine marocaine à l'Association nationale de garantie des droits des mineurs (ANGDM), organisme gestionnaire depuis 2004 des biens, droits et obligations sociales des ex-Houillères du Nord-Pas-de-Calais, l'ancien employeur des plaignants dans l'historique bassin minier éponyme. Ultime bataille avant la victoire finale A son tour, cette juridiction a reconnu, le 31 mars 2011, le droit de ces retraités à une indemnité de 40.000 euros chacun que refusait de leur verser l'ANGDM, dédommagement auquel avait déjà été assignée cette dernière le 19 mars 2010 par le Conseil de prud'hommes. Cette somme est censée compenser le droit du rachat de leurs avantages en nature qu'avaient réclamé sans succès les mineurs concernés lors de la liquidation des Houillères (nom donné à l'entité commune de mines de la région au lendemain de la seconde guerre mondiale) à la fin des années 80. Seul bémol : la défense a encore deux mois devant elle pour se pourvoir en cassation. Mais, aux yeux des plaignants, représentés par Me Bleitrach, c'est du menu fretin, une simple étape avant la victoire finale, les probabilités pour l'ANGDM de gagner en cassation étant quasi nulles : «La Cour devra uniquement s'assurer du respect des règles de procédure et de la correcte application du droit», a ainsi expliqué en substance l'avocate des mineurs à la presse. Abdallah Samate, président de l'Association des mineurs marocains du Nord (AMMN, fondée en 1989), militant depuis 40 ans de la cause des travailleurs immigrés, ne dissimule pas non plus sa satisfaction quant à ce jugement «symbolique», parlant de «dignité retrouvée». Mineurs «inférieurs» Cette affaire n'aurait probablement pas fait l'objet de plus d'un filet éphémère dans les journaux si ce n'était la polémique suscitée au sein des milieux antiracistes par l'attitude discriminatoire des Houillères vis-à-vis de leurs employés marocains, au coeur de la république berceau de la Déclaration universelle des droits de l'Homme. En effet, contrairement aux mineurs français et aux ressortissants de l'Union européenne, ces derniers s'étaient vu refuser le droit de rachat précité suite à la fermeture des dernières exploitations de charbon qui les employaient. Pourtant, après que celles-ci ont mis la clé sous la porte, les travailleurs marocains s'attendaient légitimement, à l'instar de leurs camarades français et européens, à obtenir le droit de convertir en capital pécuniaire les avantages octroyés à vie aux mineurs, en l'occurrence la gratuité du logement et du chauffage. Une procédure grâce à laquelle ils auraient été en mesure d'acquérir à leur tour leurs habitations. C'était visiblement trop demander à l'ANGDM, pourtant légalement chargée depuis 7 ans d'honorer les obligations sociales des anciennes sociétés d'exploitation minière, parmi lesquelles les Houillères du Nord-Pas-de-Calais et les Charbonnages de France, envers leurs 200.000 ex-employés retraités. En 2005, soit une année après sa création, les mineurs lésés déposent plainte contre l'ANGDM. C'est le début d'une bataille judiciaire haletante. Flagrant délit de faciès En 2006, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) met en demeure l'ANGDM, reconnaissant par là une enfreinte flagrante aux droits des travailleurs, et enjoignant au dit organisme de verser une réparation adéquate aux mineurs marocains pour le préjudice moral et financier qu'elle leur a fait subir. Mais l'association gestionnaire refuse de reconnaître son tort. Maître Jung, son avocat, allègue que l'ANGDM a déjà versé une partie du montant total dû aux plaignants marocains, ceux-ci ayant, à ses dires, reçu sans interruption les indemnités de chauffage et de logement. C'est ainsi que cet organisme proposera en 2009 de verser aux plaignants la somme «restante», à savoir 14.000 euros chacun au lieu des 40.000 euros exigés. Une offre jugée antédiluvienne par l'avocate des retraités marocains, eu égard à la flambée des prix de l'immobilier. En effet, Me Bleitrach estime que si, à la fin de la décennie 80, les habitations octroyées aux mineurs étaient cédées à 80.000 francs français, actuellement, elles ne seraient pas évaluées à moins de 120.000 euros. Un écart qui représente une perte de patrimoine évidente pour les mineurs concernés. La suite de l'affaire est connue. L'ANGDM fait appel de la décision des prud'hommes de Douai prononcée le 19 mars 2010 à son encontre. Et perd le 31 mars 2011. Le gris destin des gueules noires marocaines Depuis l'annonce du jugement de la Cour d'Appel de Douai en leur faveur, les vainqueurs multiplient les interviews avec les médias, et les rencontres avec leurs anciens compagnons de mine. De par leur persévérance et leur obstination à aller jusqu'au bout de leur combat pour la dignité, les «dix gueules noires» sont devenus un modèle de bravoure pour tous les anciens mineurs marocains, et maghrébins en général, estimés à plus d'un millier dans toute la France. Ramenés du Sud du Maroc (4287 sur un total de 44297 mineurs à la fin 1975), essentiellement d'Agadir, de Ouarzazate, de Tarfaya et de Marrakech, dans une Europe en chantier au lendemain de la seconde guerre mondiale pour travailler dans une industrie du charbon florissante, ces hommes, pour la plupart analphabètes et sans qualification, et qui avaient pour unique ambition de gagner humblement un morceau de pain à la sueur de leur front pour nourrir leurs familles, ont sacrifié leur jeunesse et leur santé sur l'autel du progrès industriel de leur pays d'exil. Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais (le plus riche de France, étalé de Valenciennes à Béthune), où étaient embauchés à de modestes paies la majorité d'entre eux, ils ont usé toutes leurs forces sous les 1200km2 de l'immense gisement pour en extraire le précieux charbon. Renvoyés par les sociétés d'exploitation une fois sonné le glas des trente glorieuses, le corps laminé et la mémoire meurtrie, ils vivent actuellement dans une grande précarité économique et souffrent d'une affligeante marginalisation sociale. Eux qui ont pourtant fait partie intégrante de la vie du bassin pas-de-calaisien et ses 1.200.000 âmes et ont activement participé à la lutte prolétarienne... Le 21 décembre 1990, date de la dernière extraction, les anciennes gueules noires de l'ex-Afrique coloniale ont pleuré de chagrin et de nostalgie, abattus, comme tous les «boyaux rouges», de voir se clore définitivement plus de 250 ans d'histoire de ce plat pays devenu le leur. «Arrivés dans les années 60 et 70, ils sont restés pour beaucoup sur le territoire après que les mines ont fermé leurs portes. Aujourd'hui migrants vieillissants, ils ont des difficultés à maîtriser nombre de démarches de la vie quotidienne, en raison notamment de la non maîtrise de la langue et de leur mise au ban durant de nombreuses années par la société française. Aussi, leurs parcours et leur sociologie font d'eux un public qu'il s'agit d'accompagner pour compenser ces difficultés et ces discriminations, si on veut qu'ils aient accès aux droits sociaux et juridiques au même titre que chaque citoyen français», conclut à ce propos Sébastien Alberger, coordinateur de l'Association des mineurs mmarocains du Nord. Avec ce dernier rebondissement judiciaire, les mineurs maghrébins espèrent ainsi bientôt voir le bout du tunnel.