Il est des refus salutaires! Trois jours après les élections cantonales des 20 et 27 mars 2011, marquées par une forte abstention et une inquiétante percée du Front National, les représentants des six grandes religions de France - catholiques, musulmans, juifs, protestants, orthodoxes et bouddhistes - demandent au gouvernement français d'arrêter les frais. C'est-à-dire de mettre un terme au débat sur la laïcité, appellation hypocrite s'il en est car derrière laïcité, il y a la question de l'islam et de l'immigration. Le moins qu'on puisse dire, c'est que la première déclaration commune jamais signée par les représentants du culte ne mâche pas ses mots. Tout en affirmant que «la laïcité est un des piliers de notre pacte républicain, un des supports de notre démocratie», ces derniers demandent «(…) en cette période pré-électorale d'éviter amalgames et risques de stigmatisation» et de «ne pas ajouter de la confusion dans la période trouble que nous traversons». Perte d'autorité de Nicolas Sarkozy Cette prise de position porte de facto un coup à la convention sur la laïcité voulue par Nicolas Sarkozy et le patron de l'UMP, Jean François Copé. Même si ce dernier tente de convaincre les «ministres des cultes» de quelques ambassades arabes de lui sauver la face en assistant malgré tout à la convention du 5 avril, la condamnation des représentants officiels des grandes religions lui enlève d'ores et déjà toute légitimité. Elle aggrave en outre la perte d'autorité du président et la fracture au sein d'une droite au bord de l'implosion depuis son revers aux cantonales. La passe d'arme entre Jean-François Copé et le Premier ministre François Fillon au lendemain de ce scrutin témoigne de ces déchirements. Certes, ce dernier avait eu le tort de se démarquer de la ligne officielle de l'UMP en appelant à voter «contre le Front National» au second tour. Pour autant, on n'avait jamais vu sous la Ve République le patron de la majorité présidentielle reprocher publiquement au Premier ministre «de ne pas jouer collectif» à propos du débat controversé sur la laïcité et l'islam, tandis que ce dernier lui faisait rétorquer qu'il fallait alors «démissionner». Ce conflit ouvert, que seule l'intervention de Nicolas Sarkozy a apaisé, est de mauvais augure pour la droite, à treize mois de la présidentielle de 2012. La «droitisation» de Sarkozy profite au FN Car les cantonales n'ont pas seulement consacré sa bérézina (35,56% des voix et 48 sièges perdus). Elles ont aussi montré une apathie civile, une démocratie française malade : l'abstention record (55,68%) atteste d'une grave crise du politique, une large majorité de Français ne croyant plus à aucun discours et ne se reconnaissant plus dans aucun parti. Cette abstention relativise d'ailleurs la victoire des Socialistes, qui totalisent 50,23% des voix avec leurs alliés radicaux et Europe Ecologie-Les Verts. Parallèlement, la forte progression en voix (mais pas en sièges) du Front National (11,4%) témoigne d'un pays replié sur lui-même, enclin à accepter le discours le plus simpliste et le plus populiste et à faire de l'immigré le bouc émissaire de toutes ses peurs et difficultés. Le fait que les cantonales soient un scrutin local et peu mobilisateur car les Français ne saisissent pas toujours bien le rôle des conseillers généraux ne suffit pas à expliquer ces résultats. Ni la percée du FN. Celle-ci s'explique en grande partie par l'obstination de Nicolas Sarkozy, du patron de l'UMP et du ministre de l'intérieur Claude Guéant à refuser de voir que leur stratégie de «droitisation» a l'effet inverse de celui escompté. Le président et son aile la plus à droite restent persuadés qu'en reprenant à leur compte les thèmes de prédilection de l'extrême-droite, immigration, islam et insécurité, ils récupéreront l'électorat du Front comme ils l'avaient fait avec succès lors de l'élection de Sarkozy en 2007. Nouveau ton, même fonds de commerce Rien, pas même leur revers lors des municipales et des régionales de 2008 et 2010, n'a pu les convaincre que cette stratégie ne profite désormais qu'à l'extrême droite. Le calamiteux débat sur l'identité nationale de 2009 ne leur a pas non plus servi de leçon alors qu'il avait fallu le clore en catastrophe tant il avait provoqué de dérapages et «dopé» le FN ! Aujourd'hui, l'entêtement à continuer à chasser sur les terres de l'extrême-droite a quelque chose de suicidaire. Surtout depuis que Marine Le Pen a succédé à son père à la direction de son parti en janvier. Outre sa gouaille et sa personnalité, la force de cette ancienne avocate de 42 ans est d'avoir su rénover l'image du Front en adaptant son discours pour qu'il choque moins, mais sans rien changer de son contenu. Du coup, c'est elle qui impose les thèmes de la campagne présidentielle pour 2012 : défense d'un Etat fort, dénonciation de la crise et de l'euro, peur des «flux migratoires rendus incontrôlables par les révoltes arabes», laïcité et islam. Résultat : la fille de Jean Marie Le Pen capitalise le dégoût d'une partie de la population face à la multiplication des «affaires» et son exaspération face à une crise économique et sociale profonde qui lui paraît insoluble. Quelle que soit la fiabilité des sondages à un an de la présidentielle, le fait qu'ils prédisent la présence de Marine Le Pen au second tour conforte l'impression d'une dynamique en sa faveur. Une chose est sûre : en dépit de l'indigence de ses propositions économiques, sortie de la zone euro et retour au franc, «Marine» a réussi à dé-diaboliser et à banaliser le FN surtout dans l'électorat de droite. Il s'impose dans les couches les plus modestes, les moins instruites, les plus âgées, chez les inactifs, les retraités et, nouveauté, chez les employés les plus précarisés, bref au sein de ceux qui ont peur de l'Europe, de la mondialisation et du multiculturalisme. Un sondage BVA-Absoluce montre ainsi que plus d'un Français sur deux estime que le FN devrait être considéré comme «un parti comme les autres». Arrêter la dynamique Marine Le Pen A force de surenchère sur l'immigration et l'identité nationale, Nicolas Sarkozy aura contribué à légitimer les thèses de l'extrême-droite et à instaurer un climat aux relents nauséabonds qui, comme dans plusieurs pays européens, prospère sur la peur de l'islam. «Il doit changer son fusil d'épaule et parler d'économie, d'emploi et de pouvoir d'achat pour limiter le potentiel de Marine Le Pen, estime BVA. Si on ne fait rien pour l'arrêter, la dynamique du FN va s'accentuer». C'est ce que pense une partie de la droite «modérée» qui commence à douter que le chef de l'Etat soit le bon candidat pour la future présidentielle. Cela va du chiraquien François Baroin au centriste Jean Louis Borloo, en passant par François Fillon et Alain Juppé. Ces deux hommes se vivent d'ailleurs comme l'alternative à droite d'un Nicolas Sarkozy qui, au plus bas de sa popularité, «vend» son savoir faire sur la politique étrangère en prenant la tête du combat international contre le dictateur libyen ou en se rendant au Japon pour «témoigner sa solidarité avec sa population». En tentant d'oublier que la politique étrangère n'a jamais fait élire un président.