Elle est même dirigée par des responsables du régime qui ne sont descendus du bateau qu'après la confirmation de la tempête et la chute de plusieurs villes. Si l'issue de la guerre civile en cours ne fait pas de doute, la communauté internationale ayant décidé d'avoir la tête du dictateur à n'importe quel prix, des questions se posent quant à l'avenir de la tonitruante Jamahiriya. L'unité du pays est en jeu. Le caractère tribal étant décisif, il faudra réconcilier les tribus. Selon le correspondant de France 24, ce sont les habitants de Jabaldya qui ont chassé les insurgés et non la soldatesque de l'illuminé! C'est dire si les relations tribales sont importantes dans ce conflit. Le conseil provisoire est d'ailleurs composé sur cette base, en respectant des équilibres ancestraux. On voit cependant la difficulté de l'émergence d'un Etat moderne, civil et démocratique qui permettrait rapidement de dépasser le déchirement actuel, sans tomber sous la coupe d'un nouvel autoritarisme. Pourtant, la Lybie a connu un tel Etat. Les Libyens, dont le sentiment national était exalté par la résistance d'Omar El Mokhtar, ont choisi à l'indépendance une monarchie, celle des Senoussi. Dès 1951, le pays avait un régime parlementaire et des élections. Le Roi Idriss Senoussi, qui a régné pendant 19 ans, n'a jamais emprisonné ni fait assassiner un opposant. De l'aveu de tous, il était un homme droit et est mort très pauvre. L'ancien président égyptien Nasser, l'idole des putschistes, a soutenu la famille royale libyenne au lendemain de son exil. Le drapeau dans lequel se reconnaissent les insurgés libyens est celui de cet Etat postindépendance. En Libye et dans les capitales occidentales, la monarchie est une option prise au sérieux. Le petit-fils du Roi Idriss Senoussi qui vit à Londres soutient les révolutionnaires. C'est un jeune diplômé, moderne et ouvert. Le profil qui séduit les Occidentaux. Encore faut-il en convaincre les Libyens. Les incertitudes qui planent sur l'avenir du pays sont ressenties comme des risques pour le pourtour méditerranéen. La Libye assure l'approvisionnement en pétrole du Sud de l'Europe, constitue un marché important, puisqu'il ne produit rien d'autre, et représente une plaque tournante de l'émigration clandestine du fait qu'il jouxte le Sahel. S'il n'a pas l'importance géostratégique de l'Egypte, personne n'accepte une nouvelle dictature à quelques kilomètres de l'Europe. C'est ce qui explique pourquoi les projections sur l'avenir intéressent tant les chancelleries. «Ce que j'essaie de faire maintenant, c'est arrêter le massacre.» Mohamed Senoussi, Le prince héritier de Libye veut arrêter le massacre Depuis le début de la révolution contre Kadhafi, Mohamed Senoussi, le prince héritier du trône libyen, s'est mis du côté du peuple qui réclame le départ de Kadhafi «meurtrier de son peuple et fossoyeur de la monarchie». Il a usé de tous les moyens dont il dispose pour soutenir les «héros de la révolte populaire». Depuis 1988, Mohamed Senoussi, 48 ans, homme d'affaires discret et sans histoires, vit à Londres. Il a une revanche sur Moammar Kadhafi qui a détrôné son grand oncle, le roi Idriss 1er, en 1969, suite au fameux coup d'Etat que Kadhafi appelle la révolution du Fateh. Interdit par Kadhafi depuis 40 ans, le drapeau noir, rouge et vert avec un croissant et l'étoile a réapparu à la faveur de la révolution. Il est partout où la révolution avance. Brandi aussi bien par les civils qui manifestent que par les factions armées qui combattent les soldats et les mercenaires pro-Kadhafi. Sachant que c'est le drapeau qu'avait choisi le roi Idriss 1er, les commentateurs ont conclu que la révolution est certes contre Kadhafi, mais aussi pour le retour de la monarchie et donc de Mohamed Senoussi. Pourquoi lui plus précisément ? C'est en tout cas lui qui est aujourd'hui au devant de la scène. Il y a bien un autre prétendant mais il n'a pas réagi. Il s'agit de l'un des cousins de Mohamed Senoussi, le prince Idriss, fils du prince Abdallah Senoussi dit «le Prince Noir». Il est aussi influent parmi l'opposition anti-Kadhafi et a déjà fait une tentative anti Kadhafi par le passé qui n'a rien donné. Interview accordée par Mohamed Senoussi à Al Jazeera international. Sa première sortie médiatique depuis le début de la révolution en Libye. Qui dirige, selon vous, cette révolution ? Mohamed Senoussi. Il n'y a pas de leader à cette révolution. Tout le monde est leader et surtout les jeunes. Il y en a tout de même qui sont plus forts que d'autres. Avez-vous essayé d'en contacter quelques uns ? Ce que j'essaie de faire maintenant, c'est arrêter le massacre. J'essaie de faire pression et appeler la communauté internationale à arrêter cette tuerie. Kadhafi doit partir. C'est ce que j'essaie de faire chaque jour. Que devrait et que pourrait faire la communauté internationale ? La communauté internationale sait comment stopper le massacre. Etes-vous pour une intervention militaire en Libye ? Je soutiendrai toute action susceptible d'arrêter la tuerie. Envisagez-vous de rentrer en Libye ? Mon retour n'est pas à l'ordre du jour pour le moment. Mon cœur est avec mon peuple, mais le plus important maintenant est la fin du massacre. C'est une révolution contre Kadhafi, pas une révolution pro-monarchie. Le peuple ne se révolte pas pour le retour de la monarchie, n'est-ce pas ? Les gens sont descendus dans la rue par eux-mêmes. Ils revendiquent la possibilité de vivre en tant qu'humains. C'est ce qu'ils demandent. Le rétablissement de la monarchie est-il une bonne idée ? Le retour de la monarchie dépend des Libyens. Il y a un massacre, des gens meurent, et c'est ce qui me fait réagir à l'heure actuelle. J'utilise tous mes contacts pour arrêter cela. J'ai des contacts partout dans le pays, à l'est, à l'ouest, partout. Ils me décrivent le désastre humain. De l'ordre religieux à la monarchie Son fondateur, Mohammed Ben Ali As-Senoussi, naquit en Algérie en 1780. Après des études à Fès, qu'il approfondit à La Mecque et à Médine, cet ascète rassembla ses premiers disciples, prêchant dans les pays qu'il traversa. En 1843, ne pouvant rentrer en Algérie, occupée par les Français, il s'établit en Cyrénaïque, dans l'actuelle Libye, où il fonda la Zaouia Al-Beida (le monastère blanc), la première cellule religieuse de la confrérie qui prit son nom. La secte, dispensant asile, éducation et gouverne religieuse, connut un succès très rapide parmi les tribus de Cyrénaïque. A la mort de son fondateur en 1859, sa doctrine s'était répandue en Libye, en Egypte, au Soudan et au Tchad, essentiellement grâce au prosélytisme de ses membres et l'efficacité de leur organisation en petites cellules de vie sédentaire le long de routes commerciales, autour de points d'eau, de lieux de culte ou de marchés. Dans les années 1880, la confrérie atteint le sommet de son développement. La fin du siècle marque le reflux de son oeuvre missionaire sous la pression des troupes françaises et britanniques, l'ordre étant devenu un catalyseur de la résistance à la colonisation. Progressivement, la communauté se réduisit à la Cyrénaïque où l'administration ottomane délégua à l'ordre des fonctions d'encadrement des tribus traditionnellement rebelles à une autorité centrale. A partir de 1911 les Senoussi luttèrent avec les Turcs contre les forces italiennes en Cyrénaïque, et pendant la Première Guerre Mondiale contre leurs alliés britanniques. Suite à la défaite des troupes Senoussi par ces derniers en 1916, leur dirigeant As-Sayyid Ahmed As-Sharif As-Senoussi quitta le pays. Son successeur Mohammed Idris Al-Mahdi As-Senoussi fut reconnu par les Italiens et les Britanniques comme Emir de Cyrénaïque intérieure après avoir signé le traité d'Az-Zawiatna et renoncé à attaquer les cités côtières en Egypte. En 1922, il accepta le titre d'Emir de Tripolitaine que lui offrirent les nationalistes de cette région. Les Senoussi reprirent alors leurs activités guerrières contre les Italiens. Ceux-ci réussirent à affaiblir les Sennoussi en les privant des oasis du sud: Mohammed Idriss s'exila au Caire la même année. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Senoussi combattirent aux côtés des alliés contre les Italiens. Après la défaite de ces derniers, les Britanniques reconnurent Muhammmad Idriss comme Emir de Cyrénaïque. Le 24 décembre 1951, il fut couronné Roi de Libye. Son règne se caractérisa par une politique très conservatrice et de fréquentes frictions entre Cyrénaïque et Tripolitaine, problème récurrent dans l'histoire du pays. Le Roi Idriss fut renversé le 1/9/1969 par un groupe d'officiers mené par Moammar Kadhafi, issu d'une tribu du sud adhérant à la secte Senoussi. Il n'est donc pas étonnant que l'idéologie du régime doive beaucoup à la doctrine de ce mouvement (entre autres son côté anti-occidental et le souci du retour à l'arabité). Source : Institut Européen de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe