Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre turc a le vent en poupe. Il sort incontestablement renforcé, ainsi que son parti l'AKP, du referendum organisé le 12 septembre. 58% des Turcs ont approuvé sa proposition d'amender la constitution pour amoindrir les pouvoirs de la hiérarchie judiciaire et de l'armée. Ces deux bastions de la laïcité héritée de Mustafa Kemal Ataturk sont les bêtes noires des islamo-conservateurs qui ont gagné le pouvoir en 2002. Ceux-ci voulaient depuis longtemps réviser une constitution héritée du coup d'Etat militaire de 1980. Ce sera donc chose faite. Pour Erdogan, tribun hors pair, conservateur modéré, nationaliste volontiers populiste qui rêve de reconstituer la grandeur turque, ces amendements constitutionnels vont ancrer la Turquie dans la démocratie. Et partant constituer pour Ankara un atout supplémentaire pour entrer dans l'Union européenne. Rien n'est aussi simple. A deux niveaux. En Turquie même, le référendum a montré la fracture qui partage le pays. En demandant aux électeurs d'accepter ou de refuser en bloc l'ensemble des amendements constitutionnels, le référendum est devenu un véritable plébiscite de la politique du Premier ministre. Résultat : les régions rurales et conservatrices du Nord et de l'Est, les quartiers pauvres et peuplés des banlieues d'Istanbul et d'Ankara, l'ont largement approuvé; par contre, les électeurs de l'Ouest et du Sud du pays, zones plus riches et plus urbanisés, se sont abstenues ou ont voté contre. Ainsi, si le CHP, principal parti d'opposition, gauche laïque, se félicitait des amendements limitant le pouvoir des cours militaires et augmentant les libertés syndicales des fonctionnaires…, il contestait le renforcement du contrôle de l'exécutif sur la justice. Et a donc appelé à voter « non ». Comme les Kurdes qui ont majoritairement appelé au boycott du referendum. Pour les opposants, Erdogan et son parti vont faire main basse sur les contre-pouvoirs, en particulier la justice. Une certitude : par ce vote, Erdogan a redonné de l'allant à l'AKP usé par huit ans de pouvoir. Il a mis le parti en meilleure position pour les législatives de 2011. Une crainte : que le Premier ministre ne mette en place un régime semi-présidentiel élu au suffrage universel et dont il pourrait être le premier président. Certains le voient déjà, à tort ou à raison, instituer des institutions qui tourneraient le dos à la laïcité kémaliste. À Istanbul, on parle déjà de poutinisation» du régime. Au sein de l'Union européenne, le referendum n'a pas non plus rallié tous les suffrages. Pour les partisans de l'entrée de la Turquie dans l'UE (Espagne, Italie, Etats-Unis), le vote marque la volonté turque de se démocratiser et de se moderniser, même si les changements ne sont pas suffisants. L'UE demande ainsi que le droit des minorités et les libertés religieuses soient pleinement respectés. Les opposants à l'intégration turque (France, Allemagne, Autriche) ont, eux, salué du bout des lèvres la victoire d'Erdogan. Très manifestement, elle les gêne. Comme les perturbe cette volonté turque de déployer sans complexe sa diplomatie, non seulement au Moyen-Orient, mais sur tous les fronts, de l'Afrique à l'Amérique latine. Au point peut-être un jour, pour Ankara, de se détourner de l'Europe qui la snobe. C'est alors peut-être celle-ci qui le regrettera.