Il y a une centaine de Molenbeek en France». Cette phrase, lâchée par un leader politique français, a prospéré depuis. On a vu en boucle la dénonciation de territoires qui seraient «perdus» pour la République, où la radicalisation serait la norme et non pas un fait marginal. Ce discours, souvent en appui d'une demande de politiques répressives, tombe dans le pire des travers, celui de la stigmatisation de populations entières. Aujourd'hui, il est très difficile de structurer des positions cohérentes, parce que devant le choc des attentats, ce sont les excès verbaux qui ont les faveurs des décideurs. Ainsi, après Charlie Hebdo, Manuel Valls avait évoqué l'apartheid social. Mais, depuis quelques semaines, ce discours est taxé au mieux d'angélisme, au pire de justifier la radicalisation. La vérité est au milieu, comme souvent. Il y a la réalité de la ghettoïsation qui ne peut que renforcer le communautarisme. Elle est incontournable et les différentes politiques de la ville ne peuvent y remédier qu'à long terme, surtout en cette période de disette budgétaire. Au vu de la qualité des services publics, on peut inverser le discours et dire que ces territoires sont abandonnés par la République. La dimension socio-économique existe, mais ne justifie rien, et surtout pas la radicalisation. Là aussi, ce mot étant sur toutes les lèvres, on a l'impression que le phénomène touche l'ensemble des populations issues de l'immigration, ce qui est faux, absolument faux. La majorité reste constituée par des gens respectueux des lois du pays et désireux de s'élever socialement. Les discours actuels sont stigmatisant et mettent à l'index des villes entières, telles que Sevran, Lunel, ou encore tous les habitants du désormais tristement célèbre quartier belge, Molenbeek. Cela peut avoir des effets désastreux, en ce moment crucial où les identités sont plus meurtrières que jamais. Reléguer les gens à leur culture, à leur religion, pointer du doigt celle-ci, renforce le repli identitaire et crée alors un véritable terreau pour la radicalisation. C'est d'autant plus incompréhensible que le parcours des terroristes démontre que ceux-ci ne sont jamais passés par les mosquées. Pire, leur conversion à l'Islam est très récente et ne s'inscrit pas dans une démarche spirituelle ou mystique. Passant du banditisme au terrorisme, ces barbares sont uniquement animés par la haine du modèle où ils n'ont pas pu s'intégrer. Par ailleurs, réclamer des religions, toutes les religions, qu'elles s'adaptent aux lois, qu'elles évacuent tout discours haineux, fait partie des attributions des pouvoirs publics. Dans ce contexte, il faudra trouver des accommodements intelligents entre la loi sur la laïcité et le financement des mosquées, car les courants fondamentalistes utilisent cette question pour s'incruster en Europe. C'est ce qui empêche l'émergence d'un véritable Islam européen, alors que cette religion y est en pleine expansion. La guerre contre le terrorisme ne peut être que totale et donc multiforme. Le couper de tout environnement qui pourrait être inclusif, de tout possible terreau est une nécessité. Cela présuppose l'adhésion de tous les citoyens, y compris les musulmans au nom de qui ces actes sont perpétrés. C'est en ce sens que les précautions verbales prennent une importance capitale. On ne peut pas imaginer que la stigmatisation de ces populations va les amener à la dénonciation, les aider dans leur recherche d'intégration. Les débats sur la mixité sociale, le communautarisme, les trafics, sont tous légitimes. Encore faut-il, qu'ils soient menés sereinement et non pas dans une ambiance où la surexcitation l'emporte sur le rationnel. Pour y arriver, il faut s'attacher au choix des mots, qui, malheureusement, tuent eux aussi.