‘Avec « Aïda, la revenante », présélectionné pour l'Oscar 2016 du meilleur film étranger, Driss Mrini revient sur le grandécran cinq ans après son dernier opus. Rencontre décontractée avec un cinéaste iconoclaste au Festival International du Film de Femmes de Salé.' L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Aïda est votre troisième long-métrage après Bamou en 1980 et Larbi en 2010, qui retrace la carrière de la Perle noire du football marocain. Pourquoi avoir attendu 30 ans entre vos deux premiers films ? Driss Mrini. J'ai eu beaucoup de difficultés à réaliser Bamou, tant au niveau technique qu'au niveau de la thématique abordée. Bamou figure en effet, parmi les premiers films marocains adaptés d'un roman (celui d'Ahmed Ziad, ndlr). Par ailleurs, il aborde un sujet délicat à travers son personnage principal, Ahmed el Hansali, baptisé « Le tueur fou de Tadla » par la presse coloniale de l'époque, et que certains refusent de considérer comme un résistant. J'ai été critiqué et attaqué de toutes parts pour cette fiction historique. Or mon but n'était nullement de verser dans la polémique politique, mais uniquement de narrer une histoire d'amour sur fond de lutte fébrile contre l'occupation. Bamou n'a pas déçu le grand public, d'autant plus qu'il a été porté par une pléiade de grands comédiens de l'époque. En revanche il n'a reçu aucun soutien étatique. Cette expérience amère m'a refroidi vis-à-vis du cinéma, j'ai mis beaucoup de temps à m'en remettre. Ceci dit, j'ai réalisé entre temps de nombreux documentaires et émissions pour la télévision ainsi que des beaux-livres sur le patrimoine culturel marocain, dont un sur ma ville natale, Salé. Je n'ai donc jamais définitivement coupé avec la réalisation et l'écriture. Et je peux vous assurer que maintenant que je suis sorti de mon « hibernation cinématographique », je suis déterminé à revenir au 7ème art même si les moyens font défaut. Je pense notamment à réaliser une comédie et probablement à rediffuser Bamou que j'ai restauré en Italie. D'origine juive marocaine atteinte d'une maladie grave qui revient sur les traces de son enfance au pays natal. Aïda est-il porteur d'un message particulier ? Oui, le message me semble évident. C'est celui de l'ouverture du Maroc sur toutes les religions et toutes les cultures. Cette mosaïque confessionnelle et culturelle fait la particularité et la richesse de l'identité marocaine. Aussi, à travers le voyage d'Aïda Cohen, qui revient au bercail 40 ans après son départ, j'ai voulu montrer que ce qui reste de la communauté juive au Maroc continue à exercer son culte en toute liberté, chez elle comme dans les synagogues et sur les tombeaux des nombreux saints juifs à travers le pays. Ce sont aussi des citoyens très attachés à leurs traditions marocaines et qui jouissent d'une belle réussite sociale pour bon nombre d'entre eux, comme le montre le personnage de la soeur d'Aïda et son époux. La musique semble être un personnage à part entière dans « Aïda »… En effet, dans « Aïda », la musique fait partie intégrante de la narration et le thème musical est un cocktail savamment étudié. Je suis un passionné de musique et il s'agit d'un amour ancien et pluriel. J'ai voulu faire en sorte que l'élément musical ne soit pas là juste pour décorer le film ou accompagner les scènes, mais pour renforcer l'émotion et aussi mettre en valeur la richesse de notre patrimoine artistique. Vous avez certainement remarqué à ce propos la présence à l'écran du Maâlem gnaoui Hamid Kasri, de la chanteuse de melhoun et de gharnati Sanaa Marahati ou encore, de la chorale judéo-arabo andalouse, Kinor David de Casablanca. La musique rassemble et guérit aussi dans votre film… La musique unit les coeurs et soigne les corps, dans ma fiction comme dans la vraie vie. Dans « Aïda », la musique andalouse transcende les frontières sociales et religieuses, elle est le ciment fédérateur entre la famille Cohen et la famille Alami, à laquelle appartient l'ami d'enfance d'Aïda. C'est la passion commune pour cet art qui réunit de nouveau les protagonistes, aide Aïda à vaincre son cancer et Youssef, sa maladie psychosomatique liée justement à son abandon de la musique au profit de sa carrière d'architecte. Nous sommes tous égaux face à la maladie et à la mort, quelle que soit notre religion, notre origine ou notre couleur de peau. Or, la musique est une thérapie que l'on néglige souvent comme on néglige les signaux d'alarme que nous lance notre corps pour nous avertir de notre mal-être psychique. Le film est porté par le jeu de Noufissa Benchehida mais aussi par celui de Houda Rihani… Noufissa a beaucoup insisté pour incarner le rôle d'Aïda. Elle n'a pas eu besoin de me convaincre, cette femme est dotée d'un charisme extraordinaire, j'ai tout de suite vu qu'elle était parfaite pour ce rôle. Quant à Houda Rihani, je l'ai choisie pour incarner la femme de Youssef Alami car je cherchais une antagoniste de poids face au personnage d'Aïda la mondaine, cultivée, grande et élancée. Je voulais une comédienne qui sache jouer le rôle de l'épouse et de la mère de famille marocaine ordinaire mais qui derrière son apparence de bout de femme menue et fragile, cache un courage et une détermination à toute épreuve. Le spectateur reste sur sa faim à la fin du film dans la mesure où on ignore ce qu'il advient de l'héroïne. Est-ce un choix délibéré ? Totalement. J'ai voulu laisser le spectateur imaginer la suite de cette belle histoire, cela aurait été trop simpliste et classique de chuter sur une fin prévisible. Ceci dit, j'ai clos mon long-métrage par le titre d'un célèbre ouvrage de David Servan-Schreiber sur le cancer « On peut se dire au revoir plusieurs fois », et ce, afin de délivrer un message d'espoir à toutes les personnes frappées par cette maladie et à leurs proches, les encourager à puiser dans leurs forces intérieures afin de ne jamais baisser les bras dans leur bataille contre « le crabe ». Enfin, comme pour le reste du scénario, je voulais charger ce film de symboles subtils sans tomber dans l'écueil du cliché. C'est pour cela que je ne me suis pas attardé par exemple sur les raisons de l'exode des Juifs du Maroc, chacun étant parti pour une motivation précise. En revanche, le retour d'Aïda 40 ans après son départ, alors que les médecins lui prédisent seulement 4 mois à vivre, est suffisamment éloquent à mes yeux sur les liens étroits des Juifs marocains avec leur terre natale. « Aïda » a été présélectionné pour l'Oscar 2016 du meilleur film étranger. Qu'est-ce que cela représente pour vous ? C'est à l'évidence un honneur pour moi, mais je ne me berce pas de faux espoirs, car la promotion d'un film à l'international suppose de débourser des millions de dollars pour espérer des retombées probantes. Or, « Aïda » est une production à petit budget, en l'occurrence 5 millions de dirhams dont 3,9 accordés par le Centre Cinématographique Marocain et je n'ai objectivement pas les moyens financiers d'assurer une promotion digne de ce nom à l'étranger. Par ailleurs, la concurrence qualitative des autres films étrangers est très rude. En résumé, je ne suis pas optimiste mais je suis content qu' « Aïda » représente le Maroc dans un évènement d'une aussi grande envergure