Officier de l'armée de l'Air US à la retraite et senior fellow au Centred'études stratégiques de l'Afrique relevant du think tank américain Atlantic Council., le Colonel Rudolphe Atallah est aussi CEO de White Mountain Research LLC, une entreprise de conseil basée aux Etats-Unis. L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Après les attentats du 11 septembre 2001, le monde entier croyait que les USA allaient décimer les terroristes partout où ils se trouvaient. Or, ces derniers semblent être plus nombreux que jamais, notamment en Syrie, et leurs rangs se renforcent chaque jour. Qu'est-ce qui explique cette situation si paradoxale ? Le Colonel Rudolphe Atallah : Le terrorisme est devenu une menace globale. Il a pris une dimension religieuse qui vise des groupes vulnérables. En particulier, des jeunes qui s'opposent à leur environnement politique, voire culturel. Ceux-ci se révoltent en s'engageant dans des actes criminels. Ils commencent alors à assassiner des innocents, violent, tuent, kidnappent, commettent tous les délits interdits par l'islam au nom de la Charia. Pourtant, ils ignorent totalement l'islam, ses lois et ses valeurs. Ce sont des révoltés qui agissent ainsi en créant une version déformée de l'islam comme couverture pour arriver à leurs fins. C'est là une jeunesse perdue qui, malheureusement, n'a pas reçu l'éducation élémentaire nécessaire que doit normalement dispenser la famille en premier lieu. Les responsables éducatifs n'ont pas, non plus, rempli leur rôle ni leur entourage pour remettre cette jeunesse sur le droit chemin. Je me souviens quand j'étais petit garçon, dans un village en montagne non loin de Beyrouth, mes parents intervenaient lorsque je me comportais d'une façon incorrecte, mes instituteurs à l'école en faisaient de même, ainsi que tout mon entourage. Ils se sentaient tous responsables de mon éducation. Aujourd'hui, on donne trop de liberté aux enfants et on ne prend plus la peine de bien les éduquer. Résultat : Une jeunesse influençable qui pourrait être vite impressionnée par ces courants extrémistes qui se propagent à travers les tissus de la société et s'exportent via le cyberespace qui facilite encore plus la propagation de ces fléaux. Croyez-vous qu'il serait possible un jour d'anéantir le terrorisme ? Lutter contre le terrorisme est la responsabilité de tout le monde : du foyer, de l'école et du gouvernement. C'est quand toutes les composantes de la société uniront leurs forces qu'on pourra anéantir le terrorisme. Cet effort commun commence par une bonne éducation de base devant être dispensée par les parents. Lesquels seront relayés par l'école pour montrer le droit chemin et enseigner les bonnes valeurs aux plus jeunes. Ce faisant, ceux qui s'égarent doivent être soutenus pour retrouver le droit chemin. Une fois que l'école et la famille auront accompli leurs devoirs, le gouvernement doit aussi donner à la jeunesse les moyens lui permettant d'avoir une vie décente : un travail, un foyer et les connaissances nécessaires pour être immunisée contre les tentatives de recrutement par les extrémistes. L'exemple de Daech montre que le problème réside dans la vulnérabilité de certains jeunes qui sont prêts à se révolter contre tout sans même savoir pourquoi. Pour remédier à cette situation, il est nécessaire que des stratégies holistiques soient mises en place par les gouvernements en associant les acteurs économiques, culturels, religieux et sociaux. La force est-elle le seul moyen efficace contre ce phénomène ? Par la force, les USA ont déjà obtenu d'excellents résultats. L'assassinat de Ben Laden en est un, tout comme l'arrestation de nombre de terroristes. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut mettre en place des approches holistiques qui comprennent des réformes politiques, économiques et sociales ainsi que des approches préventives en matière de lutte antiterroriste. Surtout dans les régions qui restent sous l'emprise de terroristes. En tout cas, la force n'arrête point le fléau. Elle est juste une solution temporaire. Il faut éradiquer le mal à la racine en réinstaurant les vraies valeurs, la bonne éducation, etc. Ya-t-il moyen de prévenir le terrorisme pour ne pas devoir le « guérir » ? Le processus de prévention commence d'abord au niveau individuel. Le gouvernement et la société doivent y prendre part. Tous les acteurs de la société sont d'ailleurs concernés. L'enfant doit être au centre de toutes les préoccupations. Je le répète, l'antidote contre l'extrémisme est la bonne éducation, une orientation vers une vie saine et le respect des vraies valeurs. Comme déjà dit, une vie décente doit être possible au sein d'une société qui promeut le bien et rejette le mal. Il faut mettre en place des stratégies de réformes politiques, économiques et religieuses, avec des mises à niveau judiciaires. La lutte contre l'idéologie extrémiste violente est aussi culturelle et éducative. Tout doit être fait pour contrecarrer tout amalgame entre l'islam et l'extrémisme. Les couches sociales les plus fragiles doivent être associées à cette lutte, en mettant l'accent sur la jeunesse, les 15-30 ans, dont dépend la stabilité des pays. Le Printemps arabe constitue d'ailleurs un exemple édifiant. Que pensez-vous de la stratégie marocaine en matière de « sécurité religieuse » dont commencent à s'inspirer différents pays ? Le Maroc a mis en place une stratégie à plusieurs niveaux pour la lutte antiterroriste à travers un ensemble de réformes démocratiques englobant, entre autres, la modernisation du champ religieux. Cela se fait à travers différentes institutions visant la promotion d'un islam modéré et tolérant. Eu égard à la réussite des réformes initiées par le Royaume, plusieurs pays africains et européens ont exprimé leur souhait de bénéficier de l'expertise marocaine en matière de formation des imams, par exemple. Parmi ces pays ont peut citer la Libye, la Tunisie, la Côte d'Ivoire, le Gabon, la Guinée, la France et les Maldives. Quelque 500 imams ont déjà bénéficié de cette formation. En outre, le Maroc a entrepris une approche fort intéressante dans son plan de lutte antiterroriste qui consiste en la réhabilitation des prisonniers. Le programme de réinsertion socioprofessionnelle dans les établissements pénitentiaires où les détenus peuvent bénéficier de formations et de différentes activités ne peut que raffermir leurs relations avec le monde extérieur et contribuer à la préparation du détenu à une réinsertion aisée dans les tissus économique et social loin des tentations extrémistes. Ces réformes tout azimut ont donné lieu à une dynamique vertueuse qui a favorisé le développement de la culture démocratique, du pluralisme et de l'égalité au Maroc. Et c'est à travers cette approche que le Royaume contribue à la lutte contre l'extrémisme violent.