Cela ressemble à un puzzle sinistre et macabre dans lequel Irak, Afghanistan et Pakistan sont étroitement imbriqués et où les acteurs locaux jouent tous leur propre partition avec des objectifs qui sentrecroisent aussi : «casser» chaque avancée, même minime dans lun ou lautre pays, se maintenir au pouvoir et, sagissant dAl Qaïda, exercer une capacité de nuisance pour montrer que même affaibli, on existe encore. En quatre jours, du 2 au 6 avril, lIrak et le Pakistan ont ainsi connu une énième flambée dattaques terroristes sanglantes. Le 6 avril, sept explosions dans des bastions chiites de Bagdad ont fait 38 morts et 130 blessés, deux jours après que des attaques suicides contre trois ambassades y aient déjà causé la mort de 41 personnes et quune tuerie à Soufia, un village sunnite au sud de la capitale, ait fait 25 victimes. Au Pakistan, ce sont au moins 50 personnes qui ont péri le 5 avril dans un attentat suicide dans la province de la frontière nord-ouest et dans une série dexplosions à Peshawar Empêcher toute stabilisation de lIrak En Irak pourtant, la diminution très nette des violences, suivie de la forte participation aux dernières élections en dépit des menaces dAl Qaïda, attestaient dune amélioration de la situation. Dautant que lélection de Ilyad Allaoui, un chiite laïc arrivé devant le Premier ministre sortant Nouri al Maliki témoigne dun scrutin relativement transparent, même si les tractations en vue de la formation dune coalition risquent de durer encore longtemps. Cest cette «avancée» censée doter lIrak dinstitutions stables et démocratiques que la branche irakienne dAl Qaïda veut casser à tout prix. Le choix de ses récentes cibles en témoigne : la tuerie de Soufia a frappé une famille connue pour sêtre enrôlée dans les milices Al-Sahwa armées et payées par les Américains pour combattre Al Qaïda dès 2006. Ses quelque 94.000 miliciens sunnites, pour la plupart danciens insurgés, ont beaucoup contribué à la perte dinfluence de la nébuleuse terroriste en Irak, avant de passer en 2009 sous le contrôle du gouvernement irakien. Aujourdhui, le renforcement et la consolidation des forces de lordre irakiennes afin quelles puissent assumer entièrement la sécurité après le retrait total des troupes américaines fin 2011 est lun des objectifs majeurs du gouvernement de Bagdad. Il devient dès lors décisif pour Al Qaïda de «faire payer leur trahison» à ces ex insurgés afin de terroriser et dissuader tous ceux qui auraient la tentation de les imiter. En sattaquant par ailleurs à des bastions chiittes, les extrémistes espèrent par ailleurs pousser les milices chiites de Moqtada Sadr à réagir et à entrer dans un processus de vendetta. Ce qui empêcherait toute stabilisation du pays. Dialoguer avec les talibans, carte maîtresse de Karzaï et du Pakistan La partie qui se joue entre le Pakistan, lAfghanistan et les Américains est encore plus complexe. Mais là aussi, les insurgés talibans pakistanais et/ou Al Qaïda tentent dempêcher le processus de réconciliation avec les chefs du mouvement taliban basés au Pakistan. Ce dialogue avec les talibans dits «modérés» qui seraient prêts à déposer les armes constitue la carte maîtresse du président afghan Hamid Karzaï. Mais cest aussi un processus que le Pakistan et son chef détat-major Ashfaq Parvez Kayani entendent contrôler de bout en bout afin de retrouver une influence en Afghanistan. Avec de toute évidence la bénédiction des Américains et des forces de lOtan qui voient en cette future négociation la possibilité dune porte de sortie honorable dAfghanistan. En attendant, toute la stratégie militaire de Washington et du général Mc Chrystal est doccuper les principales bases des talibans en Afghanistan assez longtemps pour permettre lémergence dun pouvoir local pachtoune hostile aux talibans, ou au moins aux éléments les plus radicaux de la milice islamiste. Barack Obama na en effet quun moyen de parvenir à retirer ses troupes dAfghanistan: la mise sur pied dun pouvoir afghan central légitime et doté dassez de moyens et dautorité pour être capable dassumer à terme la sécurité des populations et des chefs locaux contre la violence et le radicalisme des talibans et dAl Qaïda. Cest grosso modo le schéma adopté en Irak et qui commence à porter quelques fruits. Islamabad fixe le prix de son aide Mais cette stratégie américaine est basée sur une collaboration étroite avec le Pakistan. Car sans laide des services secrets pakistanais pour combattre les talibans les plus radicaux retranchés dans les zones tribales pakistanaises, la bataille est perdue davance. Et Islamabad a clairement signifié que cette aide avait un prix : un rôle de premier plan dans les négociations avec les talibans et dans la composition du gouvernement afghan après le retrait des Américains. Et pour bien montrer leur détermination, les Pakistanais ont «enlevé» un des chefs talibans modérés qui négociait avec Hamid Karzaï. Inutile de dire que le président afghan voit dun mauvais il cette coopération entre Washington et Islamabad. Sa crainte dêtre au mieux marginalisé, au pire sacrifié, est la seule manière dexpliquer quil sen soit pris récemment aux Occidentaux, les accusant davoir «organisé la fraude» lors des élections présidentielles alors que ces derniers le soutiennent, certes faute de mieux, à bout de bras ! Deux jours plus tard il récidivait, affirmant cette fois quil ne soutiendrait la prochaine offensive américaine à Kandahar, bastion des talibans, que si les chefs tribaux de la région étaient daccord Quand on sait que cette offensive contre Kandahar est décisive pour porter un coup sévère aux talibans, on comprend que le président afghan fait lui aussi monter les enchères. Pendant ce temps, les talibans les plus radicaux et leurs alliés dAl Qaïda multiplient les attentats suicides contre les forces locales disposées à dialoguer avec les Occidentaux et le gouvernement pakistanais. Cela explique sans doute les attentats de cette semaine au Pakistan, notamment à Peshawar. Mais cest aussi a contrario une manière dadmettre que la politique de «dialogue» commence à donner quelques résultats en attirant certains chefs pachtounes locaux, fatigués de la guerre, attirés par largent et/ou la perspective de futurs postes.