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Afpak Al Qaïda tente de survivre aux négociations
Publié dans L'observateur du Maroc le 15 - 04 - 2010

Cela ressemble à un puzzle sinistre et macabre dans lequel Irak, Afghanistan et Pakistan sont étroitement imbriqués et où les acteurs locaux jouent tous leur propre partition avec des objectifs qui s’entrecroisent aussi : «casser» chaque avancée, même minime dans l’un ou l’autre pays, se maintenir au pouvoir et, s’agissant d’Al Qaïda, exercer une capacité de nuisance pour montrer que même affaibli, on existe encore. En quatre jours, du 2 au 6 avril, l’Irak et le Pakistan ont ainsi connu une énième flambée d’attaques terroristes sanglantes. Le 6 avril, sept explosions dans des bastions chiites de Bagdad ont fait 38 morts et 130 blessés, deux jours après que des attaques suicides contre trois ambassades y aient déjà causé la mort de 41 personnes et qu’une tuerie à Soufia, un village sunnite au sud de la capitale, ait fait 25 victimes. Au Pakistan, ce sont au moins 50 personnes qui ont péri le 5 avril dans un attentat suicide dans la province de la frontière nord-ouest et dans une série d’explosions à Peshawar…
Empêcher toute stabilisation de l’Irak
En Irak pourtant, la diminution très nette des violences, suivie de la forte participation aux dernières élections en dépit des menaces d’Al Qaïda, attestaient d’une amélioration de la situation. D’autant que l’élection de Ilyad Allaoui, un chiite laïc arrivé devant le Premier ministre sortant Nouri al Maliki témoigne d’un scrutin relativement transparent, même si les tractations en vue de la formation d’une coalition risquent de durer encore longtemps. C’est cette «avancée» censée doter l’Irak d’institutions stables et démocratiques que la branche irakienne d’Al Qaïda veut casser à tout prix.
Le choix de ses récentes cibles en témoigne : la tuerie de Soufia a frappé une famille connue pour s’être enrôlée dans les milices Al-Sahwa armées et payées par les Américains pour combattre Al Qaïda dès 2006. Ses quelque 94.000 miliciens sunnites, pour la plupart d’anciens insurgés, ont beaucoup contribué à la perte d’influence de la nébuleuse terroriste en Irak, avant de passer en 2009 sous le contrôle du gouvernement irakien. Aujourd’hui, le renforcement et la consolidation des forces de l’ordre irakiennes afin qu’elles puissent assumer entièrement la sécurité après le retrait total des troupes américaines fin 2011 est l’un des objectifs majeurs du gouvernement de Bagdad. Il devient dès lors décisif pour Al Qaïda de «faire payer leur trahison» à ces ex insurgés afin de terroriser et dissuader tous ceux qui auraient la tentation de les imiter.
En s’attaquant par ailleurs à des bastions chiittes, les extrémistes espèrent par ailleurs pousser les milices chiites de Moqtada Sadr à réagir et à entrer dans un processus de vendetta. Ce qui empêcherait toute stabilisation du pays.
Dialoguer avec les talibans, carte maîtresse de Karzaï et du Pakistan
La partie qui se joue entre le Pakistan, l’Afghanistan… et les Américains est encore plus complexe. Mais là aussi, les insurgés talibans pakistanais et/ou Al Qaïda tentent d’empêcher le processus de réconciliation avec les chefs du mouvement taliban basés au Pakistan.
Ce dialogue avec les talibans dits «modérés» qui seraient prêts à déposer les armes constitue la carte maîtresse du président afghan Hamid Karzaï. Mais c’est aussi un processus que le Pakistan et son chef d’état-major Ashfaq Parvez Kayani entendent contrôler de bout en bout afin de retrouver une influence en Afghanistan. Avec de toute évidence la bénédiction des Américains et des forces de l’Otan qui voient en cette future négociation la possibilité d’une porte de sortie honorable d’Afghanistan.
En attendant, toute la stratégie militaire de Washington et du général Mc Chrystal est d’occuper les principales bases des talibans en Afghanistan assez longtemps pour permettre l’émergence d’un pouvoir local pachtoune hostile aux talibans, ou au moins aux éléments les plus radicaux de la milice islamiste. Barack Obama n’a en effet qu’un moyen de parvenir à retirer ses troupes d’Afghanistan: la mise sur pied d’un pouvoir afghan central légitime et doté d’assez de moyens et d’autorité pour être capable d’assumer à terme la sécurité des populations et des chefs locaux contre la violence et le radicalisme des talibans et d’Al Qaïda. C’est grosso modo le schéma adopté en Irak et qui commence à porter quelques fruits.
Islamabad fixe le prix de son aide
Mais cette stratégie américaine est basée sur une collaboration étroite avec le Pakistan. Car sans l’aide des services secrets pakistanais pour combattre les talibans les plus radicaux retranchés dans les zones tribales pakistanaises, la bataille est perdue d’avance. Et Islamabad a clairement signifié que cette aide avait un prix : un rôle de premier plan dans les négociations avec les talibans et dans la composition du gouvernement afghan après le retrait des Américains. Et pour bien montrer leur détermination, les Pakistanais ont «enlevé» un des chefs talibans modérés qui négociait avec Hamid Karzaï. Inutile de dire que le président afghan voit d’un mauvais œil cette coopération entre Washington et Islamabad. Sa crainte d’être au mieux marginalisé, au pire sacrifié, est la seule manière d’expliquer qu’il s’en soit pris récemment aux Occidentaux, les accusant d’avoir «organisé la fraude» lors des élections présidentielles alors que ces derniers le soutiennent, certes faute de mieux, à bout de bras ! Deux jours plus tard il récidivait, affirmant cette fois qu’il ne soutiendrait la prochaine offensive américaine à Kandahar, bastion des talibans, que si les chefs tribaux de la région étaient d’accord…
Quand on sait que cette offensive contre Kandahar est décisive pour porter un coup sévère aux talibans, on comprend que le président afghan fait lui aussi monter les enchères. Pendant ce temps, les talibans les plus radicaux et leurs alliés d’Al Qaïda multiplient les attentats suicides contre les forces locales disposées à dialoguer avec les Occidentaux et le gouvernement pakistanais. Cela explique sans doute les attentats de cette semaine au Pakistan, notamment à Peshawar. Mais c’est aussi a contrario une manière d’admettre que la politique de «dialogue» commence à donner quelques résultats en attirant certains chefs pachtounes locaux, fatigués de la guerre, attirés par l’argent et/ou la perspective de futurs postes.


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