Peut-on être plus heureux que des aficionados de foot ? Non, mille fois non au vu des supporters des Fennecs algériens en folie sur les Champs Elysées ou du crève coeur du Brésil face à la blessure mettant hors jeu sa star Neymar et qui prie les divinités de tous les rites afro-brésiliens pour ne pas subir l'humiliation d'un échec final « à la maison ». Les Argentins, eux, s'en remettent à leur Messi pour espérer être champion, si possible en battant l'éternel rival brésilien. Sans parler du plus mal aimé des présidents français qui a laissé dire, avant l'élimination des Bleus, qu'il pourrait « au cas où » faire un saut au Maracana, histoire de s'approprier un peu de leur gloire... L'affaire est donc entendue : le football suscite une fascination et une excitation planétaires, loin de l'indifférence dans laquelle une épidémie de la terrible fièvre Ebola menace l'Afrique. Tout se vit individuellement et collectivement Nul ne s'y trompe : politiciens, communicateurs, affairistes de tous poils, médias courent après le ballon rond et se pavanent dans les tribunes pour lui ravir une bribe de sa colossale popularité. Il est vrai que toutes les émotions et sentiments humains sont condensés en accéléré dans ces deux fois 45 minutes, hors prolongations et pénalty qui font vaciller les coeurs. Tout se vit individuellement et collectivement : espoir, colère, succès, défaite, rage de vaincre, anxiété, humiliation, plaisir, fraternité, partage, révolte face à l'injustice (du sort ou d'un gardien), extase dans les travées pour les vainqueurs, anéantissement pour les vaincus. « Le sport est devenu le nouveau terrain d'affrontements des Etats dans la mondialisation, affirme Pascal Boniface, auteur de Géopolitique du sport. C'est la façon la plus visible de montrer le drapeau et d'être présent sur la carte du monde. Alors que la globalisation vient effacer les identités nationales, c'est le moyen le plus sûr de ressouder la nation autour d'un projet immédiatement identifiable (...). Il offre des réponses aux pertes de repères et aux volontés d'exister (...). Dans un monde (...) où l'image, la popularité deviennent des facteurs plus certains et plus pérennes de suprématie que la force brute et imposée, le sport est devenu un élément essentiel du rayonnement d'un Etat (...) et de l'affection sur le plan international ». De la politique et encore plus d'argent Autant dire que l'équipe nationale incarne symboliquement un pays et un Etat dont l'image inonde la planète grâce à la couverture médiatique des matches. Et qu'importe si cette représentation est idéalisée comme le fut le triomphe en 1998 de la fameuse « équipe black-blanc-beur » censée symboliser une France multi-ethnique. Dans le « village global » qu'est devenu le monde, les stars du foot sont les habitants les plus connus et les plus populaires... De quoi rappeler que le Mundial, c'est aussi beaucoup de politique et d'argent et que les deux sont souvent indissociables. Passons sur les accusations récurrentes de truquage, de favoritisme et de corruption contre la toute puissante Fifa : trois pages n'y suffiraient pas. Le Sunday Times ne nous contredira pas, lui qui a enfoncé le clou sur l'organisation de la Coupe du Monde au Qatar en 2022. « Achetée », raconte le journal britannique. On s'en doutait car les moyens exigés aujourd'hui pour organiser un Mundial – infrastructures, excellence du système de formation et vivier de talents nationaux ou achetés à prix d'or ailleurs – empêchent de facto des « petits » pays de pouvoir y prétendre... Mais les voies du lobbying sonnant et trébuchant étant assez pénétrables, l'Emirat a pu déroger à cette nouvelle règle. Fierté nationale et internationale Qatar n'est ni le premier pays ni le dernier à vouloir profiter des retombées positives du Mundial sur son image. En 1934, l'italien Mussolini avait déjà misé sur cet outil de propagande. Plus près de nous, le FLN exfiltrera en pleine guerre de libération les joueurs algériens de l'équipe de France pour constituer sa propre équipe. Jamais reconnue par la FIFA, elle disputera 90 matches dans le monde entre 1958 et l'indépendance en 1962. Un coup médiatique avant l'heure qui contribuera aussi à consolider le sentiment national. Jusqu'à aujourd'hui : la sélection algérienne apparaît comme l'un des rares motifs de fierté nationale et internationale des Algériens. Et les stades comme de hauts lieux de la contestation politique. En 1978, l'Argentine avait, elle, tenté de faire oublier les atrocités de la dictature militaire grâce à la Coupe. La vedette néerlandaise Johann Cruyff refusa d'y participer. Mais moyennant un petit « arrangement » avec le Pérou, le général Videla en sortit « vainqueur » ! On pourrait multiplier à l'infini les exemples de cette politisation qui peut aussi refléter tensions et antagonismes nationaux : qui ne nourrirait pas d'appréhension à l'idée d'une finale Algérie- France ? 5 à 6000 euros la minute d'image Reste que seuls les flots d'argent ont permis de créer cet engouement planétaire. On a tout dit des salaires, des primes et autres contrats publicitaires, et des montants des transferts ahurissants des footballeurs vedettes. Dans le Top 20 mondial des revenus annuels, le ballon le plus doré revient à Lionel Messi (41 millions d'euros annuels). Il est suivi de Cristiano Ronaldo (39,5 millions) et de Neymar (29 millions). De quoi faire tourner la tête des grands médias mondiaux qui s'arrachent à prix d'or – audience oblige – les retransmissions des matches et revendent les minutes de publicité précédant les rencontres à celui du platine. En France, TF1 et beIN Sport ont monopolisé les écrans, la seconde chaîne ayant acheté à la première la diffusion des 64 matches pour 50 millions d'euros. TF1 vend quant à elle la minute d'image entre 5000 et 6000 euros et fait donc la chasse aux chaînes qui diffusent trop d'images, ou pire, des match en entier ou en direct, y compris sur le web. Une chaîne turque qui transmettait gratuitement et intégralement le Mundial l'a appris à ses dépens : bloquée par Free. La nouvelle religion universelle sait décidemment se protéger ❚