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La santé entre profit et mesquineries
Publié dans L'observateur du Maroc le 11 - 11 - 2009


Hakim Arif
Le médicament coûte très cher au Maroc. Près de 8 millions de Marocains n'en achètent pas. Pas parce qu'ils sont tout le temps en bonne santé, mais parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Abdelaziz Adnane, le directeur général de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) l'a déjà signalé. Lui qui est très proche du dossier parce qu'il sait ce qu'il rembourse aux malades assurés. D'autres voix se sont élevées pour décrier une situation incongrue dans un pays où le pouvoir d'achat est très faible et où les prix des médicaments dépassent de plusieurs multiples ceux de pays plus développés et où le pouvoir d'achat est élevé. Qu'est-ce qui a valu aux Marocains une telle situation ? Les intervenants du «marché» du médicament étant nombreux, la pression sur les prix peut venir de partout. Toujours est-il que la cherté du médicament n'est pas seulement un problème du consommateur. Lorsque le prix du médicament est élevé, les organismes de prévoyance et d'assurance doivent rembourser des montants élevés. Or, ces organismes ont un rôle économique très important. Ce sont de grands collecteurs d'épargne et donc d'importants pourvoyeurs de fonds pour l'économie du pays. Les fonds qu'ils gèrent sont investis en bourse ou dans des projets de développement dont les retombées sont très bénéfiques pour le pays. Aussi, plus le prix du médicament augmente, plus les organismes de prévoyance et d'assurance maladie doivent décaisser. Pour le citoyen, l'affaire est très délicate. Celui qui est assuré ne perd pas beaucoup. Il est remboursé. Donc, pour lui, quel que soit le prix, cela ne l'affecte pas. D'où la liberté que prennent aussi les médecins. Quand ils prescrivent des médicaments, ils pensent surtout au laboratoire qui a été le plus généreux ou le plus compréhensif… rarement aux malades qui n'ont pas d'assurance maladie ou aux organismes de prévoyance. Une situation qui ne profite en fait à personne. Pour certains, les assurances s'enrichissent alors autant gratter le maximum. Pour quelques médecins, les relations avec le laboratoire le plus «convaincant» sont sacrées. Et c'est vrai que certains laboratoires ont des pratiques à la limite de la légalité. Ils peuvent offrir aux médecins des voyages d'agrément déguisés en séminaire ou colloque ou en recherche. Ils paient des études que personne ne voit jamais. Offrent de l'électroménager, paient des petites fêtes… Où est donc le citoyen dans tout ça? Eh bien, le laboratoire n'étant pas une œuvre de charité, bien qu'il s'agisse de sauver des vies, son premier objectif est d'abord le profit. Les producteurs officient dans un marché évalué à tant de milliards et savent que tout mouvement sur les prix implique inéluctablement la migration du profit d'un intervenant vers un autre. Un prix du médicament élevé profite aux producteurs et pénalise les assurances et les organismes de prévoyance. Un faible prix fait le contraire. La question est donc éminemment politique. On ne baisse pas le prix du médicament sans raison valable. Cependant, tant que la discussion reste cantonnée entre entités qui peuvent payer et qui se font payer, il n'y a pas de mal, les vicissitudes de la politique donneront raison tantôt à l'un, tantôt à l'autre. Le problème est infiniment plus grave pour les citoyens sans assurance et sans pouvoir d'achat assez suffisant pour qu'ils puissent se soigner dans de bonnes conditions. Quand un pauvre citoyen meurt parce qu'il n'a pas trouvé l'argent pour payer des médicaments trop chers, le combat qui se déroule au sommet entre opérateurs de la santé devient… mesquin.
«Ma vie avec l'hépatite C»
Casablanca. Un doux soleil de novembre brille au-dessus de Derb El Kébir. Les étroites et grises ruelles du quartier historique et populaire de la métropole se réveillent lentement de leur torpeur matinale. Dans leur humble demeure aux murs décrépis, les Alali sont debout depuis longtemps, se préparant comme de coutume à une dure journée. A l'aube de sa quarantaine, Mustafa aurait pu être un père de famille comme les autres, heureux et serein auprès de son épouse et de ses trois enfants, Hamza, 15 ans, Othmane, 11 ans et la petite dernière, Soltana, 3 ans. Mais le destin a décidé que la vie de ce jeune homme ordinaire serait tout sauf un long fleuve tranquille. Né dans une très modeste famille casablancaise en 1970, Mustapha n'a jamais eu l'opportunité de terminer ses études. De petits boulots aléatoires en emplois hasardeux, il finit comme marchand ambulant, un travail clandestin avec lequel il tente tant bien que mal de subvenir aux besoins de ses chérubins et de sa femme, jeune mère au foyer. Chaque jour pour lui est un défi, un combat acharné contre la misère et pour le pain. Est-ce la faim d'ailleurs qui lui donne si mal au ventre, ou l'angoisse de lendemains incertains ?, s'interroge Mustafa lorsque, gravement malade, il se trouve contraint de s'aliter. D'un spécialiste à l'autre, le diagnostic finit par tomber : inflammation du foie. Hépatite C. Cruelle, implacable destinée. Mustafa a la douloureuse impression que le sort s'acharne contre lui : «Le jour où l'on m'a diagnostiqué une hépatite C, j'étais anéanti. Mais si je savais qu'il s'agissait d'une maladie grave et chronique, j'étais à mille lieues de me douter du coût faramineux du traitement », confie, la voix fatiguée et le regard las, le jeune père de famille. Cela fait plus d'une année maintenant que Mustafa Alali se bat contre cette maladie infectieuse et silencieuse transmissible par le sang, dont il ignore comment et quand il en a été atteint. En sus des préjugés de certaines personnes de son entourage, faussement persuadées qu'il leur suffit de partager un repas avec lui ou de le saluer pour être contaminées à leur tour par le virus, le jeune père de famille, désormais sans emploi et donc sans le moindre revenu ni couverture médicale, doit tous les mois supporter les frais d'un traitement avoisinant les 15.000 dirhams, entre les médicaments destinés à diminuer la charge virale dans le sang et freiner l'évolution de la maladie, et les bilans sanguins : « Je suis infiniment reconnaissant au Professeur Jamil et de l'association SOS Hépatites, sans l'aide desquels il me serait impossible de me soigner… et sans l'aide desquels je ne serais peut-être même plus de ce monde », nous dit Mustafa, une note évidente d'émotion dans la voix. Ses enfants, sa raison d'être et de se maintenir en vie. Ses enfants qui voient tous les jours leur père lutter de son corps amaigri contre la maladie et les effets secondaires du traitement, entre fatigue, douleurs musculaires, insomnies et humeur changeante… Mais l'école de la vie a appris à Mustafa à ne jamais s'apitoyer sur son sort : « Grâce à Dieu et à mes bienfaiteurs, je n'ai pas trop à me plaindre. En suivant assidûment mon traitement et mon régime alimentaire, mon état de santé s'est beaucoup amélioré, et je vis relativement bien avec ma maladie ». Dans ce que d'aucuns voient comme un fatalisme de « petites gens », le jeune père de famille répond par un appel à la solidarité des « gens nanties » : « La santé, c'est un don divin. Un don sacré…Si j'ai un ultime message à transmettre, c'est que chacun vienne en aide comme il peut à son prochain, qu'il se mette à la place de ses semblables malades et démunis. C'est ce qui fait l'humanité en chacun de nous, d'où que l'on vienne et qui que l'on soit».
«Nous avons réussi à obtenir l'intégration des hépatites dans l'AMO et leur remboursement à 97% par cette assurance obligatoire»
Professeur Driss Jamil Président du Printemps du Patient, collectif associatif contre les maladies graves et chroniques
propos reccueillis par Mouna Izddine
L'Observateur du Maroc. Quelle est la situation actuelle des maladies chroniques au Maroc ?
Professeur Driss Jamil. Le Maroc se trouve dans une zone intermédiaire en matière de prévalence des affections chroniques par rapport aux autres pays du monde. S'il est vrai que notre pays n'est pas l'Egypte, où l'hépatite C par exemple touche 20% de la population (en raison du traitement de masse, à base de seringues contaminées, des populations rurales du delta du Nil contre la maladie parasitaire de la bilharziose, dans les années 60 et 70), la situation n'en demeure pas moins alarmante, dans la mesure où on estime le nombre de Marocains porteurs des virus de l'hépatite C et B à 3% de la population totale (soit 300 à 400.000 individus). Pourtant, paradoxalement, ces affections sont peu connues et peu médiatisées par rapport à des maladies de moindre prévalence comme le Sida. En sus de l'ignorance, l'absence ou l'insuffisance d'hygiène constituent également des facteurs favorisant l'apparition et le développement de ces maladies. Des maladies d'autant plus dangereuses qu'elles sont dites sournoises ou silencieuses, dans la mesure où elles demeurent longtemps asymptomatiques et quand leurs premiers signes apparaissent, il est souvent trop tard pour guérir entièrement, voire pour sauver le pronostic vital du patient. D'où l'intérêt d'un dépistage précoce, à même de faire disparaître ou du moins de stopper l'évolution de la maladie.
Mais justement, peu de Marocains ont le réflexe de se faire dépister…
C'est ce qui a conduit en partie à la situation alarmante dans laquelle se trouvent les patients marocains atteints de pathologies chroniques à l'heure actuelle. Ces maladies sont en effet très coûteuses du fait de leur durée et de leur gravité. Souvent handicapantes, ces affections chroniques entraînent un véritable problème d'intégration sociale et familiale pour les patients. Malheureusement, la majorité des malades au Maroc étant dans l'impossibilité de financer leur traitement, se trouvent souvent contraints de l'arrêter, ce qui engendre des complications et met en danger la vie même de ces patients. Si l'on prend le simple exemple des hépatites B et C, lorsque celles-ci ne sont pas ou mal soignées ou encore diagnostiquées trop tardivement, elles peuvent évoluer en hépatite chronique, puis en cirrhose du foie, en insuffisance hépatique et, au dernier stade, en un cancer du foie fatal. C'est dire la nécessité impérieuse d'une plus grande implication aussi bien matérielle que morale de l'entourage familial des patients atteints d'une maladie chronique, mais aussi de l'Etat, de la société civile et des organismes de prévoyance sociale.
A ce propos, combien coûte en moyenne le traitement mensuel d'une maladie chronique ?
Il existe autant de coûts que de pathologies et autant de maladies chroniques que de traitements, sachant que les soins les plus récents et les plus efficaces sont aussi les plus onéreux. Notamment en raison des brevets de protection de 7 ans en moyenne imposés par les laboratoires avant l'autorisation de la mise sur le marché de médicaments génériques moins chers. Ainsi dit, à titre d'exemple, une hépatite C revient de 12.000 à 15.000 dirhams par mois, entre les médicaments et les bilans sanguins, sachant que le traitement dure de six mois à une année. Une hépatite B coûte quant à elle de 6.000 à 7.000 dirhams par mois. Dans le cas du cancer du foie, la toute dernière chimiothérapie ciblée, qui dure de trois à six mois, revient à 40.000 dirhams environ. Ce traitement, qui constitue l'ultime recours et espoir pour certains patients cancéreux, n'est hélas pas remboursé par l'AMO, ce qui conduit à nombre de décès qui auraient pu être évités.
Qu'a réussi à obtenir votre collectif en matière de prise en charge des ces pathologies chroniques ?
Beaucoup d'engagements ont déjà été obtenus par notre collectif dans le cadre de la prise en charge pécuniaire de certaines maladies chroniques (dont les maladies rénales) par les organismes de sécurité sociale (CNOPS et AMO) et les assureurs privés (qui remboursent rarement au-delà de 80%), que nous avons tous conviés à nos précédentes réunions. Ainsi, à titre d'exemple, nous avons réussi à obtenir l'intégration des hépatites dans l'AMO et leur remboursement à 97% par cette assurance obligatoire. Ceci étant, nous ne pouvons pas encore crier victoire, tant que toutes les maladies graves et chroniques ne sont pas prises en charge dans leur intégralité par l'ensemble des assureurs aussi bien publics que privés. Et qu'à l'instar de la CNOPS, les patients n'aient jamais rien à débourser. Car souvent, malheureusement, ces derniers sont découragés par le fait de devoir tout payer de leur poche en attendant un éventuel remboursement qui tarde souvent à venir. Et cet état de fait mine leur moral, ce qui est loin de les aider dans leur pénible lutte quotidienne contre la maladie.
Quelles sont vos autres revendications
Nous aspirons à la mise en place du RAMED tel que promis en 2007 par le gouvernement et à sa généralisation à l'ensemble des Marocains indigents. Nous voulons également que les pouvoirs publics et la société civile soient davantage sensibles à la souffrance des patients, qu'ils cessent de les stigmatiser et subviennent à leurs besoins en matière de soins, mais aussi d'amélioration de leur qualité de vie. Et surtout, nous tenons à transmettre un message essentiel : ces maladies sont guérissables à deux conditions : qu'elles soient dépistées tôt et que les patients disposent des moyens de traitement et de suivi nécessaires. Enfin, on ne peut conclure sans rappeler l'importance de la prévention dans l'éradication de ces affections. Nous saluons à ce propos l'intégration du vaccin gratuit contre l'hépatite B dans le schéma vaccinal national.
L'envers de la pilule
Les dessous d'une industrie
S.L.
Une des pratiques des multinationales qui scandalise Samir (*), ex-cadre dans l'industrie pharmaceutique, c'est la méthode d'achat de la matière première pour médicaments. L'achat se fait à l'étranger à des prix exorbitants, ainsi les marges sont laissées à l'étranger. Au Maroc, ces entreprises ne déclarent qu'une petite marge. «Comment se fait-il que de gros labos se déclarent année après année déficitaires ?», se demande-t-il. Des pratiques favorisées par la vétusté des lois en vigueur, qui datent de 1969.
Pour sa part, Amine, un jeune délégué médical, trouve normales ces critiques. «Les multinationales investissent énormément dans la recherche, il est tout à fait normal, qu'elles récupèrent leurs investissements sur le produit final», argumente notre délégué.
«L'industrie pharmaceutique nationale affiche et pratique sa citoyenneté en faisant le maximum pour baisser les prix. Alors que pour les multinationales, la citoyenneté, si elle existe dans leur vocabulaire, n'apparaît pas sur leurs prix», compare Samir.
Cette fracture dissimulée entre les laboratoires nationaux et les filiales des multinationales pharmaceutiques allait éclater au grand jour en juillet dernier. Aux origines de cette polémique estivale, la commercialisation par le laboratoire marocain Genpharma de Genflu, générique du fameux Tamiflu utilisé contre la grippe A-H1N1, dont le brevet appartient à Roche. Ce labo nie «avoir délivré une licence d'exploitation à Genpharma pour la fabrication du générique». Yasmina Baddou tranche: «les deux entités ont l'Autorisation de mise sur le marché (AMM)». Le dossier est clos certes, mais ouvre la vraie boîte de Pandore des brevets et de l'accès aux médicaments. Un dossier délicat qui fait partie des priorités de Maroc Innovation Santé (MIS), qui regroupe 13 laboratoires, exclusivement des multinationales. Ce regroupement défend les intérêts de ses membres et leurs brevets.
Dans un document de ce lobby, on peut lire : «Bien que tous les laboratoires soient des opérateurs de santé à part entière et que la plupart d'entre eux souhaiteraient avoir une dimension R&D, celle-ci n'est en réalité pas accessible à tous. Et à notre connaissance, il n'y a pas encore de R&D à proprement parler au Maroc». Un peu plus loin on lit : «Le secteur national sortira gagnant de l'ouverture des frontières et rien n'empêchera le Maroc de disposer d'une production locale compétitive». Traduisons : développer un nouveau médicament coûte cher - 1 milliard de dirhams -, céder ses droits doit se faire en contrepartie d'une ouverture des frontières pour les produits des multinationales.
La grande sucrerie
Aziz Rhali est pharmacien, c'est un militant de la première heure pour la santé; il est le coordinateur du Réseau marocain pour le droit à la santé. Pour lui, l'industrie nationale comme les multinationales, c'est du pareil au même. «Roche commercialise le Tamiflu à 300 DH, Gepharma vend le générique à 200 DH. C'est tout aussi exorbitant», s'indigne Rhali. Ce dernier donne l'exemple de l'industrie indienne qui vend le générique du Tamiflu à environ 45 DH.
A la sortie du laboratoire, 90% des médicaments se dirigent vers les dépôts des 46 grossistes, puis ensuite vers les pharmacies. Les 8.500 officines du Maroc se sucrent à leur tour avec une marge de… 30%. «?a peut apparaître beaucoup mais pour les petites pharmacies, cette marge leur permet à peine de boucler leurs fins de mois», relativise Samir, l'ex-responsable de vente dans un laboratoire pharmaceutique. Il ajoute «cependant pour les grosses pharmacies qui tournent bien, 30% c'est trop».
Mais avant que le patient n'achète son médicament, il faut que le médecin lui en prescrive un. Un autre maillon de la chaîne intervient à son tour. Il s'agit du délégué médical. Amine nous parle de sa profession : «mon rôle consiste à inciter le médecin à prescrire le produit du labo pour qui je travaille». Le commercial médical n'est pas au-dessus de tout soupçon.
Ce qui est reproché aux délégués c'est leur copinage avec les médecins. Ce que reconnaît du bout des lèvres Amine : «Ce ne sont pas des amis, ce sont des connaissances». Avant de lâcher l'expression assassine : «c'est du donnant-donnant». Pour Amine, décrocher une prescription passe par l'octroi d'une prise en charge de formation à l'étranger.
L'Etat sous brevet
Après ce tortueux chemin, l'impérissable question de la cherté des médicaments refait surface. Pour Ai Sedrati, président de l'Association marocaine des industries pharmaceutiques (AMIP), «la consommation de médicaments chez les Marocains est très faible, elle est annuellement de 300 DH par habitant. Ce qui fait que les volumes produits sont très faibles et impactent les prix». Pourquoi alors l'Inde par exemple arrive à produire des médicaments moins chers alors que le pouvoir d'achat est faible là-bas ? «Le secret indien se résume dans sa défiance des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC)», dit-on.
«Les nouvelles règles en matière de propriété intellectuelle, parce qu'elles renforcent les situations de monopole, joueront un rôle non négligeable sur la possibilité de disposer de médicaments peu chers», prévoient Hakima Himmich, Kamal Marhoum El Filali et Gaëlle Krikorian dans l'étude L'accès aux médicaments sous le nouveau régime de protection des brevets : cas du sida au Maroc, réalisée en mars 2008. Selon cette étude «le choix» du Maroc se paie au prix fort dans le cas du Sida où le patient est pris en charge par le ministère de la Santé. Le tableau ci dessous montre les prix pratiqués par les multinationales comme les labos nationaux sur les antirétroviraux au Maroc. Une charge pour l'Etat et comme le dit l'AMIP : «On a tendance à souvent dire que la santé n'a pas de prix mais elle a un coût ». Au grand bonheur des industriels, qui se défendent : «ce qui dessert les industriels, ce sont leurs énormes moyens financiers et qui leur collent une image fortes de nantis. Or, l'équilibre financier de ces entreprises est en permanence en danger».
Autre exemple de ce piège des brevets, c'est celui de la grippe A. L'entreprise marocaine SOTHEMA avait proposé de produire le vaccin au prix coûtant, mais le département ne donnera pas suite à la demande de Omar Tazi, DG du labo. L'Etat choisira la multinationale Sanofi-Aventis pour faire son shopping de vaccins. «Ainsi en choisissant de respecter les droits d'auteurs, l'Etat dépense un budget immense et prive une entreprise marocaine d'acquérir une expertise exportable à l'étranger», regrette Samir.
Nous avons essayé de contacter Omar Bouaza, le premier responsable de la Direction du médicament et de la pharmacie au ministère mais il est en mission à l'étranger, aucun membre de la direction n'a pu répondre à nos questions. Au rythme auquel fonctionnent les labos multinationaux comme les locaux d'ailleurs, le ministère ne peut qu'être dépassé. La stratégie de la santé pour 2008-2012 vise à rendre accessible les médicaments nécessaires. Le ministère est conscient que le médicament est cher et le citoyen pauvre. En plus peu de marocains disposent d'une couverture médicale, malgré l'entrée en vigueur de la fameuse Assurance Maladie Obligatoire (AMO). Surtout que la couverture pour les nécessiteux, le Ramed, piétine.
* Les noms ont été changés à la demande des de nos sources.
Prix des médicaments au Maroc
Les dessous d'un scandale
salaheddine lemaizi
Quand nos parlementaires travaillent, cela donne un rapport de 75 pages bien ficelé et qui va droit au but. Khalid El Hariry, député de l'USFP et rapporteur à la Commission des finances et du développement économique, est tout fier de partager les résultats de son rapport.
Le contexte
A cette même période de l'année dernière, un lobbying féroce s'exerçait lors de la discussion de la Loi de Finances 2009 en commission. Parmi les requêtes déposées, des députés demandent la suppression de la TVA et des droits de douanes sur les médicaments, et plus particulièrement ceux relatifs aux maladies chroniques à traitement coûteux. «Des membres de la commission s'opposent à ce souhait, ils avaient estimé que même s'ils participaient à la cherté des médicaments, les taxes et droits de douanes n'en constituaient pas la principale raison». Une Mission parlementaire est alors lancée. Les prix des médicaments au Maroc seront auscultés par des députés, avec en perspective de proposer des pistes pour assurer un meilleur accès des malades aux médicaments et de viabiliser le système de couverture médicale.
Durant les mois de mai et juin, défileront devant la commission des responsables publics de la santé (ministre, DG des agences comme la CNSS ou la CNOPS, des représentants de l'industrie pharmaceutique et du corps médical). Le retard qu'a accusé la sortie du rapport a laissé place aux rumeurs. Pression des industries pharmaceutiques, disait-on dans le secteur de la santé. Ce que K. Hariry rejette en bloc. La preuve, le rapport tant attendu est bouclé. Principal constat qui en ressort : les prix des médicaments sont anormalement chers. Nos députés vont même jusqu'à pointer du doigt «une partie de l'industrie pharmaceutique» et s'en prennent aux «procédures définies par l'Administration pour la fixation des prix des médicaments et de leur remboursement».
Le vrai scandale : opter pour le plus cher
«La Mission parlementaire a fait des comparaisons de prix selon plusieurs critères. Elles ont toutes confirmé le même constat», explique K. Hariry. Et les chiffrent parlent d'eux-mêmes. Un médicament de marque se vend de 30 à 189% plus cher au Maroc par rapport à la Tunisie. La différence des prix par rapport à la France est de 20 à 70%. Pour les médicaments sous différentes marques, le gap peut atteindre…600%. Autre constat scandaleux, pour un même médicament, ce sont généralement les marques les plus chères qui sont les plus vendues ! Cette situation est critique dans le cas des médicaments coûteux. Pour la population non couverte par l'Assurance maladie obligatoire (la majorité), les prix de ces médicaments sont tellement élevés qu'ils deviennent inaccessibles. Et même pour la population couverte par l'AMO et pour certains (très rares encore) par le RAMED, ils risquent, à moyen terme, de ne plus pouvoir supporter le coût de ces médicaments. Cette réalité se passe de tout commentaire.
Dans ses conclusions, la Mission reste optimiste tout de même : «il est possible de baisser rapidement et de manière significative les prix des médicaments en appliquant un ensemble de mesures qui dépendent essentiellement des autorités publiques». «La balle est dans le camp du gouvernement», insiste K. Hariry.
Le rapport parlementaire a le mérite de lancer un pavé dans la marre, mais il ne faut pas se leurrer. L'enjeu est de taille. L'industrie pharmaceutique pèse 6,1 milliards de DH.


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