Publié récemment dans le Bulletin Officiel, le décret n° 2.22.1075 établit les conditions et modalités d'octroi de la carte de personne en situation de handicap. Un décret qui rentre « dans le cadre de la promotion des droits fondamentaux des personnes en situation de handicap et en application des dispositions de la loi-cadre n° 97.13 » indique un communiqué du ministère de la Solidarité, de l'Insertion sociale et de la Famille. Ce dernier indique par ailleurs que ce décret a pour objectif de mettre en place un cadre réglementaire précis, permettant aux personnes handicapées de bénéficier des droits et privilèges prévus par la loi. Une avancée mais ... « C'est une importante avancée que nous attendons depuis quatre décennies. Un pas positif dans l'application de la loi, des termes de la Constitution et des conventions internationales sur les droits des personnes en situation de handicap ratifiées par le Maroc. En tant qu'acteurs de la société civile nous ne pourrons que saluer cette volonté et cette décision même si nous avons des reproches et des critiques par rapport à l'élaboration, la forme et le fond de ce décret à la grande importance pour les personnes en situation en handicap et pour leurs familles », explique à L'Observateur du Maroc et d'Afrique Fouzia Azzouzi, Secrétaire générale de l'Union nationale des associations œuvrant dans le Handicap mental (UNAHM). Commentant le communiqué rendu public par l'UNAHM et qui déplore une « carte sans droits garantis », l'activiste insiste sur l'importance de la mise en œuvre de la loi-cadre n° 97.13 de telle manière à garantir les droits et des personnes en situation de handicap et de leurs familles, directement concernées et touchées. « Cette carte vise à faciliter l'accès aux services essentiels et à garantir la reconnaissance officielle des droits des personnes concernées. Cependant, nous, associations et acteurs défendant les droits des personnes en situation de handicap, alertons sur les limites majeures de ce décret. Malgré son adoption, il n'assure pas une réelle amélioration des conditions de vie des bénéficiaires, en raison du flou entourant les avantages liés à cette carte, du manque de financement pour les centres spécialisés et de l'absence de mesures concrètes pour favoriser l'inclusion », déplore Sabah Zammama, présidente de l'UNAHM dans son communiqué. Obstacle persistants Pour Fouzzia Azzouzi, malgré les avancées légales, les personnes en situation de handicap font toujours face à de nombreux obstacles quotidiens entravant leur accès aux soins, à l'éducation, à la formation, à l'emploi et aux infrastructures publiques. « Ce type de carte permet d'accéder à des avantages essentiels, tels que l'accès facilité aux soins de santé avec des consultations spécialisées, équipements adaptés à tous types de handicaps, rééducation, couverture médicale renforcée. Aussi un accompagnement dès le premier jour des mères et des familles », énumère la secrétaire générale de l'UNAHM. Accès à l'éducation et à l'accompagnement, un droit primordial Elle évoque également les exonérations ou autres réductions de coûts dans les transports publics, les équipements spécifiques, les médicaments et le soutien scolaire. « L'un des points cruciaux reste l'insertion professionnelle et le respect des quotas d'emploi. Si l'Etat s'engage à consacrer 7% de ses postes aux personnes en situation de handicap, il faut prévoir des incitations encourageantes pour les employeurs privés et une adaptation des postes de travail », réclame l'activiste. « Or, le décret actuel ne prévoit pas explicitement ces mesures, limitant fortement son impact potentiel », regrette l'UNAHM dans son communiqué qui déplore « un décret aux nombreuses lacunes et une reconnaissance administrative sans droits réels ». Carte sans avantages ? Même constat de la part de Azzouzi qui évoque une carte sans avantages concrets pour ses titulaires. « La carte n'offre ni priorité dans les soins médicaux, ni exonération des frais médicaux, ni accès facilité aux équipements et aides techniques. En matière d'éducation et d'insertion professionnelle, la carte ne garantit pas l'accès aux centres spécialisés, aux classes inclusives, à l'accompagnement et le soutien, laissant les familles et les professionnels dans l'incertitude », explique l'activiste. Cette dernière revient à la charge par rapport à la lourde mission des familles et à l'absence d'une aide financière spéciale vu le coût élevé d'un accompagnement adapté. « Aucune allocation directe n'est prévue pour alléger cette charge », s'exclame Fouzia Azzouzi. Dans ce même sens, l'Union rappelle la problématique du financement des centres spécialisés reposant sur les subventions de l'Etat via le ministère du Développement social, puis le Fonds de cohésion sociale. Gros moyens Pour Dr Abdelmalek Asrih, chercheur dans les politiques publiques destinées aux personnes en situation de handicap, une carte officielle devrait leur garantir l'accès à des droits concrets et un accompagnement adapté. « Les personnes en situation de handicap sont des citoyens qui jouissent des droits de citoyenneté garantis par la constitution et loi marocaines. Ce qu'il faut cependant c'est l'adaptation de l'environnement, l'amélioration de l'accessibilité, les moyens logistiques, informatiques et les ressources humaines qualifiées pour pouvoir donner vie à la loi cadre et permettre une application effective dans le respect total des droits des personnes en situation de handicap », note le chercheur qui a participé à l'élaboration de ce décret en tant que consultant et qui est egalement en situation de handicap. L'inclusion et l'accès à l'emploi des priorités Ce dernier évoque par ailleurs la question épineuse de l'évaluation du handicap qui devrait donner droit à cette carte et qui fait l'objet de doléances de l'UNAHM. « Le décret prévoit une évaluation du handicap par des commissions régionales, mais plusieurs zones d'ombre subsistent : Quels sont les critères précis d'évaluation ? Comment contester une décision injuste ? Quelles garanties pour assurer l'équité et l'objectivité ? » s'interroge l'Union. Selon Dr Asrih, cette mission délicate nécessite effectivement toute une logistique, une préparation et des moyens financiers, institutionnels et humains importants pour un rendu final satisfaisant et à la hauteur des ambitions de la loi et de son décret d'application. « J'estime que l'opérationnalisation de cette carte ne sera possible que d'ici six ans si l'on continue sur le rythme actuel », remarque le chercheur. « Sans mesures d'accompagnement efficaces, cette carte risque de rester un simple document administratif sans impact réel sur la vie des personnes concernées », note de son côté Fouzia Azzouzi. Recommandations Pour conclure, l'UNAHM recommande « de corriger ces lacunes de toute urgence afin que cette carte soit un véritable outil d'accès aux droits et aux services essentiels, et non une simple formalité administrative. Ceci en prévoyant des avantages clairs liés à la carte (soins médicaux, transport, équipements adaptés, exonérations des frais médicaux) ainsi que garantir un financement stable et pérenne via un système de couverture sociale et médicale géré par un organisme spécialisé. L'UNAHM insiste également sur la transparence des critères d'attribution de la carte et les services qui y sont associés, recommande de donner aux familles une visibilité sur l'avenir de leurs enfants en situation de handicap, afin qu'elles puissent planifier leur accompagnement. Ceci tout en créant un organisme dédié à la gestion des questions liées au handicap, afin d'assurer la mise en œuvre de politiques publiques efficaces et inclusives.