Les infirmiers anesthésistes-réanimateurs et leurs représentants syndicaux sont aux abois. Depuis la divulgation des détails de l'appel d'offre N°09/2023/CHUTTA lancé par le CHU Mohammed VI de Tanger, les communiqués d'indignation et les réactions de protestation n'ont cessé de se multiplier de part et d'autre. Privatisation ? « Nous suivons avec beaucoup de consternation la campagne de destruction systématique du secteur de la santé et sa privatisation déguisée de la part de la direction du CHU de Tanger », annonce la section régionale TangerTétouan Al Houceima de la Fédération nationale de la santé relevant de l'UMT. La même colère est exprimée auprès du Syndicat national de la santé publique affiliée à la Fédération démocratique du travail (FDT). « Le Syndicat dénonce et refuse la décision du CHU de Tanger consistant à externaliser les prestations d'anesthésie et de réanimation en les confiant à des prestataires privés. Une telle mesure représente un véritable danger pour la sécurité sanitaire des citoyens », nous affirme au téléphone Hamza Ibrahimi, responsable communication du Syndicat marocain de la santé publique. Personnel sous-qualifié Des inquiétudes partagées également par Abdelilah Assaissi, président de l'Association marocaine des infirmiers anesthésistes et réanimateurs (AMIAR). Ce dernier fustige une « sous-qualification » des techniciens anesthésistes qui devraient assurer des soins vitaux et occuper des postes d'une grande sensibilité selon les termes de ce contrat controversé. « Nous avons déjà fait part au CHU, en 2021, de notre refus catégorique d'une externalisation des prestations d'anesthésie et de réanimation. Cette spécialité requière une qualification scientifique et une formation professionnelle de haut niveau étant donné que c'est la vie et la santé du citoyen qui sont en jeu », nous explique le président d'AMIAR. Une requête qui a été ignorée selon ce dernier car au bout de deux ans, un autre appel d'offre avec les mêmes termes a été lancé et remportée par la même entreprise. « Une procédure basée sur la contractualisation qui reste tout à fait illégale selon l'article 15 de la loi 43-13. Pour pratiquer le métier d'infirmier dans un CHU, il faut être engagé par l'Etat et non pas un intérimaire », ajoute Abdelilah Assaissi. Procédure illégale Même affirmation auprès de Mustapha Jaâa, le président du Syndicat indépendant des infirmiers. « C'est une décision qui en plus d'être illégale, représente une attaque frontale contre le métier d'infirmier anesthésiste », estime le représentant syndical. Ce dernier évoque l'exercice illégal d'une profession par les intérimaires, l'ignorance de la loi par les responsables du CHU de Tanger et la « non » qualification des prestataires pour fournir les « services » requis. « Alors qu'on parle de valorisation des ressources humaines et d'amélioration des prestations sanitaires dans le cadre de la réforme du système de santé, on se retrouve aujourd'hui avec des solutions d'amateurs improvisées et complètement inadaptées qui représentent une véritable menace pour la sécurité et la santé des citoyens », argumente Mustapha Jaâa. Un pas en avant, deux en arrière En cherchant à en savoir plus sur les spécialités de l'entreprise sélectionnée par le CHU pour fournir les techniciens anesthésistes, on découvre dans son descriptif que c'est « Un entrepreneur de prestations de services : Nettoyage, alimentation, restauration, jardinage, blanchissage, promotion immobilière... Un tas d'activités qui restent assez loin de la santé et de la médecine. « Comment voulez-vous qu'un tel prestataire soit qualifié pour évaluer et sélectionner les bons techniciens anesthésistes à « offrir » au CHU ? », s'insurgent Assaissi et Jaâa. « En cas de faute médicale ou professionnelle, qui sera tenu pour responsable ? Qui sera poursuivi en justice : le CHU ? L'intérimaire ou l'entreprise prestataire ? » s'exclame le président d'AMIAR. Le président du Syndicat indépendant de son côté évoque le grand débat à propos du référentiel des emplois compétences (REC) des infirmiers. « Le REC devrait préciser les responsabilités de chacun avec la définition d'un profil emploi et un cahier de charges clair et précis. Pourtant il n'est toujours pas établi par le ministère ». Un flou qui jette son ombre sur la profession et qui devient plus opaque avec cette nouvelle décision selon les syndicalistes en grogne. Pénurie Tentant à plusieurs reprises de joindre Mohamed Agouri-Akouri, le directeur du CHU-Tanger, pour avoir son explication, tous nos appels et messages sont restés sans réponses. Pourtant, le CHU a déjà expliqué qu'il fait recours à la sous-traitance à cause de la pénurie des ressources humaines. Un argument remis en doute par les syndicats. « Le CHU de Tanger souffre plutôt d'une pénurie de médecins anesthésistes qui ne sont que deux tandis que les infirmiers réanimateurs eux sont au nombre de 35 », nous affirme le président de l'Association marocaine des infirmiers anesthésistes et réanimateurs. « Il fallait juste une bonne gestion avec un redéploiement des ressources disponibles doublée d'une motivation financière », s'accordent à assurer Mustapha Jaâa et Abdelilah Assaissi. Droit à la santé De son côté le Réseau marocain pour la défense du droit à la santé et droit à la vie (RMMDS) est entré en ligne en publiant ce lundi 8 mai un communiqué au ton fort. Le réseau en appelle le ministre de la santé Khalid Ait Taleb à intervenir en ouvrant une enquête sur ce « scandale». « La privatisation des prestations d'infirmiers anesthésistes est une atteinte directe au droit des citoyens au service publique, à un système basé sur la justice et le droit de tous aux soins de santé et à la vie », s'insurge Ali Lotfi activiste au RMMDS. Dans son communiqué, le réseau met en garde contre le danger de telles « transactions monnayant la santé et la sécurité des citoyens qui en restent les grands perdants », conclut le RMMDS. Les mêmes appels ont d'ailleurs lancés par les différents syndicats auprès de la tutelle pour intervenir en urgence afin d'annuler cette appel d'offre controversée et suspendre l'externalisation des prestations.