Tout commence par la circulaire émise par le Ministère de la santé et la protection sociale, le 7 septembre2022. Adressée par Khalid Ait Taleb à l'ensemble des responsables des structures hospitalières relevant du secteur public, la dite circulaire a pour objet : « d'assurer la continuité des prestations d'anesthésie et de réanimation pour l'intérêt de l'ensemble des citoyens et citoyennes ». Dans cette circulaire, la tutelle appelle les infirmiers anesthésistes à assurer les interventions urgentes d'une manière provisoire. Et ceci sans avoir besoin de la supervision d'un médecin anesthésiste comme le stipule la loi 43-17. Une loi qui a toujours « posé problème » pour les infirmiers car souvent obligés d'en faire dérogation à cause de la grande pénurie en médecins anesthésistes au Maroc. Le ministre fait d'ailleurs valoir l'article 20 de la Constitution qui garantit le droit à la vie pour tout être humain. « Ce droit prime sur toutes les autres lois d'où l'obligation pour un infirmier anesthésiste d'apporter son aide et de sauver des vies en pratiquant des interventions même en l'absence d'un médecin anesthésiste », exige la circulaire. Discorde « C'est une décision qui a trop tardé mais que nous avons accueilli finalement avec beaucoup de soulagement. Cette circulaire, même si elle n'a pas le poids d'une loi ou d'un décret ministériel, elle assure toutefois une « couverture légale » à ce que nous pratiquons au quotidien dans les structures hospitalières publiques », commente Abdelilah Assaissi, président de l'AMIAR ( Association marocaine des infirmiers anesthésistes/ réanimateurs). Un soulagement qui n'est nullement partagé par les médecins anesthésistes réanimateurs qui n'ont pas vu cette décision du même œil. Tout au contraire. Deux jours après, le 9 septembre 2022, ils ripostent. Leur représentant, la FNAR (Fédération nationale des anesthésistes réanimateurs) publie aussitôt un long communiqué au ton franchement contestataire. « La FNAR a découvert avec grande stupéfaction le contenu de cette circulaire. Nous contestons avec force son contenu qui contient beaucoup de fausses et dangereuses allégations. Ce type de décision est une grave atteinte à une spécialité médicale des plus réputées et des plus importantes pour tout système de santé qui se respecte », riposte la FNAR. Ne ménageant guère la tutelle, le représentant des médecins anesthésistes enfonce le clou en rappelant à « Monsieur le ministre Khalid Ait Taleb, qui est médecin et chirurgien, la délicatesse de cette spécialité qui demande de longues années de formation théorique et pratique, un cursus ardu de plus de 11 ou 12 ans pour pouvoir finalement pratiquer ce geste médical hautement vital », note le communiqué. Frères ennemis "S'attaquant" sur leur lancée aux infirmiers anesthésistes, les auteurs du communiqué de la FNAR, rappellent, juste après, que ces derniers n'ont eu par contre qu'une formation de trois ans. « Nous n'oublions pas de féliciter les infirmiers anesthésistes pour le rôle qu'ils jouent dans le système sanitaire nationale en collaboration et sous la supervision des médecins anesthésistes », insiste la FNAR. Cette dernière va plus loin, en faisant valoir la carte de la « sécurité des citoyens ». Un argument auquel le ministère a répondu en affirmant que les infirmiers « sont bien outillés pour assurer cette tâche, et en toute sécurité, de part la formation théorique et pratique de qualité qu'ils ont reçu ». N'y voyant que du feu, la FNAR ne ménage pas d'arguments pour défendre son « territoire». « La pénurie en médecins anesthésistes ne devrait pas permettre à la tutelle de prendre des décisions aussi dangereuses et impliquant de graves retombées pour la sécurité et la santé des citoyens. Ces derniers ne devraient pas payer pour l'échec de gestion de la chose sanitaire par les différents gouvernements » matraque la FNAR. Loi 43-13 Une forte réaction de la part de la FNAR qui a, à son tour, provoqué la grogne des infirmiers anesthésistes. « Nous étions surpris par la réaction de la FNAR. Les médecins anesthésistes savent plus que toute autre personne ce qu'il en est sur le terrain. Ce sont des partenaires avec lesquels nous avons toujours travaillé, assurer la continuité malgré la grande pénurie et l'absence de médecins. Et ceci aux dépends de notre propre « sécurité » car souvent pratiquant le geste dans le flou légal », réagit le président de l'AMIAR. Par flou légal, Abdelilah Assaissi veut dire l'interdiction d'intervenir sans la supervision d'un médecin. « L'article 6 de la loi 43-13 relative à l'exercice des professions infirmières stipule qu'un infirmier anesthésiste ne peut pratiquer une intervention que sous la supervision d'un médecin anesthésiste réanimateur. La loi est claire la dessus sauf que dans la réalité il en est autrement », argumente-t-il. Ce denier explique que les administrations des hôpitaux les obligent à pratiquer des anesthésies via des notes de service. Tension « Si la circulaire ministérielle nous offre une certaine « légalité », elle n'en est pas pour autant la meilleure alternative à une loi révisée et adaptée à la réalité du terrain ; où beaucoup d'hôpitaux publics sont privés de médecins anesthésistes et sont servis uniquement et depuis longtemps par des infirmiers. L'exemple de l'ôpital Allaymoune à Rabat est éloquent », argumente le président de L'AMIAR. « La réaction du bureau de la FNAR démontre qu'il est coupé de la réalité des structures de santé publiques. Sinon, ils auraient pu savoir que ce sont les infirmiers anesthésistes qui interviennent et assurent en l'absence des médecins. C'est un fait ! », ajoute Assaissi. Ce dernier déplore d'ailleurs « une réaction incompréhensible de la part de la FNAR qui ne fera que créer tension et animosité entre des partenaires qui ont toujours œuvré côte à côte », conclut-il. Au Maroc, ils sont seulement 700 médecins anesthésistes réanimateurs et 1800 infirmiers anesthésistes pour prodiguer des soins spécifiques à 35 millions de citoyens. Alors que l'OMS recommande 6 médecins anesthésistes par 100.000 habitants et 2 infirmiers par 5 patients en réanimation, la réalité est tout autre dans nos hôpitaux surtout publics. Des chiffres qui en disent long sur le grand déficit en ressources humaines qualifiées en cette spécialité particulière, tous secteurs confondus : Public, privé, militaire et universitaire. LIRE AUSSI Pourquoi nos médecins fuient à l'étranger ? Constats...64%du personnel de la santé fait état d'une insatisfaction globale, selon une étude récente élaborée par le ministère de la santé. La situation chez les jeunes est encore plus alarmante puisque 82% des jeunes médecins recrues sont encore...