Un faux pas de la part de Khalid Aït Taleb après deux semaines de sa reconduction à la tête du département de la santé. Au regard des fortes réactions suscitées par ses dernières déclarations au parlement, mardi, le ministre de la santé et de la protection sociale aurait jeté de l'huile sur le feu. « La minorité » en colère Alors que les manifestations anti-pass vaccinal battent leur plein dans plusieurs villes du Royaume, Ait Taleb s'est montré « peu diplomate » vis-à-vis des réclamations populaires. « Mon devoir en tant que ministre de la santé est de protéger la majorité. Les non-vaccinés minoritaires ne vont pas nous imposer leur avis antivax et anti-pass vaccinal », tranchait le ministre, lors des questions orales, mardi dernier. Des propos qui n'ont pas manqué de raviver la colère populaire sur les réseaux sociaux et ailleurs. « Si la pilule n'arrive toujours pas à passer à cause de l'imposition du pass vaccinal, les derniers propos du ministre sont pour le moins maladroits. Au lieu d'apaiser les esprits, il a au contraire remué le couteau dans la plaie » commente Nabil Belahrech, un internaute en colère sur un groupe facebook. Avec des posts franchement contestataires sur les réseaux sociaux, les rappeurs Don Big et Hliwa, largement suivis, ont exprimé leur refus « d'un discours totalitaire annulant la volonté des citoyens et leur refusant leur droit au libre choix garanti par la loi et la constitution » et soutiennent les artistes en exprimant leur volonté de participer de manière effective aux manifestations anti-pass vaccinal. Soulevant un véritable tollé, Ait Taleb aurait ainsi produit l'effet contraire. Ce dernier a d'ailleurs affirmé, devant les conseillers de la nation, que le pari actuel consistait à accélérer la cadence de la vaccination pour atteindre 80% de la population dans les semaines à venir. « Nous sommes à moins de cinq millions de vaccinés pour atteindre l'immunité collective escomptée », a indiqué le ministre, en réponse à une question sur la situation épidémiologique actuelle dans notre pays. Une situation qui malgré sa relative stabilité n'est pas rassurante pour autant. « Le recours au « pass vaccinal » a pour objectif d'inciter les récalcitrants à se faire vacciner et à se prémunir contre les foyers épidémiologiques qui pourraient surgir subitement et mettre à mal notre système de santé et nos effectifs déjà trop éprouvés par deux ans de travail acharné contre la pandémie », explique alors Ait Taleb en évoquant la grande pénurie en ressources humaines dans les services de réanimation à travers le Royaume. De l'huile sur le feu « Le ministre a parlé des médecins anesthésistes réanimateurs, de leur nombre réduit dans le secteur public et privé et des efforts qu'ils ont déployé dans cette lutte contre la pandémie. Mais il a oublié de mentionner comment ce flagrant manque a été comblé grâce aux infirmiers anesthésistes et réanimateurs, toujours fidèles au poste », s'insurge Abdelilah Asaissi, Président de l'Association Marocaine des Infirmiers Anesthésistes Réanimateurs (AMIAR). Selon ce dernier, en omettant de reconnaitre le rôle primordial des 2000 infirmiers anesthésistes dans la prise en charge des malades du Covid-19 et des autres cas, Ait Taleb en a rajouté à la frustration générale. « Le ministre aurait du demander comment l'anesthésie-réanimation est assurée dans les différents hôpitaux du royaume en l'absence de médecins anesthésistes. Ce sont en effet les infirmiers qui s'en chargent en ces temps de Covid et même bien avant la crise sanitaire. Ceci alors qu'ils sont pris entre le marteau de la loi et l'enclume du devoir de sauver des vies » revient à la charge Asaissi. Couteau suisse Selon l'AMIAR, la problématique de l'anesthésie ne se limite pas à la grande pénurie des médecins spécialistes mais inclut également la mal-répartition sur le territoire national. Souvent concentrées dans les grands centres hospitaliers, les affectations présentent une grande inégalité territoriale. « Azrou, Benslimane, Boujdour, Smara, Chefchouen et les hôpitaux de bien d'autres villes n'ont pas de médecins anesthésistes et pourtant les prestations urgentes et programmées sont assurées par ces infirmiers » assure le représentant d'AMIAR. « Avec la pandémie, leur charge de travail a été décuplée et le champ de leur action encore plus élargi, pourtant ils étaient toujours là à répondre en urgence, dans les secteurs Covid, au niveau du transport sanitaire et même dans les centres de vaccination... de véritables couteaux suisses. L'ingratitude de la tutelle est insoutenable », s'indigne-t-il. Les déclarations de Ait Taleb ont été à l'origine d'un large mouvement de protestation parmi les rangs des infirmiers anesthésistes. Au-delà des appels à la grève et aux manifestations, le Président de l'AMIAR nous apprend que ces derniers veulent passer à la vitesse supérieure en constituant un syndicat indépendant. « L'idée est en gestation et les concernés sont décidés à lancer un syndicat professionnel des infirmiers réanimateurs anesthésistes pour défendre leurs intérêts et trouver une issue à leur situation légale floue » nous explique l'activiste. Rappelons que la loi interdit à tout infirmier anesthésiste de pratiquer une anesthésie sans la supervision d'un médecin spécialiste. « Or les administrations des hôpitaux les obligent quand même à pratiquer ce geste», nous explique Zakariae Taabani, Secrétaire Provincial de la Fédération Nationale de la Santé de l'UMT à Sidi Bernoussi Casablanca. « Un état des lieux qui s'est aggravé avec la pandémie. Cette dernière a énormément sollicité la spécialité tout en dévoilant le grand déficit », ajoute-t-il. « Au lieu de montrer de la gratitude, de motiver les troupes et de les encourager, les propos du ministre n'ont fait qu'attiser une colère sous-jacente qui était retenue jusqu'ici par un sens du devoir et une conscience aiguë de la particularité du contexte pandémique », regrette-t-on à l'AMIAR. La tutelle saura-t-elle tendre l'oreille aux doléances de ces ressources humaines surmenées et profondément démotivées ?