Trois mois après l'élection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, la crise qui secoue le régime islamique est loin d'être terminée. L'été a même été très chaud en Iran en dépit de nombreux signes allant dans le sens d'une normalisation : traduction de plusieurs personnalités du camp réformateur devant le tribunal révolutionnaire de Téhéran; investiture officielle du président qui a cependant dû se passer des traditionnelles félicitations de la plupart de ses pairs étrangers pour son deuxième mandat; recul des grandes manifestations d'une opposition durement réprimée La difficulté, voire l'impossibilité, de revenir au statu quo ante s'explique aisément. Pour la première fois depuis l'avènement de la République islamique en 1979, ceux qui ont refusé de continuer à jouer le jeu d'une démocratie d'apparence à l'occasion du scrutin présidentiel ne sont pas des opposants au régime des mollahs. Ces dissidences viennent de l'intérieur même du système : d'ex-présidents comme le puissant Ali Akbar Rafsandjani et Mohamad Khatami ou des candidats malheureux comme Mir Hossen Moussavi et Mehdi Karoubi. C'est ce qui change tout et explique pourquoi l'ultra- conservateur Mahmoud Ahmadinejad n'a pas encore gagné la partie. Y compris au sein de son propre camp. La fronde des conservateurs Alors que la fronde des réformateurs et de la partie de la population qui les soutient ne perd pas une occasion pour s'exprimer ou tenter de le faire, le chef de l'Etat affronte maintenant la grogne des milieux conservateurs où il ne fait plus l'unanimité. La virulence des débats au Parlement où, depuis le 30 août, les députés passent au crible la liste des 21 membres de son gouvernement, l'a confirmé. Dans un Parlement pourtant largement dominé par les conservateurs, son discours expliquant ses nominations a été violemment critiqué. Peu avant, le président de l'Assemblée, Ali Larijani, avait donné le ton en exigeant des «gens compétents» dans les ministères «qui ne sont pas des lieux d'apprentissage». Ali Larijani exprimait là un reproche adressé à Ahmadinejad y compris au sein de ses propres rangs. Ces derniers sont déjà excédés par son arrogance à leur égard, son mépris des institutions de l'Etat, hormis la Présidence, son dédain envers les vieux leaders religieux respectés et ses positions qui affaiblissent la République islamique à la fois sur la scène internationale et sur le plan interne où la détérioration de la situation économique prend un tour inquiétant. La composition de son gouvernement semble être la goutte qui a fait déborder le vase : les conservateurs n'ont pas apprécié qu'il privilégie ouvertement la fidélité sur la compétence et l'expertise. Et ils s'inquiètent de la militarisation du régime à travers la nomination de ses compagnons hauts gradés des «gardiens de la révolution» et des services secrets, l'armée idéologique du régime . Des gens soumis aux postes sensibles «Seize ministres n'ont aucune expérience dans les ministères qu'ils doivent diriger», résumait le député conservateur Ahmad Tavakoli. La critique est d'autant plus acerbe que Ahmadinejad entend contrôler les ministères les plus sensibles : Renseignements, Intérieur, Culture, Pétrole, Affaires étrangères et Défense -où la désignation de Ahmad Vahidi a tout d'une provocation, ce dernier étant recherché par Interpol pour l'attentat antisémite de 1994 à Buenos-Aires. «Il a choisi des gens dont la principale caractéristique est d'être soumis et cela n'est pas dans l'intérêt du pays», estime un autre conservateur Ali Motahari en s'interrogeant sur le choix d'un militaire à l'Intérieur. «Permet-il d'améliorer l'image du régime dans le monde et de réduire la fracture dans la société» ? Même les trois femmes nommées au gouvernement pour la première fois depuis l'avènement de la République islamique font problème : loin d'y voir un geste d'ouverture du chef de l'Etat, les conservateurs s'en sont scandalisés Autant dire que le vote de confiance du Parlement, qui devait se prononcer le 2 septembre sur chaque ministre, aura constitué un double test : celui de l'autorité de Ahmadinejad sur son propre camp, mais aussi de la capacité de Ali Larijani adversaire juré du président sur la gestion du dossier nucléaire à manuvrer les députés L'image désastreuse des procès de Téhéran Les critiques du camp conservateur surviennent au moment où les équilibres au sein du régime semblent bouger. La volonté du Guide suprême Ali Khamenei de recréer un équilibre afin de récupérer sa position d'arbitre perdue pour avoir soutenu sans nuance Ahmadinejad semble au cur de ces évolutions certes subtiles, mais qui affaiblissent de facto le président iranien. Ces évolutions touchent pour l'essentiel à la Justice et pourraient être une conséquence de l'image désastreuse donnée par les procès d'une centaine de personnalités et de manifestants réformateurs qui ont commencé le 2 août devant le Tribunal révolutionnaire de Téhéran. Au cours de mises en scène n'ayant rien à envier aux sinistres procès de Moscou, plusieurs personnalités réformatrices y ont regretté leur participation au mouvement de contestation de la victoire de Mahmoud Ahmadinejad, certains avouant «un plan pour renverser la république Islamique» et affirmant même qu'il n'y avait pas eu de fraude électorale ! «Avoeux sous la torture» , a immédiatement dénoncé le chef de l'opposition iranienne Mir Hossein Moussavi, suivant en cela l'ancien président réformateur Mohammad Khatami dont plusieurs proches collaborateurs étaient au banc des accusés et qui a dénié toute «crédibilité aux avoeux obtenus». Ces procès sans précédent depuis trente ans et interdits à toute la presse nationale et étrangère, médias officiels exceptés, visaient à étouffer le mouvement de contestation. En même temps qu'ils marquaient la main mise des proches du président sur le pouvoir judiciaire. Le rééquilibrage subtil de Khameneï Ali Khamenei a-t-il voulu effacer le malaise crée par ces parodies de procès censés étayer le théorie du «complot international contre l'Iran» et dénoncés par de hauts responsables religieux, à commencer par le grand Ayatollah Ali Montazéri ? «Il vaudrait mieux que les autorités admettent que cette République n'est plus ni République ni Islamique. J'espère que les autorités se réveilleront avant qu'il ne soit trop tard et qu'elles ne provoqueront pas leur propre chute ni celle du système», lançait Ali Montazéri fin août depuis la ville sainte de Qom où il vit en résidence surveillé. Ali Khameneï a-t-il compris que, successeur de Khomeiny, il ne pouvait assumer le déficit moral d'une répression féroce qui a touché jusqu'à certaines familles de dignitaires religieux ? A-t-il voulu rogner les ailes de son poulain Ahmadinejad en lui signifiant jusqu'où il ne pouvait pas aller trop loin, notamment après le décès de quelques détenus en prison ? Une chose est sûre : le Guide a nommé Sadegh Larijani à la tête du pouvoir judiciaire. Issu d'une famille appartenant à l'aristocratie du clergé iranien, le frère du président du Parlement, a immédiatement démis de son poste le redoutable procureur de Téhéran, Saïd Mortazavi, et crée un comité pour «contrôler les enquêtes» menées par les alliés de Ahmadinejad et «garantir les droits des accusés qui doivent être traités correctement». Pendant ce temps, Ali Larijani nommait deux commissions parlementaires pour «enquêter sur les accusations de torture et de viol par des agents du gouvernement». Le retour du nucléaire Cette nouvelle fronde des conservateurs arrive au pire moment pour Mahmoud Ahmadinejad. Les grandes puissances doivent se retrouver cette semaine pour faire le point du dossier nucléaire iranien à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations Unies. Mahmoud Ahmadinejad a d'ores et déjà annoncé son intention de s'y rendre. Barack Obama avait, lui, laissé à l'Iran jusqu'en septembre pour répondre à l'offre de négociation des grandes puissances tandis que Paris et Berlin ont menacé Téhéran d'un renforcement des sanctions internationales en cas de refus.