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Le point de non retour
Publié dans L'observateur du Maroc le 14 - 01 - 2010

C’est unanime. Six mois après l’élection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, la situation en Iran a franchi un point de non retour ce 27 décembre à l’occasion des rassemblements de l'Achoura, la journée de deuil commémorant la mort de l'imam Hussein, figure centrale du chiisme. Jamais jusqu’ici la répression des affrontements qui ont opposé dans plusieurs villes des milliers d’opposants aux forces de l’ordre n’a été aussi violente. Jamais non plus les slogans des manifestants n’ont été aussi radicaux: «Nous nous battrons, nous mourrons, mais nous reprendrons l'Iran», scandaient-ils. Jamais enfin les manifestants n’avaient signifié qu’ils visaient le Guide Suprême de la révolution, Ali Khamenei, et non plus le président Ahmadinejad. «Moharram, c’est le mois du sang versé, Khamenei sera renversé», criaient-ils. Autant dire que le temps n’est plus aux manifestations pacifiques prônées par les deux principaux chefs de l’opposition Mehdi Karoubi et Mir Hossein Moussavi pour contester l’élection de Mahmoud Ahmadinejad en juin.
Le régime panique
Le bilan officiel de ce 27 décembre à Téhéran résume la radicalisation des deux camps : plus de quinze morts, dont un neveu de Mir Hossein Moussavi, et des centaines de blessés. Signe que le régime entend briser à tout prix la nouvelle dynamique de l’opposition : la chasse aux opposants, dont quelques trois cents auraient été arrêtés. Parmi eux, plusieurs personnalités réformatrices : Ibrahim Yazdi, 78 ans, ancien ministre des Affaires étrangères et figure de l’opposition libérale, arrêté chez lui à 3 heures du matin, la sœur du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, deux proches de l'ancien président réformateur Mohamad Khatami et trois conseillers de Moussavi.
Les dirigeants iraniens semblent paniquer. Comme s’ils se souvenaient de la dynamique populaire qui avait fini par renverser le Chah. S’en prenant aux familles et aux amis des opposants, ils ont verrouillé l’information comme jamais. Interdisant aux journalistes étrangers de couvrir les manifestations, ils ont réduit le débit du réseau internet pour empêcher la circulation des vidéos prises avec des téléphones portables. De même ont-ils empêché l’ex-président Khatami de prononcer un discours au nord de Téhéran où vivait l’Imam Khomeiny, après avoir instauré un couvre-feu à Najafabad, la ville natale du grand ayatollah dissident récemment décédé, Hossein Ali Montazéri. Des centaines de miliciens ont d’ailleurs détruit les bureaux de l’un de ses très proches, le grand ayatollah Youssef Sanei, lui même très critique des dérives du régime…
Les opposants n’ont plus peur
Dans ce huis clos, le régime commence à procéder à des assassinats ciblés tandis que les opposants ne sont plus que des «suspects». Les gardiens de la révolution, armée idéologique du régime, et les bassidj (milice islamique) dénoncent ainsi un «complot qu’il faut éradiquer», tandis que des personnalités proches du pouvoir appellent à frapper directement les «chefs de la conspiration».
Compte tenu de la généralisation rapide de la contestation, y compris dans de petites villes, et de la radicalisation de la rue, ces rodomontades auront sans doute peu d’effet. D’autant que les opposants, ou en tout cas leur noyau dur, n’ont plus peur en dépit d’une répression massive et des tortures. Lors des dernières manifestations, ils ont érigé des barricades, jeté des pierres sur les forces de l’ordre et incendié les motos des voltigeurs bassidj qui les matraquent.
La radicalisation du régime et de la rue a d’ores et déjà enclenché le terrible cycle manifestation-répression. Il amènera les autorités à réprimer de plus en plus durement, ce qui devrait pousser la classe moyenne à ne plus descendre dans la rue. Certaines voix modérées tentent d’éviter cette fuite en avant dans la violence. «Attention à ne pas vous précipiter vers la violence. Ils sont prêts à tuer un million de personnes si il le faut», a lancé Ezatollah Sahabi, le chef de file d’un groupe de religieux nationalistes.
Une telle fuite en avant n’est pas sans risque pour le régime. D’autant qu’après avoir fait l’erreur de ne respecter le deuil lors de la mort de Montazéri, il a commis celle de ne pas respecter l’Achoura, tuant des opposants le jour même de l’assassinat de Hussein. Un tabou que même le chah n’avait pas brisé, refusant de faire tirer sur les manifestants pour l’Achoura. «Qu’est-il arrivé à ce régime religieux pour qu'il en vienne à ordonner que l'on tue des innocents en ce jour saint de l'Achoura ?», s’est d’ailleurs interrogé Mehdi Karoubi.
Malaise au sein des forces de l’ordre
Si le régime a intérêt à faire basculer le mouvement dans la violence pour apeurer les opposants pacifiques et justifier une répression accrue, cette stratégie n’est pas sans danger. Certains éléments des forces de sécurité seraient ainsi intervenus contre les bassidj pour protéger des manifestants, tandis qu’un mécontentement contre la répression s’exprimerait dans l’armée. Si ces informations se confirment, le régime aurait de quoi s’inquiéter : c’est aussi la défection des forces de sécurité qui avait permis la chute du Chah et l’arrivée au pouvoir de Khomeiny… On n’en est pas là. Mais la rupture est réelle. La longévité de la République islamique fondée par Khomeiny tenait en effet à la combinaison entre pouvoir religieux et pouvoir politique. Or la militarisation du régime - où les pasdarans contrôlent des pans entiers de l’économie - remet en cause ce fragile équilibre, marginalisant les dignitaires religieux et excluant les réformistes.
Considéré longtemps comme une «démocrature», le régime islamique apparaît désormais comme une dictature. Cela annonce des jours sombres et sanglants. Mais il est désormais clair que, même privé de leader vraiment charismatique, le mouvement d’opposition au régime n’est pas près de s’essouffler.


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