Cest unanime. Six mois après lélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad, la situation en Iran a franchi un point de non retour ce 27 décembre à loccasion des rassemblements de l'Achoura, la journée de deuil commémorant la mort de l'imam Hussein, figure centrale du chiisme. Jamais jusquici la répression des affrontements qui ont opposé dans plusieurs villes des milliers dopposants aux forces de lordre na été aussi violente. Jamais non plus les slogans des manifestants nont été aussi radicaux: «Nous nous battrons, nous mourrons, mais nous reprendrons l'Iran», scandaient-ils. Jamais enfin les manifestants navaient signifié quils visaient le Guide Suprême de la révolution, Ali Khamenei, et non plus le président Ahmadinejad. «Moharram, cest le mois du sang versé, Khamenei sera renversé», criaient-ils. Autant dire que le temps nest plus aux manifestations pacifiques prônées par les deux principaux chefs de lopposition Mehdi Karoubi et Mir Hossein Moussavi pour contester lélection de Mahmoud Ahmadinejad en juin. Le régime panique Le bilan officiel de ce 27 décembre à Téhéran résume la radicalisation des deux camps : plus de quinze morts, dont un neveu de Mir Hossein Moussavi, et des centaines de blessés. Signe que le régime entend briser à tout prix la nouvelle dynamique de lopposition : la chasse aux opposants, dont quelques trois cents auraient été arrêtés. Parmi eux, plusieurs personnalités réformatrices : Ibrahim Yazdi, 78 ans, ancien ministre des Affaires étrangères et figure de lopposition libérale, arrêté chez lui à 3 heures du matin, la sur du prix Nobel de la paix Shirin Ebadi, deux proches de l'ancien président réformateur Mohamad Khatami et trois conseillers de Moussavi. Les dirigeants iraniens semblent paniquer. Comme sils se souvenaient de la dynamique populaire qui avait fini par renverser le Chah. Sen prenant aux familles et aux amis des opposants, ils ont verrouillé linformation comme jamais. Interdisant aux journalistes étrangers de couvrir les manifestations, ils ont réduit le débit du réseau internet pour empêcher la circulation des vidéos prises avec des téléphones portables. De même ont-ils empêché lex-président Khatami de prononcer un discours au nord de Téhéran où vivait lImam Khomeiny, après avoir instauré un couvre-feu à Najafabad, la ville natale du grand ayatollah dissident récemment décédé, Hossein Ali Montazéri. Des centaines de miliciens ont dailleurs détruit les bureaux de lun de ses très proches, le grand ayatollah Youssef Sanei, lui même très critique des dérives du régime Les opposants nont plus peur Dans ce huis clos, le régime commence à procéder à des assassinats ciblés tandis que les opposants ne sont plus que des «suspects». Les gardiens de la révolution, armée idéologique du régime, et les bassidj (milice islamique) dénoncent ainsi un «complot quil faut éradiquer», tandis que des personnalités proches du pouvoir appellent à frapper directement les «chefs de la conspiration». Compte tenu de la généralisation rapide de la contestation, y compris dans de petites villes, et de la radicalisation de la rue, ces rodomontades auront sans doute peu deffet. Dautant que les opposants, ou en tout cas leur noyau dur, nont plus peur en dépit dune répression massive et des tortures. Lors des dernières manifestations, ils ont érigé des barricades, jeté des pierres sur les forces de lordre et incendié les motos des voltigeurs bassidj qui les matraquent. La radicalisation du régime et de la rue a dores et déjà enclenché le terrible cycle manifestation-répression. Il amènera les autorités à réprimer de plus en plus durement, ce qui devrait pousser la classe moyenne à ne plus descendre dans la rue. Certaines voix modérées tentent déviter cette fuite en avant dans la violence. «Attention à ne pas vous précipiter vers la violence. Ils sont prêts à tuer un million de personnes si il le faut», a lancé Ezatollah Sahabi, le chef de file dun groupe de religieux nationalistes. Une telle fuite en avant nest pas sans risque pour le régime. Dautant quaprès avoir fait lerreur de ne respecter le deuil lors de la mort de Montazéri, il a commis celle de ne pas respecter lAchoura, tuant des opposants le jour même de lassassinat de Hussein. Un tabou que même le chah navait pas brisé, refusant de faire tirer sur les manifestants pour lAchoura. «Quest-il arrivé à ce régime religieux pour qu'il en vienne à ordonner que l'on tue des innocents en ce jour saint de l'Achoura ?», sest dailleurs interrogé Mehdi Karoubi. Malaise au sein des forces de lordre Si le régime a intérêt à faire basculer le mouvement dans la violence pour apeurer les opposants pacifiques et justifier une répression accrue, cette stratégie nest pas sans danger. Certains éléments des forces de sécurité seraient ainsi intervenus contre les bassidj pour protéger des manifestants, tandis quun mécontentement contre la répression sexprimerait dans larmée. Si ces informations se confirment, le régime aurait de quoi sinquiéter : cest aussi la défection des forces de sécurité qui avait permis la chute du Chah et larrivée au pouvoir de Khomeiny On nen est pas là. Mais la rupture est réelle. La longévité de la République islamique fondée par Khomeiny tenait en effet à la combinaison entre pouvoir religieux et pouvoir politique. Or la militarisation du régime - où les pasdarans contrôlent des pans entiers de léconomie - remet en cause ce fragile équilibre, marginalisant les dignitaires religieux et excluant les réformistes. Considéré longtemps comme une «démocrature», le régime islamique apparaît désormais comme une dictature. Cela annonce des jours sombres et sanglants. Mais il est désormais clair que, même privé de leader vraiment charismatique, le mouvement dopposition au régime nest pas près de sessouffler.