L'idée s'impose et l'enjeu est de taille : empêcher le président ultra conservateur et populiste Mahmoud Ahmadinejad de se succéder à lui même. A 65 ans, le «réformateur» qui présida l'Iran huit ans entre 1997 et 2005, est en effet perçu comme le seul espoir de battre celui qui a fait de la République Islamique un nouvel ennemi public en clamant sa volonté de doter son pays de l'arme nucléaire et de «rayer Israël de la carte».. Depuis plusieurs mois, de nombreux partis politiques et des personnalités du camp réformateur appelaient Mohammad Khatami à se présenter en 2009. Du coup, ce dernier a fait sensation en évoquant pour la première fois le 5 octobre sa possible candidature. Echaudé par sa première tentative de réformer le système de l'intérieur, le premier président réformateur de l'Iran a toutefois clairement signifié qu'il entendait ne pas revivre la même expérience. «La volonté du peuple est la liberté, le progrès et la justice (...) en conformité avec la religion. Il faut voir dans quelle mesure ces programmes peuvent être appliqués avec les structures actuelles (du pouvoir). Compte tenu des signaux que je reçois de la société, je n'ai pas d'inquiétude particulière sur le résultat de l'élection. Mais je ne veux pas retourner au pouvoir à n'importe quel prix», at- il notamment déclaré. Une manière de dire qu'il ne fallait pas se méprendre sur son projet politique ou espérer voir à nouveau ses réformes bloquées par les durs de la République islamique. Convaincre la société iranienne Ce premier pas en forme de test est important. Mais le chemin jusqu'à sa candidature officielle est encore long. Il lui faut avant tout convaincre la société iranienne. Or, le régime est encore légitime dans une partie, certes très restreinte, de la population, aussi écrasée soit-elle par les difficultés économiques. Cette société s'engagera-t-elle à nouveau aux côtés de Khatami, particulièrement les femmes et les jeunes qui assurèrent sa victoire électorale avec près de 70% des voix lors de son premier mandat en 1997? La question reste posée. Car beaucoup lui avait reproché son manque de fermeté face aux assauts répétés des conservateurs soutenus par Ali Khamenei, le «guide» de la Révolution. «Malgré tout, les gens n'oublient pas que les espaces de liberté ouverts au cours de ses deux mandats ont permis l'émergence d'une nouvelle génération de militants qui élargit sans cesse aujourd'hui ses marges de manuvre et se bat sur les fronts social, économique, culturel, y compris dans des provinces reculées», résume Ahmad Salamatian, ex-député d'Ispahan et l'un des meilleurs connaisseurs de la situation. Tout cela permettra-t-il à Khatami d'instaurer un rapport de force avec le Guide suprême Ali Khamenei? C'est décisif pour imposer sa candidature et pouvoir mener campagne. Car, gardien des valeurs de la République islamique, il contrôle directement les relations extérieures, la défense, les services de sécurité, la justice et les médias et Ahmadinejad a toujours pu compter sur son soutien. Négocier avec les Etats-Unis La réponse à cette question se trouve dans les arcanes du pouvoir islamique... et à Washington. «Si Barrack Obama est élu, il ne sera pas facile pour Ali Khamenei de rester sur une position très dure et de refuser de négocier avec les Américains. Et pour négocier, le meilleur, c'est Khatami », estime un ancien ministre iranien. Empêtrés en Irak et surtout en Afghanistan, aux prises avec le krach financier mondial, les Américains sont conscients que la solution militaire est une impasse. Et ce même si des frappes israéliennes ne peuvent être exclues. Plusieurs indices attestent d'ailleurs que la Maison Blanche repense sa stratégie iranienne. Jusqu'à ces derniers mois, Washington refusait d'avoir des contacts avec l'Iran tant que ce pays ne renonçait pas à l'enrichissement de l'uranium. Mais cet été, une réunion à Genève entre Javier Solana, le Mr Politique étrangère de l'Union Européenne, et le négociateur nucléaire iranien Saïd Jalili, n'est pas passée inaperçue : William J. Burns, le numéro 3 du département d'Etat y assistait, alors qu'une semaine plus tôt, le régime iranien avait fait savoir qu'il n'entendait pas suspendre son programme d'enrichissement... La peur du djihadisme sunnite En réalité, les relations avec Washington sont plus complexes qu'il y paraît. En dépit de la rupture, des échanges d'informations existent entre les deux pays. Surtout concernant le djihadisme sunnite, dont l'essor au Pakistan, en Irak, en Afghanistan, voire même en Syrie, inquiète Téhéran autant que Washington. Après la chute des talibans en Afghanistan, les Iraniens ont ainsi fourni des informations aux Américains sur trois cent membres d'Al Qaëda - dont l'un des fils de Oussama Ben Laden passés par l'Iran pour fuir l'Afghanistan. Aujourd'hui, intérêts américains et iraniens se jouxtent trop en plusieurs points chauds, de l'Irak au Liban et au Golfe en passant par la Turquie et les Kurdes, pour qu'une aventure militaire ne soit pas périlleuse. Surtout quand l'arrivée des chiites au pouvoir en Irak conforte les ambitions régionales de l'Iran au grand dam des rivaux Saoudiens. Dans ce contexte, seul un noyau dur à l'intérieur du pouvoir iranien et les moudjahiddin du peuple (opposants) ont encore intérêt à la guerre. Mohamad Khatami ne dit pas autre chose quand il reproche aux «slogans agressifs» de Ahmadinejad de donner des «prétextes à l'ennemi pour agir contre le pays». Nationalisme et populisme au secours de Ahmadinejad Tout se passe en fait comme si un pouvoir de plus en plus archaïque avait deux alliés majeurs face à une société où, de l'avis unanime, l'utopie islamiste est en chute libre : le nationalisme véhiculé par Mahmoud Ahmadinejad, devenu un héros dans le monde arabo-musulman grâce à la surenchère verbale contre Israël et la dénonciation de «l'encerclement militaire de l'Iran par les Etats-Unis». Second allié : un populisme qui conduit Ahmadinejad à distribuer aux plus pauvres des «aides de l'Etat» variant entre 40 et 140 euros par mois. Une générosité autorisée par la manne pétrolière évaluée en moyenne à 81 milliards de dollars sous la présidence de Ahmadinejad contre 13 milliards de dollars pendant les mandats de Khatami. La bataille de la succession de Ahmadinejad ne fait que commencer. De son issue dépendra aussi l'évolution des négociations sur le projet nucléaire iranien qui, à en croire Paris, pourrait permettre à Téhéran de se doter d'une arme nucléaire dans un délai de deux à quatre ans. En attendant, dans un climat de grogne social, la colère des commerçants du bazar, secteur ultra «sensible» en Iran, a contraint le président ultra conservateur à reculer sur l'imposition d'une taxe. Pendant ce temps, tout indique que Mohamad Khatami se prépare ...notamment en invitant plusieurs personnalités étrangères de premier plan à un colloque à Téhéran !