A l'issue de son récent déplacement express aux Antilles, le président français Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il proposerait un référendum sur «le degré d'autonomie de l'île» appelée Martinique. Ce serait là une première réponse institutionnelle souhaitée de toujours par le poète et député-maire de Fort de France, Aimé Césaire, disparu il y a une année et dont le nom vient d'être attribué à l'aéroport de sa ville. On ne peut nier que cette décision a été hâtée par la nécessaire sortie, au plus tôt, de la crise dont les effets sont ravageurs. Mais l'enveloppe idéologique de cette entreprise institutionnelle d'importance est de faire en sorte de rompre avec cette dépendance séculaire qui prive un pays insulaire «de responsabilité sur sa destinée». Le chef de l'Etat français insiste pourtant sur un principe essentiel pour lui, ainsi que pour nombre de gens de la classe politique de l'Hexagone, celui du refus de l'indépendance telle que l'a obtenue une grande majorité de pays naguère assujettis par la France - dont le Maroc et l'Algérie. La Constitution française en vigueur actuellement autorise une telle mutation pour la patrie de Césaire, de Glissant, de Chamoiseau et d'autres talents, sans problème particulier sauf si une décision populaire s'y oppose, bien sûr. Les articles 73, 74 et 75 définissent, comme on le sait, différents statuts possibles pour la série des confetti de l'ancien empire colonial français qui, à côté de la métropole réunit, selon des statuts divers, outre la Martinique, Mayotte, Wallis et Futuna, Saint Barthélemy, la Réunion, la Guyane, la Guadeloupe, Saint-Martin, la Polynésie, la Nouvelle Calédonie. On peut classer en gros tout ce qu'on vient de citer en Départements et territoires d'Outre-Mer (DOM-TOM). Il faut se garder de croire que l'avenir de tous ces confettis est tout tracé et que tous iront spontanément dans l'enthousiasme vers l'horizon de l'autonomie, encore moins celui radical de l'indépendance (même dans l'interdépendance). De toute manière, on verra bien comment tout cela finira vers l'automne, et avant la fin de cette année. Mais il reste que c'est la toute première fois depuis près de trois années que je me vois, personnellement, heureux d'une décision prise par Nicolas Sarkozy, car courageuse et allant dans le sens positif de l'évolution du monde, celui de la décolonisation. Peut-être que je devrais ajouter, à l'actif de l'actuel chef de l'Etat français, un autre motif de ne pas détester le locataire de l'Elysée. C'est qu'il se soit résolu à faire baisser la pléthore de publicité sur les différentes chaînes publiques françaises, en attendant mieux pour l'avenir. Toutefois, je n'oublie pas tout ce qui se fait, du côté de l'Elysée, par excès d'autoritarisme personnalisé condamnable dans le domaine de l'audiovisuel et de la communication. Mais trêve de digressions et reprenons le thème de notre propos consacré en début de ces Actuelles à la perspective d'autonomie pour la Martinique. Cette annonce, qui me ravit parce qu'elle fait remonter en moi des bouffées de souvenirs politiques, littéraires et culturels qui ont nourri ma jeunesse, se raccorde naturellement dans mon esprit à la proposition du roi Mohammed VI et du gouvernement marocain pour l'établissement d'«un système d'autonomie élargie» dans le Sahara occidental marocain, pour remiser définitivement ce triste dossier dans les oubliettes-poubelles de l'Histoire. C'est cela l'idée royale dès le début du nouveau règne, il y a maintenant près de dix ans. Elle consistait à entreprendre une stratégie nouvelle en brisant le face à face Maroc-Algérie pour impliquer les Etats ainsi que les instances internationales, en particulier les Nations-Unies. Cacherais-je qu'au départ je refusais d'adhérer à cette vision des choses, estimant qu'à Alger et à Tindouf, on ne pouvait que conclure à la fatigue du Royaume face à ce conflit prolongé, qui a débuté tout de suite après la fameuse Marche Verte, précisément en février 1976. Donc, l'adversaire ne pouvait que conclure en la nécessité de persévérer, avec une pugnacité accrue et une détermination encore plus trempée, pour parachever son ouvrage de démolition du Royaume de l'est. Les Marocains n'avaient pas réussi à reprendre pied dans les territoires qui étaient historiquement et légalement les leurs et qui ont été détachés brutalement par la France coloniale pour les adjoindre à cette Algérie qu'elle croyait sienne ad aeternam. La bombe atomique expérimentale que Paris a fait exploser à Reggane, en 1960, a été considérée comme l'ayant été, aux yeux du Royaume, en plein territoire marocain revendiqué haut et fort. Ceci rappelé à titre d'exemple. Si on doit écarter cette crainte et considérer que c'est là l'effet d'un excès d'imagination pessimiste qu'il faut balayer sérieusement - d'autant que les divers pouvoirs ne semblent pas démériter, menant une offensive tous azimuts et une vigoureuse campagne, notamment diplomatique, pour emporter l'adhésion du monde au plan d'autonomie élargie de la province sahraouie du Maroc. Depuis 1991, un cessez-le-feu est officiellement instauré dans cette partie de l'ouest atlantique du Sahara - c'est-à-dire qu'en présence d'escouades de soldats onusiens formant la MINURSO, les armes s'abstiennent momentanément de parler, laissant aux protagonistes (marocain, algérien, polisarien et autres, qui sont les Mauritaniens et les Espagnols) la possibilité de discuter sans pression ni contrainte. Tout cela reste bloqué par la seule volonté algérienne demeurée, jusqu'à aujourd'hui, sans qu'aucun signe n'annonce un changement dans l'attitude inflexible de Abdelaziz Bouteflika et de son équipe. Les rodomontades guerrières du Polisario de ces derniers mois ne présagent rien de bon, car elles ne sont que la traduction en clair des sombres instructions du maître algérien. Il n'est pas exclu, en effet, que le voisin de l'est ne s'enhardisse, malheureusement, à attaquer militairement un Maroc estimé affaibli par rapport à une Algérie qui ne cesse de s'armer à tour de bras Les derniers chiffres publics donnent un budget de plus de cinq milliards d'euros à la disposition de l'Armée populaire algérienne, tandis que les Forces Armées royales doivent se contenter, pour la même année, de quelque trois milliards de dirhams. On sait quelle est la source et l'explication de ce déséquilibre patent. Mais l'arithmétique ne pourrait jamais être suffisante pour prévoir l'avenir Restons donc sur l'hypothèse heureuse de l'autonomie élargie accordée au Sahara, pierre d'angle importante pour l'édification réelle du Maghreb des régions et des peuples.