Après avoir annoncé, en conclusion de la première partie de la critique du livre de Ali Amar intitulé «Mohammed VI, le grand malentendu - Dix ans de règne dans l'ombre de Hassan II», je suis pris d'un scrupule : si finalement j'en faisais un peu trop pour un bouquin, une chose qui est appelée à disparaître très vite de notre esprit, de notre horizon proche et, bien entendu, de notre mémoire collective. J'aurais pu, donc, arrêter là mon commentaire et (me) dire que ç'en est assez de faire a contrario de la «pub» pour un livre-diatribe, qui ne mérite assurément pas cet excès d'intérêt. C'est l'éternel dilemme des journalistes en particulier : le silence sur quelque chose de méprisable ou alors lui fournir, par anathèmes répétitifs, l'occasion d'élargir son audience. Pourtant, il faut se résoudre, à corps défendant, à tenir la promesse en poursuivant la réprimande adressée à cet homme qui veut se parer des vertueuses qualités de démocrate, de défenseur des droits de la personne et de militant pour l'instauration de l'Etat idéal de droit. Pour autant, nous ne souhaitons pas tomber dans l'agression ad hominem, même si la démarche de Ali Amar ne nous inspire aucune mansuétude - même si on lui connaît des déboires, avant sa carrière journalistique. Ce qui aggrave le cas est que, depuis quinze jours, «Le Grand Malentendu» est sur les rayons et sur les étals des librairies françaises, sans parler des articles et papiers publiés tous négatifs, nous ne comptons que démentis, mises au point, dénégations, contestations et autres inscriptions en faux. Le reproche principal qui est fait aux diverses et nombreuses citations de paroles et déclarations contenues dans le livre, censées conforter les allégations de Ali Amar, tombent à l'eau. Les gens, dont les noms parsèment ces pages, ont pratiquement tous déclaré qu'ils n'ont jamais prononcé les propos qui leur ont été attribués et accusent ainsi l'auteur de mensonges multiples et de forgeries irresponsables. Il est de fait que la majorité des phrases, mises dans la bouche des «témoins» appelés à témoigner ou à apporter de l'eau au moulin de notre valeureux pamphlétaire, ne sont que des extraits de «conversations» et d'«entretien», sans références précises ne, se réclamant que de vagues contacts et rencontres «avec l'auteur» - à dates plus ou moins incertaines. Quoi qu'il en soit, les personnalités devant donner consistance et étayage aux opinions émises, controversées pour la plupart. Certains - considérés comme des proches de l'auteur - l'ont accusé de forfaiture ou de mensonge, tandis que d'autres lui reprochent, au moins, d'avoir manipulé leur pensée ou du moins d'avoir abusé des guillemets mis mal à propos. Les moins sévères le blâment d'avoir utilisé, contre toute éthique et déontologie, des échanges «off», qui ont eu lieu bien avant la parution du livre, donc hors contexte et ne mordant absolument plus sur l'actualité. La réplique la plus ferme - et la plus cinglante - est celle qui a émané du prince Moulay Hicham, fils du regretté prince Moulay Abdallah, frère du défunt Hassan II et donc cousin de l'actuel souverain Mohammed VI, qui n'a pas hésité à envoyer à la presse (à l'hebdomadaire arabographe Al-Ayyam) l'équivalent d'une page pour dire tout le mal qu'il pense de l'abus, de ce que lui attribue et impute l'ex-directeur du «Journal hebdomadaire». C'est un tissu de mensonges qu'aurait tissé ce dernier dans le but (inexpliqué et inexplicable) de simplement lui nuire, en attisant au passage des discordes familiales. Moulay Hicham ben Abdallah Alaoui - c'est ainsi qu'il coutume de signer ses missives, articles et contributions de presse - cloue au pilori, sans équivoque aucune, le livre qui est le sujet de notre chronique. Les adjectifs, épithètes et autres qualifications concernant Moulay Hicham, sont de fait aussi variés qu'équivoques : chien fou, impulsif et empressé, impatient, volubile, trop bruyant, ténébreux et capricieux, etc. Une opinion publique marocaine et internationale est souvent invoquée pour faire du personnage princier quelqu'un d'insaisissable, d'ondoyant, de dissimulateur, d'inconstant, de «calife qui veut prendre la place du calife», de trublion pestiféré oscillant entre l'ambition de devenir l'homme providentiel aux allures de «prince des lumières» à ceux de conspirateur potentiel ou en puissance aux traits du prince Philippe d'Orléans, que les révolutionnaires français ont coopté à la fin de 1789, car régicide ayant voté la mort pour son parent le roi Louis XVI. Mais ce jacobin à la manière marocaine ne se priverait pas pourtant d'être séduit par le modèle ultra féodal séoudien, basé sur l'institution du «pacte monarchique» familial, qui met le monarque régnant sous tutorat et tutelle. Ce modèle rétrograde permet de mettre en branle une procédure d'«impeachment», qui permet de procéder à la déchéance du souverain en place par décision majoritaire familiale. Tout cela, apparemment, pour accréditer la thèse que ce «prince rouge qui vire [à l'occasion] au vert islamique» se rêve en homme qui se verrait bien en «régent de fait», dont l'ambition serait de rénover profondément ce «Maroc [qui] est passé d'une monarchie répressive [de Hassan II] à une dictature institutionnalisée [de Mohammed VI], à laquelle la classe politique a donné l'onction de la légalité et de la stabilité». Ali Amar qui, entre parenthèses, trouve quand même trois ou quatre aimables qualités au prince (séducteur, brillant, décontracté, érudit ) n'arrive pas à le suivre dans sa trajection avec ses multiples et différents bricolages pour assouvir son inextinguible soif du pouvoir, pour devenir celui de «colonne vertébrale » du pays - on n'ose pas dire du Royaume. Intrigant à ses heures, mouche du coche ou intrépide aventurier apparaît un rogui moderne, avide d'un rôle à sa véritable (dé) mesure. En somme, un Ba Ahmad d'aujourd'hui, chevalier sans peur et sans reproche de la vertu démocratique et libertaire. C'est donc un portrait brouillé et tendancieux que nous dessine l'ouvrage «Mohammed VI, le grand malentendu», à travers lequel transparaît un prince dont on ne retrouve pas dans ce qu'on y décrit, très injustement. Cette personne attachante et respectable que nous avons appris à connaître depuis plus de vingt ans. Et c'est surprenant, qu'après avoir malmené, copieusement, Moulay Hicham, il lui est adressé en dernière page d'hypocrites remerciements. Nous avons insisté sur cette odieuse opération montée à coups de procédés douteux ou, pis, mauvais, tous destinés à dévaloriser un homme qui, à notre sens, ne mérite aucunement des offenses et des injures de cette sorte-là. Le pire est qu'usant de formules et de clichés puant l'élémentaire et sommaire prétérition, Ali Amar croit pouvoir tromper le lecteur sur ses véritables intentions d'exécuter un homme public et avec lequel il aurait entretenu d'aimables relations de surcroît. Ne va-t-il pas jusqu'à accuser ce dernier de manuvres corruptrices, de défausse systématique et j'en passe... Enfin, que comprendre de cette phrase, trop succincte pour ne pas paraître franchement perfidie et sybiline : «faire le portrait de l'un, c'est révéler en creux celui de l'autre». L'un et l'autre, le roi et le prince. L'autre et l'un, le prince et le roi. Je suis désespéré, parce que je me vois contraint de devoir poursuivre cette modeste prose pour répondre à un livre détestable - même quand il aborde fallacieusement des questions qui tiennent à cur aux Marocains, dans leur majorité, qui ont les yeux rivés sur les horizons attrayants de démocratie et de droits. Haro sur le prince rouge, titre d'un chapitre, c'est l'objectif premier, nous avons compris cela, du plumitif.