Je suis désolé de l'écrire comme je le pense, sans fioritures. Le livre signé par Ali Amar n'est pas un ouvrage à proprement parler, et tel qu'on s'attendrait à le recevoir, mais bien plutôt une sèche revue de presse comme collationnée par une équipe de documentalistes professionnels mobilisés pour une commande marquée par la volonté de nuire. Dans «Mohammed VI, le grand malentendu. Dix ans de règne dans l'ombre du Hassan II», il n'y a pas une seule phrase clémente ou passablement raisonnable. Tout y est énoncé sur le mode du réquisitoire qui se veut intentionnellement cruel et implacable. L'auteur (ou son nègre, car le style, la syntaxe et le vocabulaire ne sont pas ceux d'un Marocain de la dernière génération) affirme son intention de régler son compte à un règne décennal qui aurait failli très vite, ne tenant aucune de ses promesses démocratiques et libérales - annoncées à l'avance par l'infléchissement constaté lors des toutes dernières années de l'ère presque quadriennale de Hassan II, père du souverain actuel. Le plus gênant à la lecture des 330 pages est cette fabrication systématiquement entêtée dans sa position anti-monarchiste et surtout anti-royaliste. Pourtant, malgré cela, nous ne relevons aucune cohérence et par là aucune unité réelle dans la composition de l'uvre. On nous offre en guise de chapitres, dix-sept espèces de fiches, comme autant de revues de presse dont «Le Journal», puis «Le Journal hebdomadaire» se taillent la part du lion. Pas moins de 150 occurrences par exemple sont citées, comme références à une vérité convenue, les deux titres successifs considérés comme l'épine dorsale autoproclamée du mouvement national de régénérescence et de redressement salutaire du pays ainsi que de la nation. L'escouade de l'armée de choc imaginaire qui fait franc-tireur de l'avant-garde combattante est un trio audacieux, qui a fondé et animé «Le Journal» et a voulu en faire le fer de lance du combat de la modernité et de la liberté. Au fil des pages qu'on peut feuilleter rapidement, il y a toujours à chaque paragraphe, la volonté présente un peu puérile d'administrer la preuve que l'intention de ces juvéniles mousquetaires était d'en découdre sans relâche avec les signes persistants d'un passé révolu et décrépi, obstacles supposés à l'entrée définitive du Maroc dans l'univers rénové et réformé, voulu selon les normes occidentales avérées. Pour atteindre l'objectif, celui de susciter l'intérêt et l'adhésion du lecteur, de quelque type que ce soit, il est patent que le forgeur du bouquin prend consciemment, comme modèle absolu, le factum signé de Gilles Perrault intitulé «Notre ami le Roi», dont le titre avait été démarqué d'un brûlot destiné, lors de la première moitié du siècle dernier, à porter atteinte au monarque grec de l'époque. On sait que ce livre de Perrault, publié il y a maintenant vingt ans chez le prestigieux éditeur français Gallimard, a eu un succès remarquable et a permis à son auteur et à sa garde rapprochée, de soutenir que «Notre ami le Roi» a été déterminant dans le virage amorcé par Hassan II pour adoucir quelque peu sa politique inique dans les droits de la personne. A l'instar de nombreuses plumes malveillantes - les Jean-Pierre Tuquoi (Le Dernier Roi, crépuscule d'une dynastie), Nicolas Beau et Catherine Graciet (Quand le Maroc sera islamiste), Jean-Pierre Tuquoi (Majesté, je dois beaucoup à votre père), etc. - «l'auteur» voudrait apparemment frapper un grand coup, impressionner les imaginations fragiles et initier un mouvement socio-politique qui mettrait le Maroc sur la voie du «changement salutaire» et attendu. Cette brigade fait penser à l'organisation du parti bolchevique qui, sous l'impulsion directive de Lénine, est monté avec peu de troupes à l'assaut du pouvoir tsariste, et pendant un très bref moment du gouvernement éphémère bourgeois de Kerenski, pour contrôler finalement toute la Russie et ses dépendances. Illusions juvéniles comme on s'en aperçoit dans cette littérature, qui n'arrive jamais au rythme souhaité : le haletant et le suspense du thriller d'espionnage ou du policier. Toutefois, on perçoit la volonté première, peut-être sincèrement machiavélique, de faire de l'entrisme pour au moins infléchir «dans le bon sens moderniste» l'évolution du royaume. C'est ce qui explique que pendant quelques années, «Le Journal» et sa version arabographe «Assahifa» se sont évertués à se rapprocher des jeunes nouveaux caciques de la cour royale et des cercles neufs des allées du pouvoir. Parallèlement à ces reptations pour circonvenir les puissants du moment, souvent maladroites, toujours visiblement opportunistes, les jeunes journalistes, tous venus du monde financier ou boursiers s'ingéniaient à se créer un réseau adjuvant international nourri de la presse internationale - française, espagnole, mais surtout américaine. Très vite, les illusions de ce quarteron, aux ambitions aussi nébuleuses que naïves, se dissipèrent et la ligne éditoriale de leurs deux publications sombra dans l'ardeur polémiste mauvaise contre tout ce qui, de près ou de loin, se rapporte au régime royal. Rien n'avait plus grâce à leurs yeux. Mohammed VI et ses équipes rapprochées, le gouvernement dit de l'alternance consensuelle ou autres, les nouveaux gouvernants ou les hauts fonctionnaires parvenus enfin au faîte de la responsabilité, aucun n'échappait plus à la vindicte terroriste pourfendeuse et acrimonieuse des rédacteurs devenus malveillants en diable. Le livre, dont nous tentons difficilement l'analyse se distingue par un ton manquant d'humilité et de sens de la mesure. Non que nombre de choses qui y sont énoncés n'existent pas dans notre pays - loin de là ! Mais enfin, qu'est-ce que cette pléthore de portraits de Marocains tous sans exception : courtisans indignes, opportunistes divers, indélicats sans scrupules, pleutres ignobles, s'ils ne sont pas gibier de potence, combinards à la limite extrême de la légalité ou criminels odieux à la manque s'échinant sans interruption à essayer de passer à travers les filets d'un châtiment quelconque... Aucun exemple d'une quelconque probité, de vertu ou de rectitude. Même pas un soupçon de doute à propos de quelque créature citoyenne surnageant de la frange exécrable d'un pays emprisonné entre les mains d'une bande de profiteurs sans foi ni loi. A la fin de l'ouvrage, on entend comme un son étrange d'adoucissement, d'inflexion dans la tonalité générale. Il y est allégué, d'une manière désabusée et faussement sereine : «La réalité est que la monarchie encourage une libération des murs, mais se refuse à ce qu'elle s'accompagne d'une réforme de son statut de Commanderie des Croyants, cette schizophrénie au cur du système suffit à contenter la frange progressiste de la société, mais non sa majorité, certes acquise au roi mais toujours jalouse de son identité traditionnelle». En avons-nous assez ou trop dit sur ce livre abusif et excessif que quelques rares références à quelques livres sérieux ne sauvent pas et ne font pas diversion ? On ne le croit pas, c'est pourquoi il y aura une suite à ces «Actuelles» la semaine prochaine.