Il y avait un seul enjeu - le taux de participation - à l'élection présidentielle du 9 avril puisqu'en réalité un seul candidat-déjà-élu, Abdelaziz Bouteflika, y concourt. Or, ce suspense n'a même plus cours, le secrétaire général du FLN Abdelaziz Belkhadem ayant déjà annoncé 65% de participation ! Un candidat-déjà-élu ? Cette impossibilité de sauver les apparences aura été le cauchemar des autorités qui ont échoué à susciter une candidature capable de donner un minimum de crédit à ce scrutin face à un Abdelaziz Bouteflika qui, président d'honneur du FLN, se présente en «indépendant» ! «Il y a cinq autres candidats, mais je ne les connais pas», s'amuse Khalil, un universitaire d'Oran «En Algérie, le président autoproclamé fait semblant d'être candidat et les Algériens font semblant de voter», note de son côté l'écrivain Boualem Sansal dans une tribune publiée par le quotidien Le Monde. Tous les poids-lourds de la scène politique ayant refusé de jouer les «lièvres» dans ce scrutin joué d'avance, ils sont donc cinq candidats «maison» - dont la trotskiste Luisa Hanoune et l'islamiste Younsi Djahid - chargés de créer l'illusion de la pluralité en concourant aux côtés d'Abdelaziz Bouteflika. Insulter et intimider les partisans du boycott Tous bravent la certitude d'une abstention massive due à la lassitude de la population face à des élections à répétition n'ayant jamais le moindre impact sur sa vie quotidienne. Du coup, tous les candidats ont un programme commun et unique - l'appel à voter - et un consensus : insulter et intimider ceux qui appellent au boycott. La déclaration la plus exotique en la matière aura été celle de la laïque Luisa Hanoune lançant sur eux sa «malédiction», tandis que le ministre des Affaires religieuses Bouabdellah Ghlamallah dénonce l'abstention qui «va à contre-sens des valeurs prônées par notre religion» ! Les boycotteurs, il est vrai, sont nombreux. S'il y a d'abord et avant tout la rue, on les retrouve aussi dans la classe politique. C'est le cas notamment du FFS de Hocine Aït-Ahmed, le parti d'opposition historique, qui «refuse de participer à la mascarade électorale» et appelle au «boycott actif pour rendre effective la dissidence électorale nationale et pacifique». De son côté, le respecté Abdelhamid Mehri, qui tenta en son temps de «réformer» le FLN, refuse de s'impliquer, considérant que «chez nous, les élections sont utilisées pour empêcher tout changement du système ( ). Or, le système actuel, basé depuis 1962 sur l'exclusion et fonctionnant selon la logique des clans, ne répond plus au besoin de la société». Même le RCD de Saïd Saâdi, qui fit un long chemin avec le régime, a jeté l'éponge pour ne pas «se commettre dans ce pitoyable cirque» Débauche d'argent Le boycott du FFS et du RCD, qui augure d'une grosse abstention en Kabylie où ces partis sont implantés, risque d'ailleurs de renforcer l'hostilité de Bouteflika à l'égard de cette région qui avait déjà boudé les urnes lors de sa première élection en 1999. Depuis, d'énormes moyens ont été déployés pour casser la Kabylie. Un mouvement dit des Archs s'est d'abord créée pour briser le FFS, des émeutes ont abouti à la mort de 128 jeunes et les groupes armés se sont multipliés comme par enchantement dans cette région pourtant traditionnellement hostile aux islamistes. «Curiosité» relevée par la presse algérienne : parmi les dizaines de jeunes qui placardent en Kabylie les portraits du président candidat, la population a reconnu nombre des «émeutiers» de 2001 En attendant et faute de compétiteurs dignes de ce nom, l'entourage de Bouteflika a mis en branle une formidable machine électorale avec promesses démagogiques à la pelle : distribution de 5.000 minibus et 3.000 chaises roulantes à l'occasion de la Journée du handicapé, augmentation de 50% de la bourse des étudiants, effacement des dettes des paysans et éleveurs... Débauche d'argent aussi pour organiser des caravanes, portraits géants du candidat-déjà-élu placardés sur les arbres et les espaces publicitaires, autorisation aux étudiants de voter dans leurs lieux d'études ou d'hébergement et interdiction de toutes les activités des partisans du boycott. Les mosquées à la rescousse Une campagne électorale que résume Boualem Sansal : Bouteflika «la mène comme un sultan fatigué, visite ses provinces. Il débarque avec sa police et ses chaouchs, dit trois mots au petit peuple, distribue de l'argent, chapitre les pouvoirs locaux honnis des indigènes, inaugure deux-trois vieux trucs repeints à neuf, offre un grand couscous aux nécessiteux, et repart ( ). La télé fera le reste, elle est très équipée pour les superproductions». Objectif de cette mise en scène: faire diminuer l'abstention. Même si, comme le remarque l'avocat Mokrane Aït-Larbi, le régime est au final «capable de mobiliser des électeurs en nombre souhaité dans certains bureaux de vote et de les filmer pour les montrer au journal télévisé de 20h. Quant au taux réel de participation, qui peut être en mesure de le contrôler ?». Le candidat Moussa Touati se montre, lui, résolument optimiste, décrétant que «le taux de fraude ne dépassera pas 20%» ! Pour éviter toute mauvaise surprise, le ministre de l'Intérieur Yazid Zehrouni a toutefois prévenu que les «walis rendront des comptes» sur les résultats ! Tous les moyens de l'Etat sont en fait utilisés pour amener les Algériens aux urnes, mais aussi défier les lois de la république au nom desquelles le régime a mené la sale guerre de la décennie 90 contre les islamistes. Lil rivé sur les 14 millions de fidèles que peuvent réunir les mosquées, le ministre des Affaires religieuses a confié aux imams un rôle politique : il leur a demandé d'appeler à voter après avoir passé des années à répéter que la mosquée doit échapper aux manipulations politiques Services secrets plus forts que jamais L'armée, vrai décideur du pays depuis l'indépendance, a-t-elle eu voix au chapitre dans ce énième scrutin ? Que les chefs militaires soient arrivés à la conclusion que Bouteflika est le seul à même de garantir le maintien du statu quo, ou que la révision de la Constitution ouvrant la voie à son troisième mandat soit le résultat d'un deal volontaire ou forcé, ne change pas grand chose. Car, comme le remarque Boualem Sansal, «le problème n'est pas tant l'armée mais les services secrets : ils sont plus forts que jamais. Ce sont eux les faiseurs de rois, de généraux, de milliardaires, ce sont eux qui animent la machine de la terreur et décident qui doit vivre et qui doit mourir». Une situation qui n'incite pas à l'optimisme dans ce pays si riche où la majeure partie de la population est si pauvre et où le décalage entre l'Algérie officielle figée et une Algérie réelle et vivante a l'ampleur d'un gouffre. Un éditorial du Quotidien d'Oran ne notait-il pas récemment : «A force de tout contrôler, de tout bloquer, on ne laisse aux Algériens que la seule ressource d'une religiosité qui finira bien par se traduire, un jour ou l'autre, en politique (...) Le régime s'est restauré, mais il restaure aussi la réponse islamiste Le problème est que cette restauration n'a dégagé ni une nouvelle élite politique - elle ne peut se faire que dans l'autonomie - ni un nouveau discours. Les tentatives de relancer le nationalisme ont du mal à passer et si l'islamisme politique fait profil bas, le bigotisme religieux s'étend»...