Ni putes ni soumises est un coup de poing porté à un système essentiellement fondé sur le cloisonnement et la stigmatisation des femmes à l'intérieur des cités. Créée en 2003, l'association s'est constituée dans un contexte tragique marquant une fois de plus la précarité de la condition féminine. Le destin de Sohane, morte après avoir été brûlée vive par son ex-petit ami, fut le facteur initiant la création du mouvement. Guidée par sa lutte pour le respect et la dignité des femmes, NPNS reflète une colère largement justifiée par l'enfer des banlieues françaises. Agressions physiques et morales, pressions sociales et violence économique restent pour ainsi dire le sort de milliers de jeunes filles y habitant. L'association avait à ce titre levé le voile sur d'autres cas de figure illustrant le schéma de vie au sein des quartiers populaires. Samira, Chahrazad et les autres La première s'était fait connaître pour son activisme dans le cadre de l'association mais également par son livre sur les tournantes. Cette pratique tristement célèbre continue à ce jour de faire des victimes qui, très souvent, préfèrent garder le silence plutôt que d'avouer ce qui n'est ni plus ni moins qu'un viol collectif et répété. «Les filles sont incitées par leurs copains ou alors carrément entraînées de force dans des locaux avant d'y être contraintes à avoir des relations sexuelles avec d'autres garçons». Responsable des interventions en milieu scolaire de NPNS, Mariam Touré fait état d'une grande difficulté pour certains d'aborder ce genre de questions. «Même s'il est vrai qu'en France on reste plutôt bien accueilli dans les lycées qui font appel à nous, il y a souvent des réticences face à ces thèmes. On sait ce qui se passe dans les cités, tout le monde sait ce qui s'y passe, seulement d'autres vous diront au cours des débats que ce n'est pas comme ça que ça arrive ou alors nieront complètement les faits pour venir par la suite nous parler en privé de leurs vécus». Derrière ces non-dits, la peur assurément, la honte ou encore le déni mental d'un présent sordide. «Il est important de briser le silence, de dénoncer ces situations» reprend-elle. «Les banlieues sont aujourd'hui confrontées à des drames, et contrairement à ce que l'on pense, les jeunes filles touchées par ces tragédies ne sont pas toutes arabes, noires ou musulmanes. Il y a des Françaises de souche qui souffrent au même titre que les autres. Et toujours plus loin dans ce raisonnement, de tels scénarios existent partout ailleurs. De ce côté-là, on a raison de dire que le mouvement concerne absolument tout le monde, tous les pays et toutes les races». Egalement brûlée vive par un jeune homme pour avoir refusé sa demande en mariage, Chahrazad Belayni, d'origine marocaine, tire sa force de la tragédie qu'elle a vécue. Son histoire n'est pas sans rappeler celle de Malika Sarsari, jeune lycéenne de 17 ans ayant connu le même sort quelques années auparavant, mais à Rabat cette fois. Nommée vice-présidente d'honneur de l'association, Chahrazad est déterminée à mener un combat contre ce genre de violences. «?a peut arriver à n'importe qui et n'importe où. Se taire ne fera qu'empirer les choses et exposer d'autres personnes. Ce qui m'importe à présent, c'est de lutter tant que j'en aurais la force, en France parce que c'est là où j'ai vécu mais aussi au Maroc parce que c'est là d'où je viens. C'est après avoir été contactée par de nombreuses femmes animées d'un sentiment et d'une motivation identiques que l'association Ni putes ni soumises a eu envie d'y installer une antenne». La chose est compréhensible dans la mesure où les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées ne se limitent ni à un seul pays ni à une communauté en particulier. Quand l'Intérieur dit Niet «Un travail respectable en France, mais une démarche ne correspondant pas à l'approche adoptée au Maroc pour le traitement des questions en relation avec le statut de la femme». Si cette déclaration succincte du ministère a permis de connaître la position des autorités marocaines quant à l'ouverture d'un bureau de NPNS dans le pays, elle n'a en revanche nullement éclairé sur ce qui différenciait réellement les deux approches. Faut-il comprendre par là que la protection de la femme ne peut être envisagée de manière homogène, à l'heure pourtant où les Etats eux-mêmes tendent à ratifier des conventions uniformes à ce propos ? Tous les thèmes abordés par le mouvement sont défendus au Maroc par le biais des différentes associations, à l'exception d'un seul : la lutte contre l'homophobie. Sans vouloir se lancer dans une vaine extrapolation, ce n'est certainement pas à cause de ce dernier que la différence d'approche a été pointée du doigt. «Le refus du ministère de l'Intérieur d'accorder un droit de siège à Ni putes ni soumises est tout simplement arbitraire. Parler d'une démarche inadaptée ne me semble pas du tout justifié. La méthode de travail des associations est en principe universelle, je ne vois donc pas ce à quoi il est fait allusion». Convaincue par le travail de proximité effectué par NPNS et le rôle complémentaire que l'association pourrait être amenée à jouer au Maroc, Amina Bouayach, présidente de l'OMDH, reste perplexe face aux faits. «On a toujours besoin de nouvelles associations, celle en cause aujourd'hui dispose d'une approche fondée sur l'aide et l'accompagnement de femmes laissées-pour-compte, il n'y a a priori rien de déplacé ou d'inadapté là-dedans ». Reste donc la piste avancée par tout le monde en rapport cette fois avec une appellation, touchant à «l'ordre public et à l'édifice des valeurs patriarcales», dixit un anonyme. L'expression qui fait mal... Lorsque l'on choisit d'appeler son association de la sorte, on prend forcément un pari, celui de choquer pour changer les choses. Derrière ce nom, le refus d'être assimilé à un extrême ou à un autre, mais également le vif désir de vivre une citoyenneté à part entière. Ni l'une, ni l'autre, juste une femme, un être humain avec des droits devant être respectés et un corps n'appartenant qu'à elle. Une appellation choc mais qui ne devrait nullement, aux dires de Sihem Habchi la présidente, éclipser le plus important de l'histoire: l'essence du combat et l'importance de l'engagement. Interrogée à ce propos, Aicha Ech Chenna, qui a reçu vendredi dernier l'équipe de NPNS dans ses locaux, a déclaré comprendre l'état d'esprit des pionnières de l'association tout en émettant quelques réserves. «Ce mouvement est un cri de colère et de révolte face aux injustices flagrantes dont les femmes ont fait et continuent de faire l'objet un peu partout. Il m'est néanmoins d'avis que pour s'installer au Maroc, l'association devra opter pour un nom plus adapté aux mentalités. Il est impossible de traduire l'expression en darija sans brusquer la sensibilité des gens». Même son de cloche de la part de Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité. Cette dernière a précisé durant la même période à l'Observateur du Maroc que ce n'était pas tant l'objet de l'association que son nom qui posait problème, et qu'hormis ce point, le champ d'action de celle-ci était tout à fait acceptable dans un Etat de droit comme le Maroc. Souhaitant trouver un terrain d'entente, NPNS a fait savoir que son antenne sur place prendrait l'appellation «Chahrazad pour le respect des femmes». S'il s'agissait juste d'une question de nom, n'aurait-il pas été plus simple de poser directement le problème au sein dudit communiqué? Dans ses déclarations sur Afrik.com, Sihem Habchi a avancé l'idée selon laquelle les blocages dont elle faisait l'objet étaient, ni plus ni moins, liées aux pressions exercées par «des associations féministes pétries dans leur archaïsme et trop occupées dans la gestion de leurs propres privilèges». Y aurait-il derrière ce non beaucoup plus qu'une banale histoire de Nom ? Certains en sont persuadés et refusent de se limiter à une conclusion un peu tirée par les cheveux au sujet d'un patronyme soit disant «trop osé». Un réel besoin ? Il est aussi logique de s'intéresser à la nécessité d'une telle action au Maroc, surtout lorsque l'on sait que les associations dont on dispose sont également axées sur des causes similaires. Disposant d'un statut consultatif auprès des Nations-Unies, NPNS ambitionne de créer un bassin méditerranéen féminin dynamique et efficace dans la promotion et la défense des droits de la femme. Un projet d'une telle envergure ne s'entend pas sans un partenariat avec les mouvements déjà existants. En outre, cette démarche tellement décriée est à même de générer un renouveau profitable à tous, car basée sur une diversité culturelle importante et une multitude d'expériences. Est-il nécessaire de préciser au final que n'uvrant ni pour la gloire ni pour les joies de la polémique, NPNS reste avant tout un appel à la solidarité et à la mobilisation ici ou ailleurs de toutes celles qui refusent d'être l'une ou l'autre ?