Deux sons de cloche, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, assez dissemblables, mais qui nous semblent résumer la situation qui prévaut en ce qui concerne la presse depuis qu'elle tisse sa jeune histoire dans le Maroc indépendant (1956-2009). Une voix lyrique, sûre d'elle-même comme de l'impact qu'elle peut produire sur les esprits, clamait en une formule taillée lapidaire que «la presse, c'est la conscience d'une nation». L'écrivain et penseur français, Albert Camus, en affirmant cela, ne voulait-il pas, en réalité, appeler de ses vux que la presse soit effectivement «la voix de la nation». On préfère, ici, cette déclinaison de sa pensée, lui qui s'est affirmé à «Alger Républicain», à «Combat» du lendemain de la libération en Europe occidentale et dans d'autres tribunes aussi. Autre posture, autres propos. Mais c'est un ironiste cette fois qui souligne que «la presse a quelque ressemblance avec le coq qui croyait que sans son cocorico, le soleil ne se lèverait pas». Faut-il croire jusqu'au bout François Mauriac, le prestigieux journaliste du grand «Figaro», courageux pamphlétaire qui mit sa plume acerbe au service du Maroc en lutte pour son indépendance, lors des années ultimes et tragiques du protectorat ? Jusqu'à ses derniers papiers dans le fameux bloc-notes de L'Express naissant des Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, François Mauriac, l'homme de droite gaulliste, aura cru en le pouvoir du verbe journalistique. Au Maroc, actuellement, il est peut-être sûr que la profession vit cet entre-deux, ne sachant pas très bien où elle en est précisément. De temps en temps, le pouvoir (le réel, qui ne se résume pas au seul gouvernement, bien entendu) fait montre de quelques réactions brutales : des bouffées d'autoritarisme sous couvert de juridisme, de moralisme et traditionalisme non écrit, très makhzénien. Les condamnations peuvent pleuvoir drues, mal contenues par des prises de position de principes émanant des syndicats, fédérations de journaux et autres associations des droits humains... Des amendes plus ou moins fortes veulent à l'évidence, frapper les titres au portefeuille et donc les déstabiliser durablement dans leur budget de fonctionnement. Toutefois, le pouvoir souverain et omnipotent n'exclut toujours pas de recourir à l'emprisonnement qu'on baptise de l'expression hypocrite de «privation de liberté». Le but est de faire en sorte que la presse se sente, dans une situation précaire, mal assurée de son avenir, craignant en permanence de voir s'abattre sur elle une épée de Damoclès. Est-il excessif de dire que ce que l'on veut faire croire est que cette presse marocaine est en quelque sorte en liberté surveillée permanente, et qu'à tout moment, elle reste susceptible d'être punie sévèrement - même à titre rétroactif ? Le gouvernement, pendant tout ce temps, se charge, par ministre de la Communication interposé, de faire patienter par des promesses répétées à satiété, une presse, qui reste plutôt sage dans ses prises de positions corporatistes, il faut le remarquer, attendant de voir promulguer patiemment une loi, un code organisant au mieux le champ de la libre expression au Maroc. Côté Parlement, avec ses deux chambres, nulle initiative ne vient faire bouger les choses dans ce domaine, ni de la part de la majorité ni de la part de l'opposition - ni même d'un nouveau venu dans le champ politique, spécialiste des déclarations-effets d'annonce fracassants sans concrétisation à ce jour. On se demande, pourtant, si les différents éléments qui constituent l'essentiel de la profession active (journaux, magazines et publications) ne s'accommodent pas de cette situation, aussi chaotique soit-elle. Faire contre mauvaise fortune bon cur, avec le sentiment confus que c'est cela qui nous reste. Il n'est pas sain pour l'avenir de la démocratie dans notre pays que l'on s'habitue à vivre constamment entre deux eaux, entre chien et loup, s'accommodant d'une réalité médiocre mais considérée globalement comme une logomachie généraliste acceptable dans ses grandes lignes. Il faut de l'audace et toujours de l'exigence pour se faire un devoir permanent de placer la barre très haut. Car, nous semble-t-il, si ce chantier n'est pas traité en préalable prioritaire - et sérieusement - par la classe politique, les partis, les syndicats et les associations ainsi que par les plus larges secteurs de l'opinion publique, rien de consistant et de fécond ne sortira pour mettre enfin le Royaume sur les bons rails de la démocratie réelle et moderne. Le signe le plus sûr que nous entrons, définitivement et de plain-pied, dans le peloton de tête des pays où règnent sans partage les idéaux de la liberté multiforme, est que tout citoyen se sente partie prenante du gouvernement et de la gestion de son propre pays. Par délégation acceptée sans contrainte, bien sûr, et selon les modèles universellement convenus en ce domaine précis. Nous rêvons, et espérons que toutes les forces vives travaillent à atteindre cet objectif, qui est le seul garant de la paix sociale et politique. Cela sans soubresaut ni contrat. Bien entendu, «on ne combat que dans l'espoir du succès», mais il est du devoir de tous, sans exception, de ne jamais baisser les bras, de ne jamais se laisser envahir par le découragement ou de se laisser gagner par la désillusion démobilisatrice. Le pouvoir aussi est responsable à plus d'un titre de la mobilisation autour du projet de construction de la démocratie. Il reste comptable à plus d'un titre dans cette ambitieuse (et nécessaire) entreprise, ne se contentant pas du rôle pionnier d'incitateur, que veut assumer manifestement le souverain actuel. Les différentes strates du pouvoir au Maroc ont le devoir de s'investir dans cette bataille décisive qui nous rendra enfin fiers d'être des Marocains libres dans un pays libre. La liberté d'expression, sans entrave ni ligne rouge imposées, est la clef de voûte de tout édifice démocratique promis à quelque pérennité. Les journalistes, les communicants et tous ceux qui naviguent dans cette sphère se doivent de prendre l'engagement, librement et volontairement, de participer à ce défi gigantesque, qui vaut la peine, par son enjeu colossal, d'être relevé. Haut les curs et les esprits vigilants pour la conquête du futur éblouissant de la démocratie assumée !