La Chine et plus largement l'Asie sont en pointe sur cette réflexion. L'économiste Michel Aglietta le rappelait récemment dans ParisTech Review : environ 300 millions de Chinois vont migrer vers des villes qui n'existent pas encore et la Chine doit construire pour eux, avant 2030, 200 villes abritant entre un et cinq millions d'habitants. Ce seront des villes « bas carbone », des villes multipolaires, sur le modèle de Chongqing, pour éviter, dans la mesure du possible, l'étalement anarchique et donc la pollution (Chongqing est une des villes les plus polluées du monde) liée aux transports. Chaque ville multipolaire contiendra en son sein à la fois des sous-villes spécialisées dans une production donnée – les territoires de travail restant proches des lieux de résidence – et des zones rurales pour optimiser l'empreinte carbone de l'alimentation. Tokyo, la plus grande ville de la planète, offre un modèle intéressant. Tout en étant une des mégapoles les plus denses au monde, elle abrite traditionnellement une forte activité agricole à l'intérieur de son périmètre : 2 % de sa surface sont utilisés à cette fin. Et les autorités locales songent aujourd'hui à agrandir cette surface. L'une des solutions, c'est l' « agriculture verticale », une idée portée depuis des années par Dickson Despommiers, professeur de sciences environnementales et de microbiologie à l'université Columbia. Il s'agit de produire en quantité des produits alimentaires au sein d'une structure occupant une emprise au sol réduite. Selon lui, une ferme de trente étages est capable de nourrir 30 000 personnes avec un rendement six fois meilleur que celui de l'agriculture traditionnelle. Avec 5,3 millions d'habitants, la ville-Etat de Singapour n'est pas exactement une mégapole mais son cas est instructif car elle importe 93 % des légumes qu'elle consomme. Fin 2012, Singapour a inauguré une ferme verticale, Sky Greens, très économe en énergie et en eau, qui fonctionne en circuit fermé selon un système hydroponique. Sky Green est constituée de 120 tours en aluminium d'une hauteur de 9 mètres chacune. Chaque tour comprend 38 étages dans lesquels sont plantées trois variétés de salades, et la culture d'autres légumes est envisagée dans un futur proche. Pour permettre un ensoleillement maximal tout au long de la journée, un système de poulies hydrauliques assure la rotation des bacs durant les heures diurnes. L'irrigation et le fonctionnement du mécanisme de rotation des bacs sont fondés sur la récupération de l'eau de pluie. En vitesse de croisière, Sky Greens devrait produira chaque jour 500 kilos de légumes. L'idée fait des émules. Début 2013, la ville de Shenzhen, une mégapole à part entière avec ses 15 millions d'habitants et qui est aussi la 5e ville la plus dense du monde, a commandé à l'architecte belge Vincent Callebaut six fermes verticales. Les bâtiments accueilleront appartements, bureaux et commerces, mais l'essentiel, c'est qu'ils produiront leur propre nourriture. Ce qui était déjà une tendance émergente pour la production d'énergie, des immeubles produisant leur propre énergie existant déjà dans plusieurs villes du monde, pourrait devenir vrai pour l'alimentation. Le concept d'agriculture verticale présente des avantages indéniables, mais il se heurte à de sérieux problèmes de rentabilité économique. Les « fermes verticales », en pratique des gratte-ciel verts, c'est-à-dire des serres empilées les unes sur les autres, entreraient en effet en compétition, au sein du marché immobilier de la mégapole, avec d'autres activités économiques. On pourrait imaginer que les décideurs municipaux sanctuarisent des terrains pour l'agriculture verticale en faisant appel aux impôts locaux mais il faudrait que la rentabilité des cultures verticales soit vraiment très supérieure à celle des cultures horizontales pour que l'investissement soit envisageable. Sinon, la dépense nécessaire à la construction et à l'entretien de ces fermes risquerait de compenser, voire de dépasser, les économies réalisées en transport et en droit à polluer. Pour rendre l'agriculture verticale économiquement viable, il faudrait sans doute augmenter le prix des quotas d'émissions de CO2 liés au transport, qui ne serait pas facilement acceptée par les villes de pays pauvres. Extrait d'un article de Futuiribles : Comment nourrira-t-on les mégapoles du futur ?