Faire de l'agriculture dans Casablanca ? Voilà une idée bien saugrenue pour une métropole industrialisée et polluée telle que la capitale économique du Royaume. Pourtant, cette idée n'est pas si nouvelle que cela. Depuis maintenant sept ans, une équipe de chercheurs marocains de l'Université Hassan II travaille en étroite collaboration avec des spécialistes allemands sur un projet de recherches-actions baptisé «Agriculture urbaine à Casablanca» (AUC). Financé par le ministère allemand de l'Education et de la recherche (BMBF), ce projet maroco-allemand s'inscrit dans le cadre d'un programme international de recherches nommé «Megacities» pour lequel la ville blanche a été sélectionnée aux côtés de neuf autres mégapoles mondiales telles que Lima (Pérou), Shangai (Chine), Téhéran (Iran) ou encore Addis Abeba (Ethiopie). L'objectif «est de donner un rôle privilégié à l'agriculture dans le développement de la future mégapole», explique à ce titre Fouad Amraoui, professeur à la faculté des sciences d'Aïn-Chock et coordinateur du projet devant d'ailleurs être livré en mars 2013. Planter utile Si l'un des premiers fondements du Plan Maroc Vert est de «faire de l'agriculture, le principal levier de croissance», ce chantier stratégique fait pourtant face à un certain nombre de freins et de contraintes. À ce sujet, il est possible de citer la faiblesse des investissements, le morcellement du foncier et – plus fréquent encore – la croissance du phénomène d'urbanisation et d'exode rural. Selon la FAO, «d'ici à 2030, la quasi-totalité de la croissance de la population sera concentrée dans les zones urbaines des pays en développement et près de 60 % des habitants de ces pays vivront dans les villes». Ce constat, apporté par l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, est significatif de l'importance du phénomène d'urbanisation que connaît un pays tel que le Maroc. Cela d'autant que ce phénomène implique du même coup une augmentation de la pauvreté urbaine. Face à ce constat, les scientifiques s'interrogent : «si la ville s'invite à la campagne, pourquoi celle-ci n'investirait-elle pas la cité ?». Un tel investissement permettrait concrètement de réduire les coûts de transport et de conservation des produits agricoles, l'autonomisation des populations périurbaines et la création d'opportunités d'emploi, le recyclage des déchets, sans parler de la protection et la rentabilisation du foncier «endormi». Concrètement, le projet de recherches, mené depuis 2008, a initié quatre projets agri-urbains pilotes qui expérimentent les synergies possibles entre l'agriculture et certaines activités de la ville. L'aboutissement de ces projets expérimentaux a clairement démontré la possibilité d'instaurer une activité agricole au cœur même de la Cité, qui serait non seulement à valeur environnementale, mais également source de revenus. D'ailleurs, selon la FAO, «l'agriculture urbaine et périurbaine fournit déjà de la nourriture à environ 700 millions de citadins, soit le quart de la population urbaine mondiale». L'industrie verte L'un des premiers projets pilotes initiés par le projet AUC, est la création d'une station membranaire permettant de rabattre la pollution et de réutiliser les eaux industrielles usées au niveau de la technopole de Nouaceur. Résultat : Naturex – c'est ainsi qu'a été baptisée la station – a permis aux usagés d'arroser divers types de plantations avec les eaux épurées. Faisant suite à cette première étape, un projet de «Mineurs urbains» est envisagé après la phase de livraison du projet «recherches-actions AUC» au niveau de la région de Médiouna. Celui-ci devrait permettre de réutiliser l'eau et, grâce à une coopération transsectorielle, à développer une agriculture intégrée et multifonctionnelle ainsi que d'établir un cycle fermé des ressources en eau. L'agriculture formalise l'habitat Au cours de ce chantier, la ville de Casablanca a pris part à la mise en place des différents projets pilotes inscrivant du coup l'agriculture urbaine dans sa politique citadine. D'où la création d'une école verte. Installée à Dar Bouazza, ce centre de formation initie les femmes aux pratiques agroécologiques, leur offrant la possibilité de produire sain et moins cher. Dans la foulée, un filtre planté a été mis en place pour l'épuration des eaux usées d'un hammam et leur réutilisation en irrigation des plantes. À terme, l'objectif de cette démarche est de faire de l'agriculture urbaine un axe essentiel de la politique de la ville, telle que l'a d'ailleurs présentée le nouveau ministrede tutelle Mohamed Nabil Benabdellah. Après Casablanca, d'autres villes, telles que Marrakech, Rabat ou même Meknès, seraient-elles aussi appelées à planter utile ? La zone périurbaine d'Ouled Ahmed sera d'ailleurs consacrée «zone modèle intégrative» dans la deuxième phase du projet afin de conserver certaines surfaces agricoles et de renforcer leur multifonctionnalité. Le tourisme, ça se cultive Après Marrakech et Agadir, Casablanca se trouve être la 3e destination touristique du Maroc. Derrière ces grands airs de citadine, la métropole continue d'attirer des curieux venus d'un peu partout ; du monde entier, mais aussi des alentours. Le tourisme interne est en effet l'un des piliers majeurs de cette stratégie verte à travers le développement d'un agrotourisme à proximité de la ville. À ce titre, une formation, en techniques de commercialisation et de mise en valeur des produits locaux, a été enclenchée par l'AUC au profit des populations des Chellalates et de Mohammédia. Ces poumons verts qui encerclent la ville sont un atout environnemental mais également entrepreneurial à mettre en avant. Manger pour vivre Lorsqu'on parle d'agriculture urbaine, certains penseront «potagers sur les toits des immeubles», «petits pots sur les balcons» ou autres initiatives dites vertes auxquelles les Casablancais ne sont pas habitués. Pourtant, cette ville que l'on croit entièrement bétonnée recèle du foncier inexploité. C'est le cas du jardin pédagogique agroécologique qui, installé à Dar Bouaaza, attire des citadins en famille assoiffés d'espace naturellement colorés ou des consommateurs engagés et avides de produits 100% bio. Ce projet, à caractère socioéconomique s'adresse aussi bien aux producteurs locaux, leur créant une source de revenus, qu'aux consommateurs invités en milieu périurbain à expérimenter l'activité agricole pour une vie saine. Fouad Amraoui, Professeur et coordinateur du projet agriculture urbaine à Casablanca. «L'agriculture urbaine, une sorte de parapluie» Les Echos quotidien : Pourquoi avoir choisi l'agriculture urbaine pour une ville telle que Casablanca ? Fouad Amraoui : En fait, chacune des mégapoles de demain, sélectionnées par le programme Megacities, fait face à une problématique particulière. Dans le cas de Casablanca, nous avons constaté que l'agriculture urbaine pourrait servir de parapluie qui engloberait plusieurs thèmes. Il s'agit en l'occurrence de la gestion de l'eau, de l'aménagement de l'espace, de l'adaptation aux changements climatiques... Qu'adviendra-t-il du projet après mars 2013 ? Nous travaillons justement sur la suite du projet AUC de manière à le pérenniser. Il faut déjà installer, mettre en œuvre tout ce qui n'a pas pu être finalisé jusque-là, ce qui ne sera possible qu'à travers la création d'un bureau d'agriculture urbaine à Casablanca, avec un coordinateur chargé de la gestion intégrée du projet. Ce bureau devra aussi impliquer des représentants des institutions concernées par le projet, à savoir : la direction de l'Agriculture, l'agence urbaine, l'inspection de l'Urbanisme, le ministère de l'Habitat... Sur le plan scientifique, nous prévoyons également de réaliser une publication internationale qui résume l'ensemble des résultats du projet, l'idée est également de permettre par la suite aux institutions et aux administrations d'y prendre des idées pour les implanter dans leurs programmes respectifs de politique de la ville. Selon vous, quel pourrait être l'impact économique d'une telle démarche sur une ville comme Casablanca ? On parle de plus en plus d'économie verte. Du coup, un projet tel que celui de l'AUC s'inscrit parfaitement dans cette lignée. Il s'agit, à petite échelle, de créer de nouveaux métiers et de manière plus stratégique de favoriser la mise à niveau du pays. D'ailleurs, le Maroc est un pays très dynamique et devrait sûrement trouver de l'accompagnement pour ce type de démarches. Cela aura aussi des retombées très bénéfiques sur la santé des citoyens, car nous travaillons aussi sur l'aménagement des espaces verts, ce qui génère moins de pollution et un meilleur traitement de l'air... Pensez-vous que ce soit là un bon filon à exploiter pour les entrepreneurs ? Certainement. Actuellement, les promoteurs immobiliers font déjà valoir l'aménagement d'espaces verts dans leurs projets et utilisent des systèmes de traitement des eaux usées pour leur irrigation. Dans des projets d'envergure, toutes ces démarches sont prises en compte, mais ce que nous souhaitons, c'est que cela soit initié à l'échelle de la ville. Casablanca est la locomotive du développement du pays, c'est une sorte de modèle, car tout ce qui marche à Casablanca peut marcher ailleurs. Peut-on tout planter à Casablanca ? Dans le Plan Maroc Vert, chaque région a ses spécificités en fonction de son climat, de son potentiel en eau... Si nous arrivons à produire à Casablanca de la salade, de la menthe et un certain type de maraîchage, c'est déjà pas mal. L'idée n'est pas non plus de nourrir toute la ville, ce serait impossible. Cette démarche ne pourrait répondre qu'à cinq, voire 10% des besoins de la population casablancaise. L'agriculture urbaine à travers le monde Production saine au Nord, nécessité alimentaire au Sud : les priorités sont légèrement différentes, mais les pratiques restent similaires. Contrairement à ce que l'on serait tenté de croire, l'agriculture urbaine n'est pas une «mode» exportée des pays industrialisés vers ceux «en développement» pour des raisons pratiques, c'est probablement même l'inverse. En effet, il est plus présent dans les grandes villes des pays dits en voie de en développement ou émergents. De Tokyo à New York, en passant par Paris, Londres, Montréal, Rio de Janeiro ou désormais Casablanca, le phénomène répond à une logique de «sécurité alimentaire», mais pas uniquement. Selon l'institution des Sciences de l'environnement de l'Université du Québec à Montréal, «nous savons maintenant que l'agriculture en milieu urbain est une pratique qui contribue à la sécurité alimentaire des familles et des communautés et à l'amélioration des conditions de vie des populations, peu importe notre lieu d'appartenance...» En la matière, c'est La Havanne qui arrive en tête avec une production alimentaire urbaine de 80% des fruits et légumes. Néanmoins, la pratique agricole, n'est pas uniquement pour des contraintes alimentaires. Au Canada, c'est devenu une tradition autour de laquelle s'organisent d'ailleurs des rendez-vous annuels, tels que l'école d'été sur l'agriculture urbaine. Résultat : aujourd'hui 35% de la population du Grand Montréal cultive, ce qui se répercute sur le prix du panier moyen des aliments, en nette régression.