Le mois du Ramadan est synonyme de ferveur religieuse et de fiesta. Les mosquées font le plein, les cabarets aussi. Ainsi va le Maroc, libre, pluriel et plein de contrastes. Ce reportage porte éclairage sur le Ramadan by night. Dans la douceur de cette nuit d'été du Ramadan, le bruit des vagues de l'Atlantique se brisant sur la côte casablancaise s'entremêle avec la voix suave de Omar Al Kazabri. Il est 21h30, 50.000 fidèles prient derrière l'imam vedette de la mosquée Hassan II. A l'intérieur de la mosquée et sur son esplanade, jeunes et vieux, hommes et femmes, viennent à pieds, en bus ou à bord de luxueuses berlines, pour ces prières nocturnes qu'ils effectuent à l'orée de l'Atlantique. « Je viens de Sidi Othman, presque chaque soir, pour la prière de la rupture du jeûne et pour la prière des tarawih. Prier dans cette mosquée et derrière cheikh Al Kazabri valent le déplacement », affirme Abdelfatah, venu accompagné de son fils et de son meilleur ami. Ce dernier est aussi heureux : « Ce lieu est magique. Il le sera encore plus la nuit du destin quand nous serons 250.000 à venir faire la prière inchallah ». Pour accueillir ce nombre important de fidèles, les services de police et de la protection civile sont sur le qui-vive. Postés à chacune des entrées de la mosquée, ils veillent au grain. À la côte des désirs Il est 23h00, c'est la fin de la prière. Une foule immense prend le chemin du retour. De longs cortèges de voitures se forment sur les boulevards alentours. Des embouteillages aussi. La sérénité des fidèles mue en impatience. Le concert des klaxons est assourdissant. S'y ajoutent les cris des vendeurs qui surgissent de nulle part une fois la prière finie, transformant les espaces jouxtant la mosquée en marché à ciel ouvert. L'esplanade se transforme, elle aussi, en espace de jeu pour les enfants. A quelques encablures de là s'étent la Corniche casablancaise qui devient aussi, chaque nuit, le théâtre d'autres jeux. Ici d'autres sonorités se font entendre de loin attirant de nombreux habitués des soirées ramadanesques très spéciales. Il est 23h30 et c'est déjà le rush. Des embouteillages se forment sur le boulevard de la Corniche. Dans cet espace de divertissement à ciel ouvert, il y en a pour tous les goûts. Cafés, cabarets, pubs, restos, snacks. Chacun en a pour sa bourse. En cette soirée dominicale, les clients se bousculent aux portillons de leurs adresses préférées…surtout les plus populaires. Paradoxalement, dans l'un des nombreux cabarets de la corniche, cette nuit, l'affluence est plutôt moyenne. Malgré un plateau d'artistes bien garni, les clients se font attendre. Après une demi-heure passée dans ce cabaret, Samia et Wafaâ, deux marocaines qui résident en Angleterre quittent le lieu. « C'est trop calme, nous cherchons un lieu animé où on pourra faire la fête », nous confient-elles. Dans un autre cabaret, c'est le même décor, les clients se font rares. Les narguilés (chicha) ne trouvent pas priseurs. A la question de savoir si ce Ramadan 2013 ne séduit plus les fêtards, la réponse ne se fait pas attendre : « Il est encore tôt. Les soirées ne s'animent qu'à partir de minuit ». Confiant et peu bavard, le gérant de l'établissement veille sur les préparatifs pour accueillir son monde. Dans ces milieux, la discrétion reste de mise. Faire la fête en famille Toujours sur la côte, les familles casablancaises continuent leurs balades en toute quiétude. Ali est un connaisseur des nuits ramadanesques. Il est gérant de plusieurs établissements sur la côte d'Aïn Diab. L'homme connait bien les besoins des clients. Il y a trois ans, il a lancé un concept d'animation inédit destiné aux familles. Depuis, des jeunes femmes viennent danser sur les tubes orientaux de l'été. Un orchestre de musique joue même des morceaux à la demande. Ce café qu'on pourra retrouver à Istanbul ou au Caire répond à la nouvelle demande née suite aux transformations des sociétés musulmanes. On retrouve en ces lieux très courus plusieurs femmes voilées qui viennent passer un bon moment, sans crainte de se faire stigmatiser. « Il est très difficile pour une famille ou un couple qui veut écouter de la musique tranquillement de trouver leur compte. Moi, je propose dans mon établissement un espace d'animation familial », assure Ali. Son café est non fumeur, la « chicha », produit phare sur la côte, n'est pas proposé aux clients et l'établissement est très regardant quant à la « qualité » des clients. « Grâce à Dieu, ça marche très bien. Nous recevons de jeunes couples, des familles de MRE, des femmes toutes seules qui viennent passer une soirée animée, dans un total respect », se réjouit le gérant. Pour ce patron, qui a le flair des bonnes affaires, le business must go on. Ramadan, ce grand cabaret Il est une heure du matin, la corniche casablancaise commence enfin à s'animer. Les grands cabarets de la place qui carburent à la prostitution, à la « chicha » et aux artistes venus de l'Orient ne désemplissent pas. Dans l'un d'eux, le décor annonce la couleur. Les murs sont couverts de tissus zébrés, le même motif est choisi pour les fauteuils. Les serveurs sont habillés d'une chemise à la couleur flashy. Le plateau d'artistes est tout aussi coloré. Il est formé en majorité par des moyen-orientaux ayant fui les troubles de l'après Printemps arabe et sont venus gagner leur vie au Maroc. Ici, on croise des artistes syriens, libyens, égyptiens et bien sûr les inoxydables chanteurs libanais et les nouveaux venus de la scène marocaine, tout comme des chanteurs des pays du Golfe. Certaines têtes d'affiche font un tabac, même si leurs chants sont noyés dans les effluves du narguilé qui offrent un voile artistique pour les clientes qui prennent leurs aises pour bien se déhancher. Dans cet établissement comme dans d'autres que nous avons visités cette nuit, la prostitution fait flores. Visiblement, la chaire humaine, féminine comme masculine, semble être « bon marché » durant le mois sacré. Le cabaret populaire Et le meilleur pour la fin... Toujours sur la côte, des cafés saisonniers se dressent tout au long du boulevard Sidi Abderahman. Les plus fréquentés sont ceux situés au niveau de l'ex-parc Sindibad. Ici, c'est une autre clientèle, un autre standing. Sur un espace de 300 m2, des tables et des chaises en plastique sont dressées, entourées d'un grillage de fortunes. Un DJ met la musique à fond pour un public très jeune venu faire la fête. L'ambiance est électrique ou plutôt hystérique. En ces lieux, aucun code vestimentaire n'est exigé. On peut même être accompagné de mineurs et fumer du cannabis ou consommer toute autre substance interdite. L'essentiel c'est de payer le ticket d'entrée à 30 DH. Malgré la présence massive d'un service d'ordre, les accrochages sont fréquents entre les clients. Les jeunes femmes ne se laissent pas faire. A chaque tentative d'intimidation de la part d'un quelconque macho, elles répondent avec une salve d'insultes et osent même quelques coups de poing. Dans ce chaos joyeux, les affaires marchent très bien. Surtout que les autorisations d'exploitation qui ont permis l'existence de ces lieux ne répondent pas à des critères bien définis. Aucune norme de sécurité n'est appliquée. Les armes blanches sont introduites facilement. Plusieurs clients ramènent avec eux leur s'hour (repas du matin) et passent ici la nuit à la belle étoile. D'autres peuvent se servir à l'entrée où un marché improvisé s'est constitué pour répondre à la demande des fêtards du Ramadan. La soirée dans ces cafés ne se termine qu'à l'appel à la prière du matin, soit à 3h45. À la sortie, des triporteurs et des véhicules de transport de marchandises servent à ramener tout ce monde de là où il est venu. Il en va ainsi pour toutes les nuits du Ramadan