L'information est passée inaperçue, coincée entre le début de l'offensive aérienne israélienne contre le Hamas dans la bande de Gaza, les nouvelles d'une récession déjà quasi planétaire et ... L'accoutumance aux déclarations incendiaires venues de Téhéran. Fin décembre pourtant, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad affirmait qu'aucun Etat n'était capable de menacer l'Iran qui est «aujourd'hui la plus grande puissance dans la région du Moyen-Orient». Ali Khamenei, le guide de la Révolution, l'avait précédé un mois plus tôt en lançant que son pays «s'était maintenant transformé en une puissance régionale grâce à sa confiance en Dieu»... Que ce discours vise à galvaniser une population aux prises avec d'inextricables difficultés économiques, encore aggravées par la chute du prix des hydrocarbures, ne change rien au fond de l'affaire: la volonté de l'Iran d'être reconnu par la communauté internationale comme un acteur incontournable sans lequel rien n'est possible au Proche et Moyen-Orient, et surtout pas la paix. Les chiites, relais d'influence de Téhéran dans la région Plusieurs éléments permettent aux Iraniens d'afficher aujourd'hui leur ambition de s'imposer comme une puissance régionale, voire dominante : la stabilité du régime, sa capacité à résister depuis son avènement en 1979 aux différents types de sanctions, l'importance économique et démographique du pays, la recherche nucléaire et la montée en puissance des chiites dans l'Irak voisin. Majoritaires dans ce pays, les chiites sont, depuis la chute de Saddam Hussein, présents dans les principaux organes de pouvoir irakiens. Et c'est là un tremplin pour l'influence iranienne dans la région. Les autres minorités chiites de la région constituent autant de relais d'influence pour Téhéran, à commencer par le Hezbollah libanais ou, c'est moins connu, les chiites d'Afghanistan. Ces derniers, qui représentent 25% de la population afghane, ont profité de la chute des talibans pour apparaître et s'exprimer au grand jour. Le fait qu'ils soient considérés, à tort ou à raison, comme le cheval de Troie d'un Iran qui les aide et les soutient, constitue en soi un autre levier de pouvoir pour Téhéran. Le conflit israélo-palestinien, autre levier de pouvoir de l'Iran Dans ce contexte, la volonté de la République islamique d'utiliser le conflit israélo-palestinien et l'affrontement entre Israël et le Hamas est patente. Et elle est d'autant moins encline à la modération au Proche-Orient que les Occidentaux sont restés jusqu'ici intransigeants sur le nucléaire. Il est évident que le Hamas, organisation palestinienne qui bénéficie du soutien d'une majorité de la population de Gaza - où il a remporté haut la main les élections de 2006 - n'est pas une création iranienne. Mais on ne peut ignorer que ses brigades Qassam, comme les combattants du Djihad islamique, sont entraînées, financées et armées par Téhéran et Damas (armes et missiles passent par des tunnels creusés entre l'Egypte et Gaza). Le Hamas pouvait-il dès lors rompre la trêve avec Israël sans l'accord de son allié iranien ? C'est peu probable même si le mouvement palestinien avait ses propres raisons et son propre agenda: le mécontentement de la population gazaouie, dont la paupérisation s'est encore accrue avec le blocus israélien, l'impossibilité de convaincre l'Egypte d'ouvrir sa frontière, l'émergence de groupes djihadistes beaucoup plus radicaux et enfin la campagne électorale palestinienne, Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, ayant appelé à des élections anticipées début 2009 pour tenter de trancher la lutte de pouvoir opposant le Fatah et le Hamas depuis les législatives de 2006. Un pari que Mahmoud Abbas risque d'ailleurs de perdre tant l'intervention des Israéliens sur Gaza l'a privé du peu de crédit dont il disposait encore... Téhéran veut obliger les Etats-Unis à négocier Tout se passe en fait comme si les différents acteurs, visibles et invisibles, du conflit à Gaza voulaient se positionner avant l'arrivée au pouvoir du nouveau président américain. Israël est certes intervenu en raison de la campagne électorale en cours dans le pays - le parti au pouvoir Kadima est à la traîne derrière le chef du Likoud Benyamin Netanyahou, partisan de la manière forte à Gaza. Mais les Israéliens ont aussi voulu profiter de la longue transition entre George Bush et Barack Obama pour frapper un grand coup qui affaiblirait durablement le mouvement islamiste. La République islamique entend elle aussi se positionner face à la nouvelle administration américaine. Le régime des mollahs a donc intérêt à entretenir les abcès de fixation régionaux (Irak, Afghanistan, Liban, Gaza...) pour faire de chacun d'entre eux un levier pour mieux négocier. Objectif: montrer sa force pour s'imposer comme un interlocuteur incontournable dans tout règlement et obliger les Américains à négocier avec eux, y compris sur le nucléaire. Et ce en dépit de la fragilisation que la baisse du prix du pétrole induit pour Téhéran. Mettre en difficulté les Etats arabes alliés des Etats-Unis Ce n'est pas le seul intérêt des Iraniens : ces derniers voient aussi dans le conflit israélo-palestinien une manière de déstabiliser les pays arabes de la région, l'Egypte, médiateur jusqu'ici avec le Hamas, la Jordanie, l'Arabie Saoudite...Tous alliés des Etats-Unis, ils sont aujourd'hui placés en porte à faux vis-à-vis de leurs opinions publiques chauffées à blanc par l'impuissance des Etats arabes devant l'entrée des chars israéliens à Gaza. Cela explique les déclarations enflammées venues de Téhéran dès le lendemain de l'offensive israélienne: Ali Larijani, le président du parlement iranien, prédisait ainsi que Gaza serait «un cimetière pour les sionistes», tandis que le Guide Ali Khamenei engageait les musulmans à frapper Israël et décrétait que toute personne mourant en défendant Gaza serait considérée comme un martyr... L'Amérique de Barack Obama entamera-t-elle un dialogue avec l'Iran? A Téhéran, certains semblent même nourrir le rêve de retrouver le rôle d'allié des Etats-Unis que les Iraniens avaient sous le Shah, en échange de quoi la République islamique ne serait plus un élément déstabilisateur dans la région. Dialoguer, et si possible négocier, avec l'Iran semble effectivement être l'une des priorités du futur président américain. Mais Barack Obama devra manoeuvrer habilement. La perspective d'un Iran d'autant plus fort qu'il serait renforcé par un axe chiite avec l'Irak demeure en effet la hantise des Etats de la région à majorité sunnite, Jordanie, Egypte, Koweït, Arabie saoudite