Dix ans après le 16 mai 2003, quels leçons retenir de tout ce qui s'est passé ? Ceux vers lesquels tous les regards se sont tournés après ces attentats ont –ils changé depuis ? Réponse de Abdelhakim Aboullouz, sociologue Centre marocain des sciences sociales, auteur de « Les mouvements Salafistes au Maroc de 1971 à 2004». L'Observateur du Maroc. 10 ans après le 16 mai, les salafistes marocains ont-ils abandonné l'option jihadiste ? Abdelhakim Aboullouz. Je voudrais d'abord attirer l'attention à l'usage médiatique du mot jihad. Ce terme religieux et politique est utilisé à tort et à travers par la presse pour condamner avec une facilité déconcertante toute personne impliquée physiquement ou moralement dans des affaires de terrorisme. Pire, même le système judiciaire en a fait de même, violant ainsi les principes de base du Code pénal. Pour revenir à votre question, je dirais qu'au Maroc, le jihad connait une remise en cause profonde. Ceci rejoint l'ouverture affichée par l'Etat dans ce dossier, illustrée par la libération des quatre cheikhs en 2011 (ndrl : Rafiki alias Abou Hafs, Fizazi, Haddouchi et Kettani). Les salafistes en prison ont entamé eux aussi des révisions qui ont permis de faire passer leurs dossiers d'un registre pénal à celui des droits humains, pour avoir le statut de « victimes ». Les cheikhs salafistes constituent-ils toujours une source idéologique pour les jihadistes ? Les cheikhs salafistes au Maroc sont une fabrication médiatico-judiciaire. Les médias leurs ont donné leur statut de responsables moraux des attentats du 16 mai. Actuellement, à l'exception de ces quatre cheikhs orthodoxes, qui continuent à appeler au jihad contre l'ennemi externe, on ne trouve personne d'autre qui soutient cette position. Si on compare les profils de ces cheikhs avec ceux du Machrek, on remarque que ces personnes n'ont pas une légitimité jihadiste en Afghanistan ou ailleurs. Le capital de ces cheikhs se limite à un parcours d'études au Machrek, des groupes d'adeptes et un accès régulier aux médias. Ce qui fait qu'ils ont une influence insignifiante sur le plan local et régional. A l'opposé, le salafisme traditionnaliste, (ndrl : courant de cheikh Maghraoui), a pu, grâce à 30 ans de prédication, rassembler une base religieuse solide et très liée à ses cheikhs. Le champ religieux officiel a-t-il pris en compte la donne salafiste ? A la veille des attentats du 16 mai, le ministre des Affaires islamiques et des Habous de l'époque avait déclaré que « le phénomène salafiste est insignifiant dans la société et dispose d'un nombre marginal d'adeptes ». Hélas, les attentats ont montré que les impressions du ministre étaient fausses. Depuis, je me demande si les artisans de la politique religieuse ont saisi la complexité de ce dossier. Je suppose que les services de renseignements disposent de chiffres pour mettre une feuille de route sécuritaire, mais est-ce que le ministère des Affaires islamiques a une vision propre à lui ? L'intégration des salafistes dans le jeu politique est-elle possible ? Les salafistes, tous les courants confondus, tournent le dos pour le moment à la politique et préfèrent se focaliser sur la prédication. Sauf qu'il faut observer attentivement les négociations entre le pouvoir et les salafistes en prison. Les deux parties font de la politique au quotidien. D'autre part, la reprise des activités du courant traditionnaliste, à travers son réseau d'associations, n'est pas un fruit du hasard. Surtout dans un champ religieux strictement encadré par l'Etat Paru dans le n°216 de L'Observateur du Maroc