Deux identités pour un seul cadavre. Tel est l'incroyable embrouillamini de ces derniers jours. Il oppose le président tchadien, Idriss Deby, qui affirme que ses soldats au nord du Mali ont tué Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar, les deux principaux chefs d'Aqmi au Sahel, aux responsables français qui refusent de confirmer la nouvelle tant qu'ils n'ont pas de preuves concrètes de ces morts. Qui faut-il croire dans cette guerre sans témoins où chaque capitale a ses impératifs politiques ? N'Djamena a intérêt à justifier auprès de sa population, la mort de 27 soldats, dont celle d'officiers; Paris ne veut pas donner de prétexte à Aqmi, pour éliminer ses otages français en annonçant que ses troupes ont tué Abou Zeid, dans un bombardement. Une certitude : la bataille entre les 800 Tchadiens appuyés par 1200 Français, et les djihadistes d'Aqmi, n'est plus une promenade de santé dans l'Adrar des Ifoghas. Les combattants islamistes, dont on ignore le nombre exact, sont cachés, depuis dix ans, dans les rochers du Tigharghar et les grottes de la vallée d'Ametettai, une région de 25 Kms sur 25, dans la partie nord de l'Adrar. Ils y ont installé des bases pour leur ravitaillement en armes et carburant. Les Français, dotés d'hélicoptères de combat, ont détruit dix sites logistiques et un blindé pris à l'armée malienne. Une centaine de djihadistes auraient été tués en une douzaine de jours. Déloger les hommes d'Aqmi de l'Adrar des Ifoghas semble plus difficile que prévu, cependant les armées française et tchadienne – celle-ci se battant avec les mêmes méthodes que celles qui sont employées par les groupes djihadistes – devraient en venir à bout dans les toutes prochaines semaines. Reste à éviter deux écueils. Le premier : la fuite des combattants vers les pays voisins. L'Algérie et la Mauritanie surveillent leurs frontières et ces chemins de fuite semblent exclus. L'inquiétude vient de la Libye, pays désorganisé, aux frontières poreuses et où les djihadistes disposent de complicités, comme l'ont prouvé les hommes de Mokhtar Belmokhtar lorsqu'ils ont attaqué le site algérien gazier proche d'In Amenas, en janvier. Pour rejoindre la Libye, une seule piste à partir des Ifoghas : longer le sud de la frontière algérienne, à l'extrême nord du Niger, et pénétrer en Libye par la passe de Salvador aux confins des trois pays (Niger, Libye, Algérie). Depuis peu, un drone américain installé à Agadez, au Niger, permet de surveiller l'Aïr. De plus, les destructions de dépôts de carburant et de pick-up, dans les Ifoghas, vont rendre les fuites plus difficiles pour les djihadistes. Second écueil à éviter : les règlements de compte entre Touaregs et Arabes dans la région de Kidal. Là, à l'extrême nord du Mali, est le fief touareg, la seule région du pays où ils sont majoritaires. La semaine passée, des populations arabes de cette région qui compte aussi des Peuls et des Songhaïs, ont affirmé avoir été chassées de chez eux par le Mouvement national de libération de l'Azawad. L'an passé, le MNLA avait revendiqué l'indépendance avant de se rabattre sur une demande d'autonomie culturelle et économique. Affirmant donner des renseignements, voire faire le coup de feu, aux côtés des Français, le MNLA ne serait-il pas tenté de chasser les non-touaregs des zones reconquises pour justifier, ultérieurement, de l'établissement d'un Etat qui lui serait propre ? Ce serait, à coup sûr, l'aube d'une nouvelle guerre.